Experts de l’architecture numérique du système de sécurité d’un bâtiment, les intégrateurs font face à la démocratisation des solutions à installer soi-même et témoignent de la difficulté à communiquer sur leur propre valeur ajoutée.
Avec une croissance à deux chiffres, une chose est sûre, le marché de la sûreté et de la sécurité se porte bien. « Nous sommes à l’ère du bâtiment connecté, de la maison intelligente et de la Smart City, explique Stéphanie Tucoulet, secrétaire générale de l’Alliance nationale des intégrateurs de technologies sécurisées et pilotées (Anitec), anciennement SVDI. Le marché se dirige vers l’intégration comme une solution complète : l’intégrateur sélectionne les produits, les installe, les programme et les met en service. Et cela avance très vite. L’enjeu est donc d’intégrer un maximum de fonctionnalités chez soi, dans l’entreprise, sur les réseaux. »
Le danger des systèmes « Plug and Play »
L’enjeu économique va de pair avec la sécurisation des données. Le règlement général sur la protection des données personnelles en Europe (RGPD) « est un processus extrêmement complexe à mettre en place, poursuit Stéphanie Tucoulet. Aucun smartphone n’est véritablement sécurisé et c’est souvent par ce biais que l’on commande la lumière, la caméra, le portail. » La démocratisation des systèmes à installer soi-même accentue le problème de la sécurité. « Une porte domotique se déclenche à distance : plus besoin de cambrioler, il suffit de la pirater. Or, la sécurisation des systèmes et des données est obligatoire, sans quoi cela reviendrait à donner les clés à n’importe qui ! C’est le risque majeur du « Plug and Play » (prêt-à-poser). Face à cela, les professionnels savent installer des systèmes de sécurité fiables. C’est leur métier et leur responsabilité. »
Un travail de lobbying à mener
Pour sa part, François Delhaye, président de la Fédération française du bâtiment (FFB) des Hauts-de-France, président de la commission formation à la Fédération française du génie électrique et énergétique (FIEE) et gérant de Télécoise – société basée à Beauvais (60) qui emploie 225 personnes (CA à mars 2018 de 20,6 millions d’euros) – met en garde contre le « Do It Yourself » (DIY). « Nous avons déjà été appelés par des particuliers qui ont installé eux-mêmes la motorisation du portail, le contrôle d’accès, le vidéoportier, etc. Le problème, c’est que nous avions parfois du mal à identifier l’estampillage normatif sur les produits ainsi que les règles d’installation ou encore les risques d’incompatibilité entre produits. » Une situation qui devrait conduire la profession à développer une stratégie de lobbying. « C’est un enjeu pour toute une catégorie professionnelle. Nous devons nous inquiéter de la démocratisation des actions menées par certains réseaux de distribution : formation dirigée vers les artisans, journées d’informations, etc. Elles n’ont qu’un but : ficeler l’installateur avec un fabricant et le fidéliser au réseau de distribution concerné, reprend François Delhaye. Les intégrateurs doivent s’organiser, mutualiser leurs savoirs et lancer des campagnes de communication à destination des professionnels. » C’est déjà le cas à l’Anitec qui, sans conseiller sur le choix de matériels, recommande les produits conformes aux normes et réglementations en vigueur.
