Un florilège d'opérateurs trouvent sur le marché de la sécurité l'occasion de développer de nouveaux usages. En parallèle, la réglementation est en train d'être peaufinée afin de repousser les limites.
Mis à profit depuis environ 10 ans par l’Armée de Terre afin de mener des missions de renseignement et d’intervention, les drones débarquent enfin dans le monde de la sécurité civile. Bien que quelques modèles terrestres et sous-marins aient vu le jour, l’essentiel de l’offre se concentre sur les engins volants. Lesquels se scindent en deux catégories distinctes : les mini-drones (qui pèsent entre 2 et 25 kg) et les micro-drones (moins de 2 kg). Dotés d’un auto-pilote, tous sont capables de suivre une trajectoire de manière automatique, sans intervention humaine. Toutefois, au sol, la présence d’un télé-pilote est requise afin de reprendre le contrôle en cas de problème.
Aujourd’hui, une vingtaine de constructeurs et plus de 350 opérateurs se partagent le marché français qui est en pleine effervescence. « Au cours des 6 derniers mois, le nombre d’opérateurs a bondi de 110% ! », annonce Emmanuel de Maistre, président de la Fédération professionnelle du drone civil (FPDC) et co-fondateur de Redbird, un opérateur parisien pionnier dans le monde du drone français. Délaissant la simple photographie aérienne, qui représente encore 80% de l’offre, les opérateurs sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le marché de la sécurité. Encore embryonnaire, celui-ci se structure désormais autour d’applications de plus en plus pointues. Comme, par exemple, la surveillance de sites industriels, l’inspection d’ouvrages, la lutte contre le feu, l’expertise de sites endommagés par des catastrophes naturelles ou encore la mesure de la qualité de l’air.
Drones robustes. Trop légers pour être utilisés dans le cadre professionnel, les micro-drones sont souvent délaissés par les entreprises. À l’inverse, les mini-drones, à la fois robustes et endurants, sont plébiscités par les professionnels de la sécurité. Au total, entre dix et vingt expérimentations nationales seraient en cours à l’heure actuelle, selon les estimations des experts. Citons EDF, qui vérifie l’état de ses lignes électriques. GRT Gaz qui surveille son réseau de transport de gaz naturel (le plus long d’Europe). Ou encore la SNCF qui, après avoir procédé en 2011 à l’inspection du viaduc de Millau (Aveyron), s’est attaquée au pont de Roquemaure (Gard) fin 2013. « L’avantage d’un drone, c’est qu’il est capable de se rapprocher au plus près des ouvrages », souligne Nicolas Pollet, responsable de la mission Drone à la SNCF. En outre, un aéronef se révèle plus maniable qu’un hélicoptère… il coûterait même quatre fois moins cher !
Marchés naissants. Du coup, les nouveaux usages sont en plein essor. Citons en premier lieu la thermographie aérienne, qui vise à repérer les points d’infiltration d’eau, les ruptures de canalisation ou encore les erreurs de construction depuis l’extérieur d’un bâtiment. On y trouve pléthore de petites sociétés, dans la France entière. Comme Aircity diagnostic (Pyrénées-Atlantiques), Dronespirit (Alpes-Maritimes), Tech Drone Service (Gers) ou encore Drones Air Services (Paris). Il faut aussi noter l’engouement pour l’expertise après sinistre, proposée par Locadrone (Nord) ou encore Geofalco (Haute-Garonne). La surveillance d’infrastructures, grâce à Redbird et L’avion jaune (Hérault). N’oublions pas la réalisation d’audits de conformité, via CRB environnement (Pyrénées-Orientales). Ainsi que la détection radio-nucléaire, effectuée par Novadem (Bouches-du-Rhône). Dernière application à fort potentiel : le transport de médicament d’urgence (un simple drone de 2000 euros peut transporter un kilogramme de médicament). Par ailleurs, certains télé-pilotes n’hésitent pas à joindre l’utile à l’agréable en rejoignant la plate-forme Air Angel. Celle-ci vise à apporter de l’aide en cas d’urgence, d’intempéries, de catastrophe naturelle ou de plan Orsec afin d’établir un constat photographique des dégâts matériels, voire un bilan humain précis.
