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Risques industriels et environnementaux

Scandale au fipronil : des œufs contaminés ont été vendus par millions en Europe

Strictement interdit dans les élevages avicoles de l'Union européenne, cet anti-parasite a pourtant été utilisé. Au moins deux millions d’œufs, distribués dans une quinzaine d'États-membres, ont ainsi été contaminés. Le point sur les origines du scandale, les failles des mécanismes d'alerte et les mesures adoptées.

France, Roumanie, Allemagne, Suède… La crise des œufs contaminés au fipronil a déjà touché une quinzaine de pays de l’Union européenne. Pourtant strictement interdit dans les élevages de poules de l’Union européenne, cet antiparasite a malgré tout été utilisé par des sociétés de désinfection intervenant dans des exploitations avicoles aux Pays-Bas et en Belgique. Cette nouvelle crise sanitaire démarre le 1er août dernier lorsque l’organisme néerlandais de sécurité alimentaire révèle qu’une substance toxique a été retrouvée dans des centaines de milliers d’œufs. L’affaire rebondit le 4 août en Allemagne où la chaîne de hard-discount Aldi retire brusquement tous ses œufs de la vente outre-Rhin. Mesure de précaution, dit-on, après la découverte, dans certains œufs néerlandais, d’un taux élevé de fipronil, un insecticide toxique dont l’usage est pourtant interdit par l’Union européenne dans le traitement des animaux destinés à la chaîne alimentaire.

Deux sociétés mises en cause

Immédiatement, la société néerlandaise ChickFriend, spécialisée dans la désinfection d’élevages, est visée. Elle proposait aux exploitants avicoles un traitement commercialisé sous l’appellation Dega-16 afin d’éradiquer efficacement le pou rouge, un parasite très néfaste pour les poules pondeuses. Selon les médias belges et néerlandais, la société en question aurait acheté son désinfectant dans le nord de la Belgique, auprès de la société Poultry-Vision. Les œufs contaminés ont ensuite été exportés dans différents pays européens. Au moins trois millions en Allemagne, près de 700.000 au Royaume-Uni, environ 250.000 en France… D’autres se sont retrouvés en Belgique, en Suède, en Suisse, en Autriche, au Luxembourg, en Roumanie, en Slovaquie ou encore au Danemark.

Interdit pour les animaux destinés à la consommation humaine

C’est un anti-parasitaire très puissant, couramment utilisé dans des produits vétérinaires destinés aux animaux de compagnie. Il permet de lutter efficacement contre puces, poux, tiques et acariens. Ce biocide, synthétisé par le groupe français Rhône-Poulenc dans les années 1980, a été commercialisé à partir de 1993. En 2004, la plupart des pays européens (dont la France) a interdit son utilisation dans l’agriculture – le fipronil était accusé d’entraîner une surmortalité des abeilles – mais il reste autorisé en Belgique et aux Pays-Bas. Son usage chez des animaux destinés à la consommation humaine, comme les poules, est néanmoins interdit dans l’ensemble de l’UE. De son côté, la classification de l’Organisation mondiale de la santé estime ce produit modérément toxique pour l’être humain. Cependant, à forte dose, cet insecticide peut entraîner des troubles neurologiques et des vomissements. Ingéré en grande quantité, il peut causer des dommages au niveau du foie, de la thyroïde et des reins, précise l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire en Belgique.

Un danger limité pour la santé humaine

« Compte tenu des concentrations observées à ce jour dans les produits contaminés, le risque est très faible », poursuit l’Agence nationale de sécurité sanitaire. En effet, il faudrait ingérer dix œufs contaminés par jour pour qu’un adulte ressente des effets négatifs. Néanmoins, « il peut y avoir un risque à moyen ou long terme si l’on consomme régulièrement des produits ayant un niveau important de fipronil, précise Fany Molin, sous-directrice de la Sécurité sanitaire des aliments au ministère français de l’Agriculture, interrogée par Le Parisien. Il n’y a pas de risque de s’empoisonner en mangeant une brioche qui en contiendrait des traces. » Par précaution, et dans l’attente des résultats des analyses, des produits de la grande distribution à base d’œufs provenant des élevages contaminés ont toutefois commencé à être retirés des certains magasins. Selon le ministère de l’Agriculture, près de 250.000 œufs contaminés au fipronil ont pu être consommés par les Français depuis le mois d’avril. Dont 48.000 œufs en provenance des Pays-Bas, mis en vente par les magasins Leader Price entre le 19 et le 28 juillet.

