Le stress au travail peut résulter d’une inadéquation entre les objectifs fixés au salarié et les moyens mis à sa disposition. Parmi les facteurs organisationnels susceptibles d’engendrer des risques psychosociaux au travail figurent les modes de fixation des objectifs et d’évaluation du travail des salariés par leur hiérarchie. C’est ce que l’on qualifie de »mode de pilotage du travail ». Le code du travail et la jurisprudence encadrent ces pratiques. Cependant, l’enquête Sumer 2010 (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) permet d’examiner les liens éventuels entre modalités de pilotage du travail et exposition des salariés aux facteurs de risques psychosociaux (RPS).
Enquête représentative de 22 millions de salariés. Lancée conjointement par la Direction générale du travail (et en son sein l’inspection médicale du travail) et la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) ayant également participé au financement de ce travail, l’enquête s’est déroulée de janvier 2009 à avril 2010 : 47 983 salariés ont répondu, interrogés par 2 400 médecins du travail. 97 % d’entre eux ont accepté de répondre à l’auto-questionnaire. Ces salariés sont représentatifs de près de 22 millions de salariés en France et le champ de l’édition de 2010 couvre 92 % des salariés. Ne sont pas couverts les agents de l’Éducation nationale (dont le réseau de médecine de prévention ne dispose pas de la couverture suffisante), ainsi que ceux des ministères sociaux et du ministère de la Justice. Le protocole de l’enquête Sumer 2010 est identique à celui des enquêtes de 1994 et 2003 afin de permettre les comparaisons dans le temps.
Modes de fixation des objectifs et évaluation du travail. Le stress au travail peut résulter d’une inadéquation entre les objectifs fixés au salarié et les moyens mis à sa disposition. Parmi les facteurs organisationnels susceptibles d’engendrer des risques psychosociaux au travail figurent donc les modes de fixation des objectifs et d’évaluation du travail des salariés par leur hiérarchie (cf encadré). C’est ce que l’on qualifiera ici de mode de pilotage du travail. Le code du travail et la jurisprudence encadrent ces pratiques. L’enquête Sumer 2010 fournit des informations sur ces questions et permet d’examiner les liens éventuels entre modalités de pilotage du travail et exposition des salariés aux facteurs de risques psychosociaux.
Manque d’objectifs clairs et chiffrés. En principe, les entretiens d’évaluation individuelle visent à permettre au salarié et à son supérieur hiérarchique de faire le point, en général une fois par an, sur l’organisation et le contexte du travail ainsi que sur la performance du salarié relativement aux attentes de son employeur. En 2010, selon les données de l’enquête Sumer, 56% des salariés ont au moins un entretien individuel d’évaluation par an avec leur supérieur hiérarchique. Lorsque cet entretien existe, dans plus des trois quarts des cas l’évaluation individuelle repose sur des critères jugés »précis et mesurables » par le salarié concerné. C’est ce qu’on appelle un un »entretien cadré ».
Par ailleurs, à peine 34% des salariés ont des »objectifs chiffrés précis à atteindre ». Ce sont des cibles quantitatives en matière, par exemple, de volume de production, de qualité ou de rentabilité, que le salarié doit atteindre à un rythme régulier, qu’il soit quotidien, hebdomadaire, mensuel, trimestriel ou annuel. Ces deux pratiques de pilotage et d’évaluation du travail sont liées entre elles : parmi les salariés qui sont reçus au moins une fois par an par leur supérieur pour un entretien individuel d’évaluation, 44% se voient fixer des »objectifs chiffrés précis », contre 34% de l’ensemble des salariés. Si les entretiens sont »cadrés », les salariés sont alors 50% à avoir des objectifs chiffrés à atteindre. Néanmoins, »objectifs chiffrés précis » et »évaluation avec des critères précis et mesurables » ne sont pas équivalents : la moitié des salariés évalués individuellement selon des »critères précis et mesurables » n’ont pas »d’objectifs chiffrés précis ». En effet, ces critères ne sont pas nécessairement chiffrés mais peuvent être qualitatifs (réaliser un projet, acquérir ou développer une compétence).
Cinq situations-type de pilotage et d’évaluation du travail. On distinguera ici cinq manières d’articuler évaluation individuelle et objectifs chiffrés.
– Un tiers des salariés n’a ni entretien, ni objectifs chiffrés. Il s’agit notamment des salariés des petits établissements : 57% des salariés d’établissements employant moins de 10 personnes n’ont ni entretien individuel d’évaluation ni objectifs chiffrés. Les salariés en contrat temporaire (CDD ou intérim) sont souvent (pour 53% d’entre eux) dans cette situation, qui concerne également davantage que la moyenne les professions les moins qualifiées (ouvriers, employés de commerce et de services, pour plus de 40% d’entre eux). Les métiers les plus concernés sont ainsi les salariés agricoles, les ouvriers du BTP, les conducteurs de véhicules, les secrétaires, les employés de comptabilité, les employés et agents de maîtrise de l’hôtellerie et de la restauration, les coiffeurs et esthéticiens, les aides ménagères…
– 21% des salariés bénéficient d’un entretien individuel d’évaluation appuyé sur des critères précis et mesurables ( »entretien cadré ») mais n’ont pas d’objectifs chiffrés précis à atteindre ; cette situation est plus particulièrement fréquente dans le secteur de l’administration publique, de la santé et de l’action sociale (36%) ainsi que dans les établissements de 500 salariés ou plus (38%). Outre les métiers de la fonction publique, les plus concernés sont les secrétaires de direction, les employés et ingénieurs de l’informatique, les ouvriers, techniciens et agents de maîtrise de la maintenance, mais aussi les agents d’entretien ou de gardiennage et de sécurité.
