En quoi l’approche française en ergonomie se différencie-t-elle de celle des Anglo-saxons ?
A la différence de nos collègues anglo-saxons qui travaillent davantage sur des méthodologies de laboratoire, nous nous fondons sur la réalité des situations et activités de travail. Chaque année, nous organisons un congrès qui permet de confronter nos enseignements et d’échanger sur l’état de la recherche, l’évolution des pratiques en lien avec les nouvelles technologies émergentes et l’organisation du travail.
En quoi l’explosion des TMS est-elle liée à l’intensification du travail ?
Dans l’industrie automobile et agroalimentaire notamment, le manque de marge de manœuvre lié à l’organisation et à l’intensification du rythme de travail a un impact sur l’état physique et psychologique des personnes. La succession de tâches parcellaires à accomplir dans un laps de temps de plus en plus réduit génère d’autant plus de difficultés que les opérateurs perdent en autonomie. Au niveau de leur gestuelle, ils sont contraints d’effectuer des mouvements dictés par les cadences. Si de telles situations perdurent, le corps finit par se rigidifier et contracter des TMS.
Cette intensification est-elle spécifique à l’industrie ?
Tous les secteurs sont touchés, que ce soit dans les centres d’appel, les services administratifs, sans oublier les hôpitaux. Avec la réduction des effectifs, les aides soignantes, par exemple, doivent s’occuper de nombreux patients. Leur gestuelle est contrainte par un temps trop court pour agir. Elle ne permet plus une activité relationnelle avec le patient, ce qui entraîne des TMS. A cela s’ajoute le fait que la qualité du travail en est dégradée.
Quelles pistes préconisez-vous pour limiter les risques ?
S’il est difficile d’éviter le travail intensif, il faut que les personnes concernées puissent agir, discuter et négocier leurs conditions de travail. Il est nécessaire qu’elles puissent parler de la réalité de leur travail, des contraintes et difficultés qu’elles rencontrent afin d’intervenir sur l’organisation. Voire qu’elles puissent agir en amont de la prévention en contribuant à un projet de construction ou d’aménagement de leur futur espace de travail. Ce qui aurait pour effet de limiter les risques d’erreurs d’aménagement et par conséquent les risques associés.
Sur quels autres leviers les entreprises peuvent-elles s’appuyer ?
Outre l’organisation du travail, il faut se poser des questions sur l’efficacité des outils. Par exemple, un couteau mal aiguisé pour le boucher peut induire des TMS. Un troisième aspect concerne l’âge et le parcours de l’opérateur sachant qu’à 55 ans, on ne découpe pas avec la même rapidité dans un abattoir qu’à l’âge de 25 ans. Il est donc nécessaire de réfléchir en priorité aux cycles de travail, aux modes managériaux, à la qualité des équipements et surtout au parcours professionnel des opérateurs. En agissant en amont, l’entreprise préservera ses salariés tout en assurant la qualité des produits et services rendus ainsi que la productivité.
Propos recueillis par Eliane Kan
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