Fort d'un premier bilan d'étape, le chantier de moralisation lancé au début de la décennie est bien avancé alors que se prépare une refonte de la législation sur la sécurité privée.
5,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2012, près de 9.600 entreprises, dont plus de 5.500 sans aucun employé, 148.350 salariés dont 60,5% ont été embauchés dans l’année… tel est, en quelques chiffres, le tableau d’une profession extrêmement éclatée que dresse l’Observatoire des métiers de la prévention et de la sécurité réalisé par l’institut I+C – dont la dernière édition a été publiée en septembre 2013. Difficile, dans ce contexte, d’assurer une homogénéité des comportements dans des métiers difficiles, soumis à des fortes contraintes comme le risques d’agression. D’autant que les perspectives d’évolution de carrière sont réduites.
Pourtant, la demande de sécurité privée a, ces dernières décennies, véritablement explosé. Certes, une loi régissant la sécurité privée avait bien été adoptée en 1983, « mais si elle prévoyait une réglementation finalement très stricte de la profession, aucun véritable contrôle n’était, de fait, assuré de manière pérenne, faute de moyens », explique Olivier Duran, directeur délégué à la communication du Syndicat national des entreprises de sécurité (Snes). Un état de fait que reconnaît Jean-Yves Latournerie, préfet et directeur du Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps): « Nous avions une belle protection juridique mais la croissance du volume d’activité l’a largement submergée, faute de contrôle du respect de ces règles. » Cette situation, bien entendu, nuisait aux entreprises les plus sérieuses. C’est donc avec le soutien de la profession que les pouvoirs publics ont, peu à peu, repris la situation en main avec une philosophie claire : insuffler plus d’éthique dans le métier.
Deux nouvelles institutions et deux chantiers. La première étape a été, en 2009, d’instaurer une carte professionnelle obligatoire, ce qui permettait de vérifier que les agents disposaient bien tout à la fois de la formation de base requise et d’une moralité compatible avec l’exercice de ces métiers. En septembre 2010, a été créé, par décret, le poste de DIPS (Délégué interministériel à la sécurité privée). Le préfet Jean-Louis Blanchou a constitué une petite « task force ». « La profession disposait enfin d’un interlocuteur unique. C’était une avancée considérable », analyse Olivier Duran au Snes. « En harmonie avec la profession, il a immédiatement lancé deux chantiers : la rédaction d’un code de déontologie pour les activités privées de sécurité ainsi que la création et la mise en place du Cnaps, poursuit Patrick Levaye, adjoint de Jean-Louis Blanchou. La profession a donc été d’accord pour organiser son contrôle mais aussi pour le payer puisque le Cnaps est financé par une taxe assise sur le chiffre d’affaires des entreprises. » Son travail a commencé en janvier 2012 avec deux missions principales : contrôler les activités des sociétés de sécurité privée et délivrer les cartes professionnelles.
Les quelque 1.488 contrôles réalisés en 2013 ont permis de constater des infractions plus ou moins graves : absence de carte matérialisée, emploi d’agents sans carte professionnelle, tenue non conforme, notamment. Des sanctions – financières et disciplinaires, dont des interdictions d’exercer – ont été prononcées (voir interview). « Ceci a amorcé un cercle vertueux, estime Olivier Duran. Cependant, vus les délais des recours et la réactivité des contrevenants, l’assainissement est tout juste engagé. Nous sommes encore dans une période de rodage. Et, sur le terrain, on ne ressent pas encore le tournant vertueux annoncé et financé par la profession. » En tous cas, cette moralisation n’a pas, pour l’heure, eu pour résultat une plus grande concentration de la profession.
Une nouvelle loi en gestation. Mais le travail de moralisation ne fait que commencer : d’autres dossiers vont désormais être abordés. Notamment à l’occasion du projet de loi sur la sécurité qui sera présenté à la fin du mois de juin en conseil des ministres et qui devrait être adopté par le Parlement d’ici la fin de l’année. Les organismes de formation figureront en bonne liste dans ce projet de loi. En effet, certains d’entre eux délivreraient bien trop facilement le fameux Certificat de qualification professionnelle (CQP) indispensable à l’obtention de la carte professionnelle. « L’idée serait de soumettre les dirigeants des organismes de formation aux mêmes procédures d’autorisation d’exercer que les dirigeants d’entreprises de sécurité privée, explique Jean-Yves Latournerie. Autrement dit, il s’agirait de s’assurer qu’ils détiennent une réelle qualification professionnelle et qu’ils respectent les conditions de moralité de la profession. » Resterait ensuite à organiser le contrôle soit par le Cnaps directement soit via l’obligation de renouveler régulièrement une certification.
Cependant, la profession a une petite crainte : outre la formation, ce sont les coopérations entre les différents types de sécurité (nationale, municipale, privée) qui constitueront vraisemblablement l’essentiel du projet de loi. Un nouveau sujet, un peu plus éloigné de l’éthique. Créée pour trois ans, le DISP va du reste disparaître avec le départ en retraite de Jean-Louis Blanchou, fin juin. Lequel sera remplacé par un tout nouveau Délégué aux coopérations de sécurité, en l’occurrence Thierry Coudert qui va prendre très prochainement ses fonctions. Reste à voir si la sécurité privée restera au cour de sa mission.
Le rôle des acheteurs. Mais l’éthique ne dépend pas que de la réglementation. « Elle vient aussi du comportement des acheteurs, enchaîne Olivier Duran. A trop vouloir discuter les prix, ceux-ci entretiennent des comportements discutables de la part de certains acteurs du marché. » Sous l’égide de la DISP, une charte des bonnes pratiques d’achat a été rédigée par la profession et signée par environ 300 signataires, acheteurs et entreprises. « Mais pourquoi les grands prestataires et donneurs d’ordres la boudent-ils ? », interroge Olivier Duran.
Donner des perspectives d’évolution à des agents qui, aujourd’hui, en manquent cruellement, représente aussi un défi pour augmenter la professionnalisation, et, partant, le respect de la déontologie. Une partie de la taxe perçue pour financer le Cnaps va du reste être confiée à un fonds de modernisation sociale. La réflexion sur son utilisation a été confiée à Michel Ferrero, président du Snes. quoi qu’il en soit, la profession connaîtra en 2016 un véritable « stress test » avec l’organisation de l’Euro de football. Pour assurer la sécurité dans les stades, il faudra alors trouver suffisamment d’agents formés et détenteurs de leur carte !
Catherine Bernard
Jean-Yves Latournerie, directeur du CNAPS : « La peur du gendarme a été efficace »
« Nous avons veillé à organiser des contrôles immédiatement après notre création. Le premier a eu lieu de 6 janvier 2012 ! Ceci a montré notre détermination. Nous avons ensuite rodé nos méthodes de contrôle et même publié une charte des contrôles. Plus personne, désormais, ne peut ignorer la réglementation.
« La « peur du gendarme » a été efficace puisque le nombre de demandes de cartes professionnelles a augmenté bien plus que le chiffre d’affaires de la profession, témoignant sans doute de démarches de régularisation.
« Certes, les sanctions n’ont pas été immédiates car nous devons suivre des procédures bien définies : les premières ont été prononcées en octobre 2012. Mais, en 2013, nous en avons prononcé 345. Et nous avons encore des dossiers disciplinaires « en stock ». Il est important, maintenant que nos méthodes sont rodées, que nous puissions continuer sans que le législateur n’élargisse trop nos compétences au-delà du nécessaire pour que nous puissions rester totalement efficaces. »
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