Vidéo-surveillance mobile. Dans un avenir proche, les opérateurs de drone se tourneront sans doute également vers la vidéo-surveillance. Même si, pour l’heure, peu d’entre eux se sont lancés. Au cours d’un récent colloque organisé par l’AN2V (Association nationale de la vidéoprotection), des experts ont estimé que les aéronefs sans pilote rendraient bientôt « la vidéosurveillance mobile. » D’ailleurs, fin 2013 à Marseille, des élus locaux ont proposé de recourir à des drones de vidéo-surveillance pour sécuriser la ville. Sans compter qu’en 2012 les manifestants du mouvement Occupy Wall Street, aux États-Unis, ont été nombreux à dénoncer l’utilisation de micro-drones par les autorités, à des fins d’espionnage. Cela n’a jamais été démontré. Mais, Michael Bloomberg, maire de New-York de l’époque, s’est clairement prononcé en faveur des drones de vidéo-surveillance en mars dernier. « Il faudra vous y habituer », avait-il déclaré au journaliste d’une radio locale.
Outil souple. L’avantage sur le marché des aéronefs télé-pilotés, c’est que le ticket d’entrée est faible (5.000 euros à 15.000 euros par drone). En outre, une fois l’appareil acheté il n’y qu’à changer de capteur pour répondre à une nouvelle demande. Il est aisé, par exemple, d’installer des microphones performants pour mesurer la pollution sonore. Un compteur Geiger pour analyser le taux de radioactivité dans l’air. Ou une caméra en très haute définition afin d’estimer le besoin en azote des plantes sur une parcelle agricole. Il n’y a pas vraiment de limites. « Un drone peut embarquer plusieurs capteurs en même temps, précise Mathieu Blaise, directeur associé chez Locadrone. Sauf lorsque cela pose un problème de poids. »
Réglementation incertaine. Le poids pose un problème réglementaire depuis que la France (premier pays au monde à avoir légiféré sur le sujet) a publié deux arrêtés le 11 mai 2012. Chapeautée par la DGAC (Direction générale de l’aviation civile), cette réglementation vise à limiter le passage des drones dans l’espace aérien. Elle se compose de différents scenarii d’utilisation (de S-1 à S-4) et de plusieurs classes de drones (de A à F). En combinant ces facteurs, l’opérateur sait quel rayon d’action il peut couvrir en fonction du drone qu’il utilise. Or – et c’est là que le bât blesse – les mesures s’avèrent trop strictes pour les mini-drones. Alors que ces derniers sont les appareils de prédilection des professionnels! La réglementation empêche, par exemple, l’opérateur d’un mini-drone d’automatiser le vol de son aéronef sur de longues distances. Il ne peut pas non plus piloter son appareil hors de sa vue. À la recherche d’une solution visant à surveiller de grandes étendues, nombreux sont les industriels qui ont haussé la voix. Ils ont obtenu la promesse d’une mise à jour de la réglementation. La nouvelle version devrait tomber dans le courant de l’année 2014.
Innovation à la pointe. Fort heureusement, l’innovation ne s’arrête pas en si bon chemin. En France, trois pôles de compétitivité nationaux mènent des programmes intensifs de recherche et développement (R&D) dans le domaine des drones : ASTech (Région parisienne), Aerospace Valley (Toulouse) et Pégase (Aix-en-Provence). Ils sont secondés par des réseaux régionaux, à l’instar du Cluster Aetos (Aquitain services et systèmes de drones) basé dans la région Sud-Ouest, qui regroupe une quarantaine de jeunes entreprises issues de la filière drone. Pour imaginer de nouvelles applications, le secret consiste à multiplier les expérimentations. En effet, les chercheurs se sont aperçus qu’en matière de drone, la demande façonne l’offre. En témoigne l’expérience du Sdis 40 (Service départemental d’incendie et de secours des Landes).
