A partir de quelle température y a-t-il danger pour le salarié ?
Le Code du travail ne donne pas de limite de température au-delà de laquelle les salariés seraient en droit de cesser le travail estimant que leur santé est en danger. Par conséquent, il convient de se référer à différentes préconisations. A commencer par celle de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) qui prône d’être vigilant dès que la température ambiante (à l’ombre) dépasse 30°C. Ce qui correspond à une journée « inhabituellement chaude » (cf dossier publié par l’INRS : « Travailler par fortes chaleurs en été ». Citons également la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (CnamTS) qui préconise l’évacuation des locaux au-delà de 34°C, en cas d’ « arrêt prolongé des installations de conditionnement d’air dans les immeubles à usage de bureaux ». Dans le secteur du bâtiment, l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) recommande aux employeurs de vérifier quotidiennement les conditions météorologiques et les bulletins d’alerte afin d’évaluer le risque au jour le jour.
A partir de quand la vigilance doit-elle être impérative ?
Dès que la température dépasse les 30°C à l’ombre et que les températures nocturnes sont supérieures à 25°C car cela nuit à la récupération complète de l’organisme (cf. Prévention BTP : Comment travailler en sécurité sous les fortes chaleurs ?). Une chose est certaine : la température corporelle de l’homme doit demeurer constante à environ 37°C. Au-delà de cette limite, des troubles sérieux peuvent se produire : déshydratation, épuisement thermique pouvant conduire au »coup de chaleur » (élévation de la température corporelle supérieure à 40,6°C), mortel dans 15% à 25% des cas.
Les salariés peuvent-ils cesser leur travail s’ils estiment qu’il existe un risque pour leur santé ?
En fait, on distingue deux situations. Soit les symptômes d’une pathologie grave liée à la chaleur sont présents (maux de tête, sensation de fatigue inhabituelle, importante faiblesse, vertiges, étourdissements, malaises, pertes d’équilibre, désorientation, propos incohérents, somnolence, perte de connaissance…). Selon les recommandations du Haut conseil de la santé publique, la situation doit alors être gérée rapidement et efficacement. Il s’agit alors d’alerter les secours médicaux, de faire cesser toute activité à la personne, la rafraîchir, la transporter à l’ombre ou dans un endroit frais et lui retirer ses vêtements superflus, lui asperger le corps d’eau fraîche, faire le plus de ventilation possible, donner de l’eau en l’absence de troubles de la conscience, alerter l’employeur. (Cf. Recommandations sanitaires du Plan national canicule 2014, page 28).
Et dans la seconde situation ?
C’est celle où les symptômes d’une pathologie grave ne sont pas présents mais le travailleur a « un motif raisonnable de penser que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. » On se trouve alors dans l’hypothèse où l’employeur n’a pas mis en place des moyens adaptés pour faire face à la forte chaleur ou n’a pas été en mesure de le faire. Rappelons qu’une obligation de sécurité dite « de résultat » pèse sur les épaules de l’employeur qui a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (article L4121-1 du code du travail).
Que contiennent ces mesures ?
Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail. Des actions d’information et de formation. La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur a également l’obligation d’évaluer les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire ces risques dans un Document unique d’évaluation des risques (DUER) (articles L4121-3 et R4121-1 du code du travail). L’article R4121-1 alinéa 2 précise : « Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques. » Ce qui inclut nécessairement le risque de « fortes chaleurs ».
A quelles recommandations l’employeur doit-il répondre en cas de fortes chaleurs ?
Il doit informer les salariés des signes et symptômes du coup de chaleur et des moyens de prévention pour éviter la survenance de ces risques. A cet égard, il existe des dépliants d’information édités par le ministère de la Santé qui présentent les bons réflexes à adopter. L’employeur peut également solliciter les conseils du médecin du travail. Le plan canicule 2015 donne ainsi instruction aux Directions régionales de l’économie, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) de « mobiliser les services de santé au travail afin que les médecins du travail conseillent les employeurs (R 4623-1) quant aux précautions à prendre à l’égard des salariés, surtout ceux qui sont les plus exposés aux risques liés à la canicule, et en informent correctement leurs salariés. »
Y a-t-il aussi des mesures à prendre au niveau de l’organisation du travail ?