Défaillance des mécanismes de contrôle

« Nous sommes au courant depuis début juin qu’il y avait potentiellement un problème de fipronil dans le secteur avicole », a confirmé Katrien Stragier, porte-parole de l’Agence belge pour la sécurité alimentaire, sur une chaîne de télévision flamande. Alertée début juin, la Belgique a attendu le 20 juillet pour informer les autres pays, un délai critiqué par l’Allemagne et la France. En retour, Denis Ducarne, le ministre belge de l’Agriculture, a désigné les Pays-Bas comme responsable. Selon lui, les autorités étaient au courant depuis novembre 2016, document interne à l’Agence néerlandaise de santé à l’appui. Une information démentie par La Haye. Si les mécanismes de surveillance et de contrôle se sont montrés défaillants, c’est surtout la communication entre les pays qui a fait défaut. Le ministre françaises de l’Agriculture, Stéphane Travert, a regretté « ne pas [avoir pu] réagir dès les premiers instants », rapporte France Info La Belgique a-t-elle fait de la rétention d’information ? Elle dit avoir agi de la sorte afin de préserver le secret de l’instruction de l’enquête pour fraude qui était en cours depuis le signalement, début juin. Assez de temps, malheureusement, pour laisser entrer sur le territoire des œufs contaminés. Quant au pays batave, accusé par la Belgique d’être au courant depuis 2016, il prétend qu’à cette époque, il ne s’agissait « que d’un signalement anonyme, un soupçon de fraude. » Pour sa part, Christian Schmidt, ministre allemand de l’Agriculture, a haussé le ton : « J’attends des autorités compétentes qu’elles élucident ce dossier rapidement et minutieusement. La Belgique et les Pays-Bas en ont particulièrement l’obligation […]. Quelqu’un a clairement procédé avec une énergie criminelle à frelater des œufs avec un produit interdit. »

Mesures de rattrapage

Conséquence : des millions d’œufs ont été retirés du commerce en urgence. Des analyses ont ensuite été lancées dans les cinq entreprises françaises touchées par la contamination. Pour l’une d’entre elles, Igreca, basée dans le Maine-et-Loire, elles se sont révélées négatives. La direction départementale de la protection des populations du département a bloqué les œufs sur place et stoppé les exportations. Pour l’instant, seul un élevage dans le Pas-de-Calais a été mis sous surveillance, après le signalement par le producteur de l’utilisation de fipronil. Ensuite, des enquêtes ont été lancées dans plusieurs pays pour retracer les circuits de commercialisation des lots contaminés. En France, 4.500 fonctionnaires seront mobilisés pour auditer les élevages ainsi que 80 ateliers d’ovoproduits (les produits dérivés des œufs). Deux enquêtes distinctes ont été ouvertes en Belgique et aux Pays-Bas. En Belgique, onze perquisitions ont été menées et l’enquête cible désormais 26 personnes et entreprises suspectes, selon le parquet d’Anvers.

Des opérations concertées ont aussi été menées entre la Belgique et les Pays-Bas. Jeudi 10 août, des perquisitions ont mené à l’interpellation, aux Pays-Bas, de deux dirigeants d’une des entreprises incriminées, ChickFriend. Pour sa part, la Commission européenne a annoncé son intention d’organiser une réunion de crise. Le commissaire à la Santé, Vytenis Andriukaitis, veut une « réunion de haut niveau rassemblant les ministres concernés ainsi que les représentants des agences de sécurité alimentaires dans tous les États-membres impliqués ». Et ce dès que l’ensemble des faits (c’est-à-dire les résultats des enquêtes) sera à la disposition de la Commission.

Erick Haehnsen

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