– 10% des salariés sont reçus au moins une fois par an par leur supérieur pour un entretien d’évaluation mais sans critères précis ni objectifs chiffrés ; cette situation est un peu plus fréquente dans la fonction publique, notamment pour les catégories B et C, et concerne un peu plus souvent des grands établissements (15% des salariés des établissements de 500 salariés ou plus).
– La combinaison d’objectifs chiffrés avec un entretien »cadré » concerne 22% des salariés. Cette pratique concerne surtout les cadres (39%), et les professions intermédiaires (29%) ainsi que les salariés des grands établissements (34% dans ceux de 500 salariés ou plus) et du secteur de la finance et des assurances (50%). Les métiers les plus concernés sont les employés, techniciens et cadres du secteur bancaire (pour près des deux tiers d’entre eux), ainsi que les métiers du commerce (agents de maîtrise et cadres commerciaux et technico-commerciaux, représentants, vendeurs) et les ingénieurs et cadres de l’industrie.
– Enfin, 13% des salariés ont des objectifs chiffrés mais pas d’entretien individuel d’évaluation, ou bien un entretien ne reposant pas sur des critères précis et mesurables. On dira ici de ces salariés qu’ils ont des »objectifs chiffrés sans entretien cadré ». Cette situation concerne notamment des ouvriers non qualifiés (16%) et plus particulièrement ceux de l’électricité et de l’électronique, du textile et du cuir, des industries de process et de la métallurgie. Ce mode de pilotage du travail concerne deux fois plus souvent les salariés dont le rythme de travail (selon le médecin enquêteur) est fixé par »le déplacement automatique d’une pièce » ou »la cadence d’une machine » : 26% d’entre eux, contre 13% pour l’ensemble. Les salariés en contrats temporaires (CDD, intérim) sont un peu plus fréquemment dans cette situation (17%).
Erick Haehnsen
LES DIFFERENTES CATEGORIES DE FACTEURS DE RISQUES PSYCHOSOCIAUX AU TRAVAIL
Un collège d’expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux au travail, composé de spécialistes de diverses disciplines, a élaboré un rapport de référence sur la question. Selon ce rapport, ce qui constitue un risque psychosocial pour la santé n’est pas sa manifestation, mais son origine. Les risques psychosociaux sont donc définis comme « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi, les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Situés à l’interface de l’individu et de sa situation de travail, ces facteurs de risques sont multiples et sont analysés selon six dimensions :
1. les exigences du travail, qui regroupent les risques en lien avec le travail sous pression, les contraintes de rythme, la difficulté à concilier la vie professionnelle et la vie familiale, l’exigence de compétences élevées ;
2. les exigences émotionnelles, liées par exemple à la nécessité de devoir cacher ou maîtriser ses émotions face à la clientèle ou à un public en difficulté ;
3. l’autonomie et les marges de manœuvre qui désignent la possibilité d’être acteur dans son travail, de participer aux décisions, d’utiliser ses compétences et de s’épanouir dans son travail ;
4. les rapports sociaux, les relations de travail qui couvrent les relations avec les collègues, la hiérarchie ; est questionnée aussi la reconnaissance du travail (reconnaissance symbolique, rémunération, promotion…) ;
5. les conflits de valeurs qui désignent une situation où l’on demande à une personne d’agir en contradiction avec ses valeurs professionnelles ou personnelles ; la justice organisationnelle (sentiment d’être traité équitablement par l’organisation) fait partie de cette dimension.
6. l’insécurité économique qui inclut le risque de perdre son emploi et les changements non maîtrisés de la tâche ou des conditions de travail.
La modélisation la plus connue des risques psychosociaux est celle de R. Karasek. Le modèle de Karasek distingue trois catégories de facteurs psychosociaux : les exigences du travail (ou »demande psychologique »), les marges de manœuvre ( »latitude décisionnelle ») et le soutien social. La demande psychologique est évaluée par la quantité de travail, son intensité et son caractère plus ou moins morcelé. La latitude décisionnelle renvoie aux marges de manœuvre dont dispose le salarié pour peser sur les décisions dans son travail, aux possibilités d’utiliser et de développer ses compétences. Le soutien social décrit l’aide dont peut bénéficier le salarié, de la part de ses supérieurs hiérarchiques ou de ses collègues.
Le modèle de Karasek indique que les situations à risques pour la santé – ou situation de »job strain » – sont celles où le salarié est confronté à une forte demande psychologique mais dispose d’une faible latitude décisionnelle. Autrement dit, les exigences du travail sont importantes mais les marges de manoeuvre disponibles pour y faire face sont insuffisantes. Le risque est encore aggravé si le salarié bénéficie d’un faible soutien social. Les pathologies liées aux risques psychosociaux sont essentiellement des troubles musculo-squelettiques, cardio-vasculaires et psychiques.
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