Oui. On peut adapter, dans la mesure du possible, les horaires de travail afin de débuter l’activité plus tôt le matin, supprimer les équipes d’après-midi afin d’éviter de travailler durant les heures les plus chaudes. On peut aussi organiser des pauses supplémentaires ou plus longues, si possible dans une salle plus fraîche. Et mettre à la disposition des personnels des moyens utiles de protection (ventilateurs d’appoint, brumisateurs d’eau minérale, stores extérieurs, volets…). Il convient aussi de mettre à la disposition des salariés des sources d’eau potable fraîche (trois litres d’eau au moins par jour et par travailleur sur les chantiers du BTP en cas de vague de chaleur par exemple) et de surveiller la température ambiante. Si de telles mesures ne sont pas mises en place par l’employeur pour protéger les salariés , ceux-ci sont en droit d’exercer leur droit de retrait si les conditions sont réunies.
Que dit le droit de retrait prévu par l’article L4131-1 du Code du travail ?
Il dit que le travailleur doit alerter immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut alors se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection. Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux (L4131-3). Le représentant du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) dispose lui aussi de ce droit d’alerte de l’employeur s’il constate qu’il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur ; il doit alerter immédiatement l’employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article L. 4132-2.
Dans quelles circonstances le salarié peut-il estimer qu’il existe un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ?
Une circulaire de la direction générale du travail du 25 mars 1993 précise que peut être défini comme grave « tout danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée » et comme imminent, « tout danger susceptible de se réaliser brutalement dans un délai rapproché ». La rédaction de l’article L4131-1 du code du travail admet le droit à l’erreur du salarié puisqu’il suffit qu’il ait un motif raisonnable de penser qu’il est en danger. C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans une décision du 11 décembre 1986.
En cas de contentieux, ce sont les juges, saisis du litige, qui vont devoir déterminer si le salarié se trouvait dans une situation de travail dont le salarié avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Il a ainsi été jugé que l’employeur ne pouvait licencier pour faute grave un aide-couvreur qui avait exercé son droit de retrait pendant une canicule. Dans cette affaire, la Cour d’appel de Nancy qui a rejugé l’affaire après la cassation, a considéré que « eu égard à la canicule ayant sévi sur la France à cette période [août 2003], le salarié avait pu valablement exercer son droit de retrait, l’employeur ne pouvant ignorer les conditions de travail de ses salariés astreints à travailler en pleine chaleur sur les toits d’immeubles ». La Cour a considéré que le licenciement devait être déclaré nul.
Y a-t-il des exceptions au droit de retrait ?
Le droit de retrait est un droit mais ce n’est pas une obligation. Ainsi l’employeur ne peut-il reprocher à un salarié de ne pas s’être inquiété d’une situation de danger pour sa santé ou sa sécurité et de ne pas avoir exercé, le cas échéant, son droit de retrait [5]. Les conséquences du droit de retrait peuvent être dangereuses tant pour le salarié que pour l’employeur. Selon le rapport annuel de la Cour de cassation de 2007, « l’exercice de ce droit peut s’avérer risqué pour le salarié s’il l’exerce à mauvais escient, mais il peut également être dangereux pour l’employeur si celui-ci ne prend pas suffisamment au sérieux l’avertissement qui lui est ainsi délivré. »
Plus précisément, quel est le risque pour le salarié ?
En principe, lorsque le droit de retrait est justifié, le salarié ne subit aucune sanction ni retenue sur salaire et l’employeur ne peut l’obliger à reprendre son activité tant que le danger persiste. Mais si le droit de retrait s’avère injustifié parce que le salarié a estimé, à tort, qu’il y avait un danger imminent pour sa vie ou sa santé, il risque alors une sanction pouvant aller jusqu’à son licenciement. En effet, dans ce cas, son retrait peut être considéré comme un abandon de poste ou un acte d’insubordination (refus d’accomplir sa tâche), ce qui est une faute grave.
Et pour l’employeur ?
Si le salarié est victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle alors que l’employeur avait été informé de la situation de danger imminent, celui-ci est alors considéré comme ayant commis une faute inexcusable. Par ailleurs, si l’employeur licencie le salarié alors qu’en fin de compte son droit de retrait était légitime, il s’expose à un risque contentieux non négligeable puisque, en ce cas, le licenciement prononcé est nul.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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