Le procès des hauts-dirigeants de France Télécom bat son plein. Ces derniers devront répondre de leurs actes face aux accusations de harcèlement moral par une centaine de parties civiles, après 19 suicides et 13 tentatives entre 2007 et 2010. Dans ce contexte, l’Agence Nationale pour l’Amélioration des Conditions de Travail (Anact) vient de publier une tribune sous la plume de Julien Pelletier, responsable de l’animation scientifique, dressant le bilan de l’impact que cette vague de suicides a eu sur la politique de prévention des risques psychosociaux (RPS) en entreprise.
22 000 licenciements et des pulsions suicidaires
Retour au milieu des années 2000 : le groupe qui deviendra Orange est confronté à une restructuration massive. 22 000 licenciements sont annoncés. En toile de fond, les grandes entreprises accusent « un environnement hyperconcurrentiel, des réorganisations et restructurations imposées, des évolutions rapides des métiers », se remémore Julien Pelletier. Pour maintenir la productivité, les techniques managériales sont de plus en plus agressives. Par conséquent, les salariés développent de nombreux stigmates psychosociaux comme la perte de sens et de repères, l’anxiété, le stress, le burn-out… et les pulsions suicidaires.
Les entreprises les plus performantes, terreau des RPS
Pour expliquer un tel drame, Julien Pelletier explique que « les phénomènes de retrait tels l’absentéisme, le désengagement au travail, les comportements de sur-engagement ou d’addictions se retrouvent dans des secteurs en pleine transformation où les salariés disposent de faibles marges de manœuvre ». Bien sûr, depuis 20 ans, l’Anact estime qu’une réelle prise de conscience est apparue au niveau des RPS et des techniques managériales tournées vers la qualité de vie au travail. Même si « la certitude que les actions de prise en charge des salariés en souffrance (ce qu’on appelle la prévention tertiaire) sont insuffisantes. »
Création du Document unique
Concrètement, l’ensemble des acteurs de la prévention (pouvoirs publics, partenaires sociaux, organismes de la santé au travail, experts…) se sont mobilisés pour développer des outils. « On pense en particulier au développement de l’approche par le Document unique, aux actions en faveur d’une culture de la prévention ou encore au rapport Lachmann, Larose, Pénicaud de 2010 qui reste aujourd’hui encore la feuille de route de nombreuses entreprises sur ces sujets », évoque Julien Pelletier. Il rappelle également un autre fait marquant, celui de la signature de l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la qualité de vie au travail (QVT).
La QVT ne doit pas prendre le dessus sur la prise en compte des RPS
Reste une question : au fur et à mesure que la culture de la QVT se développe en entreprise, ces actions considérées comme périphériques du fait qu’elles ne concernent pas l’aspect organisationnel, ne risquent-elles pas de masquer les véritables actions menées pour contrer les RPS ? Selon le responsable de l’Anact, tout le risque réside dans le fait de considérer ces démarches comme un « cache-misère ». Autrement dit, la QVT doit nécessairement être prise en compte à travers les spectres économiques et sociaux d’une entreprise « afin de redonner du pouvoir d’agir à ceux qui réalisent le travail. »
Difficile de s’accorder sur une démarche de prévention
Le réseau Anact-Aract (agences régionales de l’Anact), qui fait référence en matière de prévention des RPS et des suicides, tient cependant à faire remarquer que ces démarches restent souvent lourdes à déployer. Principale raison : le passage de la théorie à l’action contient de nombreuses inconnues. L’expert cite également le manque de communication entre les différents acteurs qui « ne sont pas suffisamment associés. » L’Anact évoque, en outre, les écoles d’ingénieurs et de cadres qui négligent encore trop souvent d’aborder les enjeux d’organisation du travail au service de la performance et leur impact sur la santé des employés.
Ségolène Kahn
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