Jeans de bikers, vestes d’après-guerre revisitées, vestes auto-éclairantes, gilets munis de capteurs de mouvements… les fabricants de vêtements de travail n’hésitent pas à chercher dans toutes les directions pour satisfaire à la demande, tant en termes de technologie et de style que de tissage. Tour d’horizon.
Plus tendance, plus design, ergonomique et même intelligent… depuis quelques années, le «bleu de travail» connaît des transformations en profondeur afin de répondre aux nouvelles exigences du secteur. D’une part, il s’agit d’accuser le coup face à la multiplication des normes de sécurité qui visent à réduire les risques d’accidents du travail et les troubles musculosquelettiques. De l’autre, il s’agit de séduire la génération des Millennials qui arrivent sur le marché et dont les goûts vestimentaires réclament un travail stylistique plus poussé.
8 millions de travailleurs
Si le marché de l’habillement classique déplore une perte de 28 milliards d’euros selon l’Institut français de la mode, il n’en va pas de même pour l’industrie du vêtement professionnel : sa croissance, depuis 2016, se maintient à 3,4% par an. La raison ? Cette industrie se charge de vêtir près de huit millions de Français travaillant tant de le secteur de l’industrie, de la logistique et du BTP, que de la restauration et de la santé. Un volume d’actifs énorme qui pousse les fabricants à rivaliser d’innovations pour améliorer leurs vêtements techniques aussi bien sur le plan du confort et de la sécurité que du style. Et c’est sans compter la féminisation de certains métiers…
Au chantier comme dans la rue
Exit les coupes grossières ! Le vêtement professionnel doit désormais suivre les préceptes de la mode pour séduire les jeunes générations, peu enclines à enfiler le traditionnel « bleu de travail ». « Il existe un vrai phénomène de transversalité entre le workwear et la mode » estime François Ruet, directeur marketing chez le fabricant Molinel. En témoigne sa collection de pantalons techniques Famous Force, lancée il y a quelques mois avec un slogan inspiré des bikers « Parfois tu gagnes, parfois tu triomphes », la gamme, qui fait l’apologie du denim, se veut résolument mode avec des effets waxés qui permettent à la matière de se patiner par l’usure.
Pas de renfort sans cordura !
Il ne s’agit pas pour autant de négliger les qualités techniques de résistance et de confort des modèles. « Nos pantalons sont constitués de tissus robustes comme le coton polyamide et le cordura au niveau des renforts », reprend François Ruet. De quoi parer aux risques de coupures et d’abrasion… Pour plus de confort, les textiles ont été mélangé à un polyester coolmax, un tissu déperlant qui évacue la transpiration.
Une collection bio-éthique certifiée Oeko-Tek
Du côté du fabricant allemand Uvex, c’est le bleu pétrole qui est en vogue cette année avec la Collection 26. « Située aux croisement entre le sportwear des skateboarders et le streetwear, cette collection veut permettre aux utilisateurs de rester tendance même sur le chantier » précise Valérie Muller, responsable produit de la marque. Vestes matelassées, polos, pantalons slim… pour plaire aux jeunes, ce nouveau vestiaire s’articule autour de coupes contemporaines et «fitées», c’est-à-dire plus près du corps, avec des épaules marquées. Et des textiles plus fluides comme la fibre Tencel, à base de lyocell. On apprécie également l’aspect éthique de la gamme, conçue dans des matières non cancérigène et sans perturbateur endocrinien. Ce qui lui a valu décrocher le label Oeko-Tek.
Des jeans avec un rendu « damier »
Jeans fittés, blousons bombers, poches asymétriques… du côté de la célèbre marque Lafont, filiale du groupe lyonnais Cepovett, la tendance est aussi aux looks casual et streetwear. Pour la nouvelle collection Tech, le fabricant a notamment inventé un moyen astucieux pour allier robustesse et esthétique : les jeans Rotor ont été conçus en Ripstop dont les fibres sont tissées en quadrillage. « Cette technique permet de renforcer la résistance du tissu tout en conservant sa légèreté » explique Alexandra Avram, directrice marketing de Lafont.
La part belle aux pièces authentiques
Loin d’être démodé, pour certains, le « bleu de travail » reste parmi les intemporels de la mode. Un point de vue que défend la maison Lafont qui, rappelons-le, est à l’origine de la légendaire salopette et de la première veste de charpentier Coltin, en 1844. Cette année, elle a développé en partenariat avec le styliste Louis Marie de Castelbajac une collection capsule pour twister la célèbre veste Lafont bleue à trois poches de l’après-guerre.
