Depuis la crise économique de 2008, on assiste à deux phénomènes contradictoires. D’une part, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes mondiales a augmenté de 35% en 2013 (+25% pour les 100 plus grosses fortune françaises), selon le classement Fortune 500 de Forbes. D’autre part, les risques psychosociaux, la souffrance et la pénibilité au travail n’ont cessé de progresser. Faut-il, pour s’enrichir, faire inexorablement souffrir ses employés ? En fait, lorsque l’on analyse les rapport d’activité des grandes entreprises, on s’aperçoit que les sociétés plus rentables sont certifiées ISO 9001 (assurance de la qualité), ISO 14001 (qualité environnementale) et OHSAS 18001 (sécurité et santé au travail). Pour développer les bonnes pratiques la Commission européenne compte bientôt proposer un nouveau cadre stratégique 2014-2020 favorable à la qualité de vie au travail (QVT). De son côté, le gouvernement français s’apprête à lancer son troisième Plan Santé au Travail (PST) pour 2015.
On peut comprendre les pouvoirs publics car, in fine, la souffrance au travail provoque des dommages qui pèsent sur les finances publiques – donc sur nos impôts. En effet, plus de 3 millions de travailleurs sont victimes d’un grave accident du travail dans l’Union européenne chaque année. Et, toujours selon la Commission européenne, 4.000 salariés décèdent chaque année des suites d’un accident sur leur lieu de travail ! Or la même Commission avait enregistré, lors de son précédent cadre stratégique, une réduction de 27,9 % du nombre d’accidents du travail engendrant une absence de plus de 3 jours. Au-delà ces chiffres macroscopiques, on peut considérer plus globalement que QVT et bien-être au travail (BET) riment avec compétitivité. Quelles sont les meilleures méthodes ?
La pénibilité coûte cher. Tout d’abord, mieux vaut sortir sa calculette car non seulement la pénibilité coûte cher mais elle va coûter de plus en plus cher. « Si l’on considère les 6 décrets sur la pénibilité qui viennent d’être publiés en France au JO, il apparaît que le calcul des cotisation sociales salariales et patronales va se baser sur l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité au travail. Plus les entreprises vont exposer leurs salariés, plus cher elles vont payer (de 0,2 à 0,4 % de la masse salariale). Ensuite, il faut voir qu’un accident du travail coûte déjà très cher : en moyenne 15 000 euros en coûts directs. Ainsi une entreprise de 1.000 salariés paie-t-elle, en moyenne, 500.000 euros par an. Pourtant, il est assez facile de diviser cette somme par deux. Dommage de devoir passer, le plus souvent, par la contrainte réglementaire », constate Frédéric Caillaud, directeur métiers HSE (Hygiène, sécurité, environnement) France au Bureau Veritas, expert en prévention, formation et diagnostic en matière de pénibilité, RPS (Risques psychosociaux…) qui n’établit pas de différence fondamentale entre QVT et BET. On comprend pourquoi toutes les entreprises qui mettent en place une stratégie de performance en matière de QVT ou de BET sont également les plus rentables. »
Réticence à réorganiser le travail. « C’est généralement à cause de la réglementation que les entreprises mettent en place des programmes de sécurité et de santé au travail. Elles n’y viennent pas naturellement, confirme Olivier Raquin, directeur du cabinet Ergonalliance. Outre le coût immédiat qu’y voit le chef d’entreprise, c’est surtout la remise en question son organisation du travail qui bloque. Et il n’aime pas ça. D’autant que depuis les années 90, c’est-à-dire les débuts de la mondialisation de l’économique et des marchés, on constate une forte intensification du travail. Et cette intensification s’accélère avec la propagation du Lean Management, notamment du Lean Office. » C’est une mauvaise nouvelle. Car, contrairement aux pratiques collectives qui ont cours en Asie, et principalement au Japon où le Lean Management a été inventé, en France, le Lean résulte d’une décision Top-Down où les personnes concernées ne sont pas consultées. « On ne fait alors plus le lien entre le Lean Management et les maladies professionnelles. Le risque, c’est de générer de la »qualité empêchée ». La quelle se traduit ensuite par du mal-être au travail, des TMS ou des RPS, déplore Olivier Raquin. Or le travail de l’ergonome, souvent consulté pour des problèmes de qualité, peut amener à s’interroger sur la qualité et, dans la foulée, sur la QVT, l’organisation du travail et même la définition des fiches de poste. »
Ne plus travailler forcément au bureau. Autre problème de qualité, le temps et l’argent perdus dans les embouteillages pour aller au bureau et en revenir. Selon une étude d’Inrix, l’opérateur américain d’info-trafic, les bouchons ont coûté 17 milliards d’euros en 2013 en France. Soit 46 millions d’euros par jour ! Le problème risque de perdurer car la majorité des entreprises ne dissocie par le travail du bureau. Par ailleurs, les accidents de la route sur le chemin du travail constitue une grande partie des accident du travail. « Nous avons fait émerger de nouvelles règles de fonctionnement dans notre entreprise. Il s’agissait de mettre en cohérence l’efficacité, les lieux et le respecter de l’environnement, souligne Philippe Tessier, responsable marketing France chez Plantronics, un fabricant international de micro-casques et d’oreillettes téléphoniques qui a massivement instauré le télétravail à domicile ou en nomade. Aujourd’hui, ce n’est pas le lieu de travail ou de réunion qui importe le plus mais plutôt la disponibilité de la personne que l’on cherche à joindre. Pour cela, nous avons en interne une sorte de Skype qui indique, pour chaque personne, son statut (disponible, ne pas déranger…). Nous avons même appris à organiser et conduire des réunions téléphoniques de manière efficace. » L’impact financier de cette nouvelle organisation est énorme. « Nos immeubles de bureaux se sont vidés ! Nous avions 5 plateaux, nous n’en avons plus que 2. Nous louons les 3 autres. Nous avons réaménagés les lieux pour qu’ils soient plus conviviaux et agréables même s’ils sont plus petits », reprend Philippe Tessier.
Autonomisation, QVT et compétitivité. Après la compétitivité immobilière, place à la compétitivité liée à la QVT. « Nous établissons clairement un lien entre l’autonomisation des salariés, la QVT et la compétitivité, annonce Bernard Rohmer, président du Mouvement pour l’organisation et le management du 21ème siècle (MOM 21). C’est ainsi que nous étudions les organisations qui se sont »libérées ». Pour la majorité d’entre elles, le point d’entrée, c’est la confiance que l’on accorde aux salariés car, pour être heureux au travail, il faut que les salariés soient autonomes. » Les résultats sont étonnants : « Le patron de la SEW (mécanique de haute précision) pour qui nous avons travaillé a lancé le programme Perf’Ambiance d’autonomisation des salariés. Quelques années plus tard, il fait visiter son usine à un autre patron qui lui dit : « Nous n’avons pas les mêmes ouvriers. » Il lui a répondu : « Il y a 4 ans mes ouvriers étaient comme les tiens ! », reprend le président de MOM 21 qui estime que, lorsque les salariés sont plus autonomes, ils sont aussi plus efficaces et plus heureux. Un autre industriel a mis fin aux cadences et aux objectifs de production imposés. Sa ligne de production a accru sa productivité de 15% ! En fait les salariés sont bloqués s’ils travaillent toujours pour un »pourquoi » et jamais pour un »comment ». En devenant autonomes, ils travaillent pour un »comment » et cela change tout. » En revanche, il n’existe pas encore de méthode pour »libérer » les organisations. A chaque patron de trouver le chemin de l’autonomisation de ses salariés.
Erick Haehnsen
Commentez