L’année dernière, la société Fly-n-sense (Gironde) a fourni à ces combattants du feu une flotte d’aéronefs afin de surveiller les incendies de forêt. « Non seulement ils ne peuvent plus s’en passer mais, en plus, ils se découvrent de nouveaux besoins ! », souligne Trang Pham, animatrice au sein du cluster Aetos. Difficile de ne pas songer aux essaims de drones (bien que le cluster reste discret sur le contenu réel de ces nouveaux besoins). À savoir, des escadrilles d’aéronefs interconnectés les uns avec les autres et capables de travailler ensemble, de manière automatique et sans jamais entrer en collision. Avantage : si l’un des drones tombe en panne, le système entier peut continuer de fonctionner et effectuer la tâche pour laquelle il est programmé. Couplé à de la reconnaissance gestuelle, une technologie actuellement développée chez Aetos, un simple geste de la main pourrait suffire à contrôler des dizaines de drones en même temps.
Guillaume Pierre
Bientôt un permis de télé-pilotage !
La commission européenne veut durcir les règles d’accès à la profession de télé-pilote
La Commission européenne est en train de travailler à une harmonisation de la réglementation en matière de drones. La législation française sert notamment de base à sa réflexion. Dans l’optique de durcir les textes, l’instance européenne veut instaurer un permis pour drone.
Télé-piloter un drone n’est pourtant pas une chose très difficile. La plupart du temps les déplacements s’effectuent au clic de la souris : l’utilisateur n’a qu’à sélectionner une zone sur son écran pour que le drone s’y dirige automatiquement. En pratique, le télé-pilote se contente de modifier le plan de vol.
Une seconde alternative consiste à piloter le drone à vue, avec sa télécommande. La troisième voie porte sur le mode de télé-pilotage, à savoir le FPV (First Personal View – Vue à la première personne), est plutôt réservé aux initiés. En clair, un flux vidéo est récupéré en temps réel à partir de la caméra embarquée sur le drone, puis il est affiché sur un écran ou dans un casque de réalité virtuelle. Coupé du réel, et doté d’une manette ou d’un joystick, l’utilisateur télé-pilote le drone comme s’il était à l’intérieur.
Aujourd’hui, l’offre de formation en télé-pilotage est riche. Elle dure de 5 à 7 jours et la plupart des opérateurs la propose d’office dans leur catalogue.
G.P.
Risque drone : Pour l’instant tout va bien
Et si les terroristes mettaient à profit des drones afin de mener des attaques ciblées ?
Loin des pôles de compétitivité et des clusters officiels, certains constructeurs de drones ne sont pas (et ne seront jamais) enregistrés à la DGAC. Il s’agit des Makers. Un terme, que l’on peut grosso modo traduire par »Communauté de bricoleurs passionnés ».
À l’origine, ils puisent leurs racines dans l’aéromodélisme. Adeptes des réseaux-sociaux, ils partagent ensuite leurs plans gratuitement sur Internet. Ce qui signifie qu’à l’aide d’une imprimante 3D, n’importe quel internaute peut télécharger et construire un drone en un clin d’oeil.
Du coup, demain, les entreprises et leurs salariés auront peut-être à affronter des attaques de drones. Dès aujourd’hui, un terroriste peut d’ailleurs, aisément, se construire plusieurs aéronefs. Puis les doter d’un logiciel Open Source, ou développé par ses soins, afin de les transformer en essaim de drones.
Ensuite, il lui suffit de charger chaque machine volante avec une petite dose d’explosif. Et d’enregistrer la position de son choix via le dispositif GPS de l’appareil. Enfin, à l’heure choisie, l’essaim de drones prendra son envol automatiquement et se dirigera vers sa cible…
G.P
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