Un vêtement « couteau suisse »
Pour revisiter ce vêtement emblématique, le fils du célèbre créateur Jean-Charles de Castelbajac, a décidé de suivre des patronages anciens dénichés dans le cadre du collectif Vertbois, implanté dans la rue parisienne éponyme, et désireux de promouvoir le savoir-faire français. Empiècements en moleskine, bandes réfléchissantes en nylon pour la nuit, poches secrètes au poignet, écussons personnalisés… le designer considère sa création comme un vêtement à mi-chemin entre le fétiche et le « couteau suisse », bien à rebours de la surconsommation et des fringues jetables.
Une parka pour travailler à -19°C
Outre la mode, le secteur du workwear évolue dans un environnement normatif de plus en plus exigeant, notamment en ce qui concerne le froid, la pluie et le vent. Ici, les fabricants redoublent d’ingéniosité pour améliorer les qualités techniques de leurs pièces. Parmi les inventions les plus intéressantes cette année en ce sens, figure la parka Nordland, dessinée par le fabricant français Delta Plus : en l’enfilant, il est possible de travailler huit heures d’affilée à – 19° C ! Tissée en polyester Oxford enduit de polyuréthane, la parka a déjà été adoptée par le groupe britannique de distribution Tesco pour les opérateurs de ses deux plus grands entrepôts frigorifiques au Royaume-Uni.
Une veste haute visibilité et auto-éclairante
Les contraintes météorologiques et le travail en extérieur font de la haute visibilité un enjeu également crucial. A cet égard, le fabricant Uvex a réalisé une gamme de vestes et de gilets de signalisation embarquant de l’électronique. Baptisée Protection Active Flash, cette collection auto-éclairante intègre des fibres lumineuses avec LED intégrées, visibles jusqu’à 800 mètres la nuit. « Une distance qui laisse aux voitures sur l’autoroute le temps de freiner sans danger… », précise Valérie Muller. Grâce à une petite batterie qui se range dans une poche prévue à cet effet, l’électronique développée par le fabricant de lampes Osram, propose trois modes d’éclairage, fixe, en clignotement lent ou rapide. « Tout l’avantage de ce système réside dans le fait qu’il permet à un opérateur d’être visible, même lorsque l’environnement n’est pas éclairé », insiste la responsable produit.
Réduire les risques de collision engin-piéton
Certains fabricants vont même jusqu’à embarquer de l’intelligence dans leur vestiaire. Sur une plateforme logistique ou un site industriel à la circulation complexe, les risques de collision entre piétons et engins sont élevés. Pour réduire ce danger, l’entreprise Mulliez-Flory a planché sur une collection de vestes haute-visibilité, en partenariat avec le spécialiste des solutions industrielles Altran, qui intègrent un système de géolocalisation. Il s’agit d’établir la cartographie du site concerné, avec ses zones de risques et son ballet de machines. La traçabilité des opérateurs étant assurée par la veste connectée, en cas de proximité avec un danger, le système déclenche un son strident ou bien une alerte vibratoire.
Corriger les mauvaises postures
A la base, les initiales de cette collection sont WIP, pour Workwear Intelligence and Prevention (vêtement de travail, intelligence et prévention). De fait, la ligne comprend une seconde invention dédiée à la prévention des maladies professionnelles et, en particulier, des TMS. Il s’agit de proposer aux entreprises un vêtement capable de détecter, analyser, et corriger les mauvaises postures au travail. Pour cela, le vêtement est équipé d’une série de capteurs qui suivent les mouvements corporels de l’opérateur selon les certaines zones particulièrement sollicitées, à savoir la flexion des genoux, l’amplitude articulaire de l’épaule et la flexion antérieure du tronc. « A la fin de la journée ou bien en temps réel, les capteurs envoient les informations recueillies à un logiciel qui va alors produire des rapports sur l’intensité, la fréquence et la durée des efforts. A charge pour l’ergonome ou le médecin du travail d’interpréter ensuite ces données » détaille Thomas Poulin, responsable R&D chez Mulliez-Flory qui planche en ce moment même, sur de nouveaux capteurs à placer au niveau des cervicales ou encore aux poignets pour identifier les tendinites.
Ségolène Kahn
Commentez