Moins de sophistication mais plus de perfectionnements
En outre, les grandes surfaces de bricolage, boutiques en ligne et même des banques vendent des systèmes d’alarme pas toujours très fiables à des particuliers, artisans et TPE-PME. Qui plus est, si ces systèmes ne sont pas installés par un professionnel, en cas de vol ou de cambriolage, aucun remboursement n’est à attendre de la part des assurances. A contrario, « sur le marché professionnel, les installateurs ne privilégient pas la sophistication des fonctionnalités mais plutôt leur perfectionnement, ajoute Stéphanie Tucoulet. En effet, les systèmes gèrent davantage de données qu’auparavant. Et, avec l’intelligence artificielle, ils deviennent capables de faire du tracking, du comptage, de la consommation énergétique, de la sûreté, etc. Grâce à l’analyse des données, les professionnels sont donc en mesure de prévoir et préconiser des améliorations auprès de leurs clients. »
Vers des systèmes moins tributaires d’Internet
A son tour, le marché grandissant des objets connectés pose également le défi de l’intégration et de la sécurisation de toutes ces nouvelles données. « Pour l’instant, nous n’avons pas eu à déplorer de véritable cyberattaque sur les systèmes de sécurité. Nous avons tout juste à gérer des actions de piratage sur de petites caméras de vidéosurveillance, constate Olivier Granon, consultant et gérant de la société Home Integration, basée à Champs-sur-Marne (77). Mais c’est sans compter les terribles attaques en déni de service distribué (DDoS) du virus Mirai, diffusées à partir des caméras de vidéosurveillance du chinois Hangzhou Xiongmai Technology. Pourtant, des attaques de plus grande ampleur sont à prévoir. Pour réduire le risque, la solution consiste peut-être à créer des produits qui n’ont pas besoin d’internet pour communiquer. Sauf lorsqu’ils sont maintenus à distance. » Autrement dit, les fabricants doivent probablement recentraliser l’intelligence dans l’objet connecté, en dehors du cloud, par exemple à l’aide de micro-processeurs plus puissants et de réseaux de type LoRA, Qowisio ou Sigfox.
Les installateurs-intégrateurs ont également une valeur ajoutée non négligeable en matière d’interopérabilité des systèmes. « Nous développons des interfaces matérielles et logicielles pour que l’utilisateur n’ait qu’une seule machine qui pilote le contrôle d’accès, la détection, d’intrusion, la vidéosurveillance et la domotique, explique Jean-Marc Bouyssonie, délégué régional de l’Anitec et gérant de l’entreprise Escrimes, basée à Lyon (CA 2017 : 1,4 million d’euros). L’idée est de sélectionner les meilleurs produits et d’en faire un système global de haute qualité. Car, grâce à une veille technologique constante, notre expertise nous conduit à bien connaître les points forts et les points faibles des produits. C’est ce qui nous permet de les sécuriser. »
Quid de la certification des intégrateurs ?
A l’heure actuelle, il n’existe aucune procédure, aucune licence pour garantir la reconnaissance professionnelle et morale d’un installateur. En effet, le métier n’est pas couvert par le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). Sauf lorsqu’il entre dans le champ de la télésurveillance et du gardiennage. « Le Cnaps est un organe très récent, reprend la secrétaire générale de l’Anitec. Faire évoluer son champ d’action sera long. En revanche, nous travaillons à la création d’un label RGPD pour les intégrateurs. » L’Anitec souhaite une réforme pour permettre aux entreprises d’obtenir, en amont d’une embauche, des indications sur l’honnêteté et la probité d’un candidat technicien installateur. « Aujourd’hui, sans le savoir, une entreprise peut recruter un technicien qui a déjà été condamné pour du cyberpiratage et l’envoyer chez un client afin de mettre en service un système de sécurité ou d’en faire la maintenance. En cas de problème, la responsabilité de l’employeur sera engagée », met en garde Stéphanie Tucoulet.
Seules certaines qualifications sont gages de qualité d’une entreprise, comme Qualifelec, pour les électriciens. De son côté, Olivier Granon travaille sur des labels de qualité avec la Fédération de Domotique. Mais le problème, c’est leur coût. « Comment être sûr que l’investissement de l’entreprise sera rentabilisé ? Car c’est l’intégrateur qui passe le certificat, pas l’entreprise », soulève le gérant de la société Home Integration. La formation sur KNX, un protocole de communication domotique européen, coûte 1 500 euros. « Peu de personnes sont prêtes à payer, alors que la solution a un potentiel phénoménal », regrette Olivier Granon. L’Anitec a, quant à elle, mis en place des référentiels de formation et créé le premier certificat de qualification professionnelle inter-branches (CQPI) pour les installateurs et intégrateurs dans la métallurgie et le bâtiment.
Caroline Albenois
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