Comment présentez-vous le phénomène du présentéisme ?
Avec près d’un demi-milliard de jours d’absence pour motif de maladie ou d’accident du travail en 2014, les préoccupations des entreprises françaises se tournent légitimement vers les moyens de réduire l’impact de l’absence sur leur activité. Quitte souvent à en oublier les présents… Statistiquement, selon l’entreprise considérée, entre 30% et 50% »seulement » des salariés connaissent une absence dans l’année. On peut penser que, s’ils ne sont pas absents, c’est parce qu’ils ne sont pas malades. Ce sont de »sacrés chanceux » car, souvent, ce sont les mêmes qui, d’une année à l’autre, passent au travers des gouttes. Peut-être sont-ils aussi en excellente santé ? La démographie ne plaide pourtant pas pour eux. En effet, pourquoi y aurait-il tant de seniors, plus d’hommes que de femmes, plus de managers que d’employés dans cette population à la »santé de fer » ? La réalité c’est qu’une partie d’entre eux n’ont pas d’absence parce qu’ils vont travailler même lorsqu’ils sont malades alors qu’un arrêt de travail se justifierait médicalement. C’est ce que l’on appelle le présentéisme.
Pourquoi de si nombreuses personnes renoncent-elles à leur arrêt de travail même avec une justification médicale ?
Une première raison qui amène certains salariés à renoncer à l’arrêt c’est son coût. Il est vrai qu’en l’absence de prise en charge complémentaire au régime général, la perte de salaire en cas d’absence maladie peut être conséquente. Cela concerne principalement des employés et les ouvriers, avec de bas salaires, et souvent en CDD. Bon nombre de salariés concernés par le présentéisme n’entrent toutefois pas, loin s’en faut, dans cette catégorie. Il s’agit cette fois plutôt de cadres, souvent d’âge mûr (et souvent des hommes), en responsabilité d’une équipe, pour lesquels le coût de l’absence est nul. Les motifs pour lesquels ils renoncent à l’arrêt sont bien différents. Pour l’essentiel, il s’agit de salariés qui pensent que leur devoir est de ne pas s’absenter, par principe ou parce qu’ils considèrent que les conséquences seraient trop négatives pour l’entreprise : désorganisation de leur équipe, insatisfaction client, perte d’opportunités commerciales…
Normalement, l’entreprise devrait se se réjouir d’un tel engagement…
Certes mais, en réalité, est-ce vraiment bénéfique pour elle ? En effet, réduire l’absence, dans un contexte où elle prend des proportions considérables, semble bienvenu. Mais à y regarder de plus près, promouvoir le présentéisme peut se révéler une mauvaise opération.
Pour quelles raisons ?
On ne s’en préoccupe guère qu’en période d’épidémies mais un salarié malade sur son lieu de travail représente un risque aggravé de contagion et finalement d’accroissement de l’absence des autres. Au-delà de la santé des autres, le salarié »présentéiste » prend également le risque de dégrader la sienne. De nombreuses études médicales mettent en évidence l’influence de ce comportement sur le développement de pathologies graves, physiques. Dont, par exemple, les maladies cardio-vasculaires ou psychologiques. Je pense, en particulier, à la dépression et au burn-out. Répondre à tout prix aux impératifs de production de l’entreprise risque de mettre un jour le salarié hors d’état de la servir plus longtemps. Sans compter que le salarié malade est significativement moins performant : la perte de productivité associée au présentéisme est estimée à plus de deux fois le coût de l’absentéisme ! Bien sûr, on peut difficilement inciter les salariés à prendre davantage d’arrêts de travail. En revanche, force est de reconnaître que, parfois, les présents aussi ont tort.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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