Le 28 août dernier, la députée (LREM) Charlotte Lecocq a remis au Premier ministre son rapport sur la santé au travail. Lequel vise à transformer le système actuel de prévention des risques professionnels pour le rendre plus visible et plus efficace. Mais est-ce vraiment le cas ? Quatre experts en sécurité et santé au travail (SST) dévoilent leur analyse.
Le 22 janvier dernier, le Premier ministre, Edouard Philippe, confie à la députée LREM Charlotte Lecocq une mission relative à la sécurité et santé au travail (SST). Objectif : évaluer la performance du système actuel de prévention des risques professionnels et dégager des leviers permettant de l’améliorer. « En large partie, du fait d’une construction par strates successives, le système actuel est source d’inefficacités : il mobilise un grand nombre d’acteurs avec des moyens très significatifs », avance le rapport. Parmi les seize recommandations formulées par Charlotte Lecocq figure cette proposition phare : « Chaque entreprise doit pouvoir accéder par un guichet unique à une offre de services homogène sur l’ensemble du territoire. »
Celle-ci inclut notamment le suivi individuel obligatoire de l’état de santé des travailleurs, un accompagnement en prévention des risques (expertise technique, aide à l’évaluation des risques, structuration d’une démarche de prévention, mise en place d’un système de management de la santé et sécurité…) mais aussi l’aide au maintien dans l’emploi par l’intervention précoce dans le parcours de soins, l’adaptation du poste de travail et la formation des acteurs dans l’entreprise en matière de prévention. En outre, le rapport Lecocq ouvre les prestations de santé au travail aux travailleurs indépendants et mise sur un effort financier plus significatif concernant les actions en faveur de la prévention dans les entreprises, à partir des excédents de la branche AT-MP.
Une révolution dans le système ?
« L’accent est clairement mis sur la prévention avec des moyens et des compétences disponibles pour aider les entreprises à engager des actions plus importantes, analyse David Mahé, administrateur du syndicat professionnel Consult’in France et président de Stimulus, un cabinet spécialisé dans les questions de bien-être au travail. C’est une révolution dans le système : auparavant on réparait et on essayait de déterminer la responsabilité. Désormais, on prévient. Pour l’instant, différents acteurs interviennent : Anact, INRS, Carsat, OPPBTP*… Le document clarifie leurs fonctions et mise sur une optimisation de moyens. » Notamment en ce qui concerne les PME qui pourront s’adresser à un guichet unique au niveau régional : Région Santé Travail, regroupant des spécialistes de la prévention.
« La mise en avant de la notion de prévention est un point essentiel mais pas une révolution, nuance cependant Vincent Manigot, avocat au sein du département droit social du cabinet De Pardieu Brocas Maffei (Paris). Déjà, la jurisprudence prend en compte les mesures de prévention des risques que met en place l’employeur pour déterminer sa responsabilité. Le rapport rappelle cette évolution depuis l’obligation de sécurité de résultat, c’est-à-dire de la sanction automatique dès lors qu’un dommage survient, vers le travail en amont de l’employeur sur la santé au travail. »
De la sanction à la prévention
Pour Emilie Meridjen, avocate spécialisée en droit social, associée au cabinet Sekri Valentin Zerrouk (Paris), « le rapport vise, au moyen d’outils essentiellement organisationnels, à faciliter l’accès pour les entreprises à la prévention, en permettant une meilleure lecture de la réglementation et une plus grande proximité avec les services concernés. On sortirait progressivement d’un système de sanctions pour basculer vers davantage de prévention. Inscrire ce sujet à l’agenda politique par une possible réforme législative est un outil de sensibilisation important. Car si l’industrie a fait de gros progrès dans la gestion de sa sinistralité, le secteur tertiaire doit encore développer cet aspect. »
Simplifier la gestion des cotisations
Le rapport simplifie également la gestion comptable des entreprises en matière de prévention. Pour le moment, plusieurs cotisations, à la charge de l’employeur, s’ajoutaient à l’AT-MP (Accident de travail–Maladie professionnelle) pour financer la SST. Celle-ci est calculée sur le salaire total (déplafonné). Plus la taille de l’entreprise augmente, plus le taux est individualisé et repose sur les résultats de l’établissement en matière de sécurité. Selon l’activité et la taille de l’entreprise, le taux notifié est collectif, mixte ou individuel. Le nouveau document vise ainsi à simplifier ce financement : « Les contributions financières des entreprises pour les structures régionales de prévention et celle concernant l’OPPBTP pour les entreprises qui en relèvent pourraient être regroupées avec celles des AT-MP, au sein d’une cotisation unique « santé travail »» directement recouvrées par les Urssaf », indique le rapport.
Manque de détails et pas assez concret
Mais pour David Mahé, le rapport rate l’occasion de mettre en place des moyens pour évaluer la santé au travail : « Il n’existe pas de collège d’expertise ou d’observatoire pour mesurer et partager les indicateurs de santé publique avec l’ensemble des acteurs intéressés. Car, en France, nous avons du mal à mesurer l’impact de la mauvaise santé au travail sur les coûts de la santé publique. » Deuxième point obscur pour le président de Stimulus : le problème crucial de carence de médecins du travail qui n’est pas traité par le rapport. Maître Camille-Frédéric Pradel, membre du cabinet d’avocats Pradel (Paris), spécialisé en droit de la protection sociale et en droit de la santé au travail, souligne également une certaine contradiction dans le rapport Lecocq :« Le document fait le constat que la réglementation actuelle est excellente mais qu’elle n’est pas appliquée. » Il prend pour exemple le document unique d’évaluation de risques professionnels qui s’impose à tout employeur depuis 2001. « Une entreprise sur deux n’en rédige pas. Ce que propose le rapport est de remplacer ce document unique, alors qu’il est assez simple à mettre en œuvre, par un plan de prévention des risques. Or les entreprises mettent du temps à s’approprier les règles. »
Un rapport n’est pas une loi
Vincent Manigot rappelle également que, pour le moment, ce rapport ne change rien en droit positif. « Il s’agit d’un rapport parlementaire avec des préconisations, des pistes d’éventuelles améliorations que le législateur est libre ou non de suivre. Généralement, on constate que certaines propositions donnent lieu à une transcription mais les délais dépendent de l’agenda législatif et de la volonté du gouvernement. » La loi Rebsamen (2015) et la Loi Travail (2016) ont déjà fait évoluer le régime de la médecine au travail qui, selon lui, ne sera pas amené à être modifié dans l’immédiat.
Caroline Albenois
* Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) ; Caisse régionale d’assurance maladie (Carsat) ; Institut national de recherche et de sécurité (INRS) ; Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP)
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