En février dernier, le gouvernement a annoncé vouloir fondre l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au sein d’un même pôle. Une réforme qui fait craindre un démantèlement de l’IRSN…
«IRSN assassiné », «IRSN c’est ma maison, c’est ta protection », « IRSN démantelé, sûreté en danger » pouvait-on lire sur les pancartes le 28 février, alors que des employés de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) manifestaient dans les rues à Paris. Il faut dire que la polémique enfle depuis le 8 février : le ministère de la Transition écologique a annoncé dans un communiqué fondre l’ISN au sein de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Une décision qui inquiète les acteurs de la sûreté nucléaire, en particulier la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN qui exprime son profond désaccord.
Un institut indépendant dès ses origines
Tout commence en 1876 avec la création de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN). En 1994 s’ajoute l’Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI) qui viendra fusionner avec l’IPSN en 2002. De cette alliance naît l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur décision du ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement. À travers cet organisme, le gouvernement souhaitait renforcer les liens entre la sûreté nucléaire et la radioprotection. Il s’agissait également de maintenir l’évaluation des risques indépendante des décideurs et des promoteurs des sciences nucléaires.
Un institut dédié à la recherche
Séparé du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’IRSN pouvait ainsi jouir de toute son indépendance en matière de transparence. Concrètement, cet institut a deux missions : l’expertise et la recherche. Il délivre ses avis techniques sur les enjeux liés aux risques nucléaires et radiologiques. En ce sens, il représente le socle de l’expertise vis-à-vis de ce sujet crucial. Par ailleurs, l’IRSN est un établissement public à caractère industriel et commercial fonctionnant sous un régime de droit privé via la tutelle conjointe de cinq ministères (Défense, Environnement, Industrie, Recherche et Santé). Par exemple, dans le cadre de ses missions, l’IRSN évalue les dispositions retenues par les exploitants pour maîtriser les risques de dissémination de matières radioactives ou toxiques. Et ce, afin de protéger les travailleurs, le public et l’environnement.
Un rôle de décisionnaire
De son côté, l’ASN est depuis 2006, une autorité administrative indépendante dédiée à l’élaboration de la réglementation en matière de sûreté nucléaire. Elle a également pour mission de contrôler son bon respect par les installations et de participer à l’information du public. Contrairement à l’IRSN qui se concentre sur l’expertise, l’ASN est une entité décisionnaire considérée comme le gendarme du secteur.
Fluidifier les processus
Le 8 février dernier, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a donc annoncé sa décision de fondre l’IRSN avec l’ASN. En raison, le gouvernement indique dans son communiqué vouloir « fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN » pour faciliter la relance de la filière nucléaire et « augmenter les synergies en matière de recherche et développement ». Il assure que cela permettra de « renforcer l’indépendance du contrôle en matière de sûreté nucléaire, au sein d’un pôle unique et indépendant de sûreté ».
Le risque de confondre expertise et prise de décision
Une décision qui inquiète l’IRSN : dans un communiqué 15 février, la commission d’éthique et de déontologie de l’institut a exprimé sa contestation, y voyant un projet de démantèlement. Il faut dire que tout l’intérêt de l’organisme réside dans le fait « qu’il n’est pas l’entité décisionnelle en matière de sûreté nucléaire ». La commission estime que « la confusion entre expertise et prise de décision au sein d’une même entité constituerait un recul considérable puisqu’il priverait d’indépendance cette expertise ».
Un saut en arrière pour la sécurité nucléaire
Dans le monde de la sûreté nucléaire, les avis s’alignent à celui de l’IRSN. « Ne pas avoir à prendre la décision, donne une liberté extraordinaire d’analyser l’ensemble des risques et de les mettre sur la table », confie à France Nature Environnement Maryse Arditi, physicienne nucléaire, ex-membre du comité d’orientation de la recherche en sûreté et en radioprotection de l’IRSN. Selon elle, il est crucial « d’avoir des gens dont le métier unique est de vérifier au maximum tous les risques et de tout faire pour les éviter ». Ainsi, elle considère cette réforme comme une « catastrophe », estimant que « c’est 30 ans en arrière pour la sécurité nucléaire ».
Miner le travail d’inspection
Entre les lignes, certains médias tels que Libération y dénoncent une manœuvre du gouvernement pour accélérer le chantier des nouveaux réacteurs pressurisés européens (EPR). Il faut dire que l’IRSN, en endossant le rôle d’inspection des centrales nucléaires, est chargé de signaler les moindres problèmes techniques ou manquements à la sûreté. Une mission qui n’est pas pour arranger EDF puisque ces inspections sont susceptibles de provoquer des mises à l’arrêt longues et coûteuses, pour effectuer les travaux de réparation imposés par l’ASN. Et donc, de retarder le calendrier.
Vers une application de la réforme
Quoi qu’il en soit, la fusion figure désormais dans le projet de loi relatif à l’accélération du nucléaire via l’amendement n°CE602 du 25 février. La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a demandé au président de l’ASN et au directeur général de l’IRSN de lui rendre leurs propositions sur l‘application de la réforme d’ici juin.
Des compétences maintenues
Face à la polémique, le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires se veut rassurant. Dans un nouveau communiqué publié le 23 février, il assure que « les compétences en matière de recherche et d’expertise en sûreté nucléaire en radioprotection, en protection et surveillance de l’environnement, seront maintenues ensemble au sein de la future autorité de sûreté ». La nouvelle organisation devra continuer à préserver la séparation entre « le contrôle et l’expertise » propres à l’IRSN et le « rôle de décision et de pilotage stratégique porté par le collège de l’ASN ».
Un manque de confiance
Toujours est-il que la commission d’éthique et de déontologie de l’IRSN reste sceptique face à cette méthode. « Les enjeux liés au renouvellement du parc électronucléaire français et à la prolongation de la durée de vie des centres d’exploitation électronucléaires auraient dû conduire à renforcer les moyens alloués à l’indépendance et à la compétence du dispositif en charge de la radioprotection, l’Institut actuellement. » La réforme pourrait donc bien saper ce système qui avait pourtant fait ses preuves.
Ségolène Kahn
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