Le droit social français est-il aussi complexe qu’on le dit ?
Oui. Notre droit social comporte plusieurs niveaux : le Code du travail, les accords de branche (conventions collectives), les accords d’entreprise, la jurisprudence nationale, le droit communautaire (règlements, directives…) ainsi que la jurisprudence communautaire qui vient bouleverser le paysage du droit national, comme la jurisprudence récente du 10 septembre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) sur les temps de trajet des salariés sans lieu de travail fixe. Le salarié doit par ailleurs se référer aux règlements et notes internes de l’entreprise. Cette multiplication de normes est compliquée pour l’employeur, pour le salarié, et même pour nous, praticiens du droit du travail !
Il y a une prise de conscience selon laquelle le droit social fonctionne mal en France. Les différents rapports publiés en ce début de mois de septembre arrivent tous au même constat : le droit du travail actuel n’est plus adapté et il faut une meilleure conciliation entre l’efficacité économique et la protection des travailleurs. Face à ce constat, Jean-Denis Combrexelle propose de mettre la négociation collective au centre de tout, de créer une dynamique de négociation et de donner de nouveaux champs à la négociation, en l’étendant à quatre champs prioritaires : les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires.
Intitulé La négociation collective, le travail et l’emploi, le rapport Combrexelle aborde-t-il les thèmes de la sécurité et de la santé au travail ?
Oui, il en fait même un champ prioritaire de négociation. Il constate que toutes les questions liées à l’organisation et aux conditions de travail relèvent de « micro-décisions » de l’employeur (par exemple l’aménagement d’un poste de travail lorsqu’un salarié est victime de troubles musculo-squelettiques (TMS) qui s’inscrivent dans un cadre général, mais les modes d’organisation du travail ne sont pas nécessairement pris en compte dans la négociation collective. Or ces modes d’organisation du travail peuvent affecter la santé du travailleur.
Combrexelle fait ainsi plusieurs propositions intégrant les conditions de travail. Sa proposition n°27 (page 117) vise à modifier à très court terme (courant 2016), le code du travail en ce qui concerne les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires. La proposition n°30 (page 118) envisage d’étendre, je cite : « la négociation collective dans les champs prioritaires que sont les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires ». Les accords qui seraient conclus dans ces domaines sont dénommés « ACTES » pour « Accords sur les conditions et temps de travail, l’emploi et les salaires ».
Que faut-il comprendre de son propos ?
Jean-Denis Combrexelle considère que le droit du travail est un « droit du milieu du travail » et donc un droit de proximité. Adapter le travail à un monde qui est désormais en perpétuel mouvement exige une rapidité d’adaptation qui ne peut se concevoir qu’au niveau de l’entreprise. C’est pourquoi il propose que la négociation s’effectue, par priorité, au niveau le plus proche du milieu de travail, c’est-à-dire au niveau de l’entreprise, dans les quatre champs prioritaires que sont les conditions de travail, le temps de travail, l’emploi et les salaires.
Combrexelle propose ainsi que les accords d’entreprise s’appliquent en priorité, par rapport aux accords de branche et au code du travail. A défaut d’accord d’entreprise négocié, on appliquerait les accords de branche sur le sujet (il propose à cet égard de réduire le nombre de branches professionnelles de 700 à 100, par souci de simplification) ; et à défaut de tout accord, on appliquerait les dispositions dites « supplétives » du code du travail sur le sujet.
Le code du travail comporterait, par ailleurs, des dispositions impératives qui s’imposeraient à tous. Ainsi, dans sa proposition n°26, Combrexelle envisage à moyen terme, c’est-à-dire dans un délai de quatre ans, une nouvelle architecture du code du travail qui ferait le partage entre ce qui relèverait des dispositions impératives, lesquelles s’appliqueraient à tous, de façon obligatoire, et les dispositions supplétives du code, lesquelles ne s’appliqueraient qu’à défaut d’accords collectifs d’entreprise ou de branche.
A côté de cette réorganisation du droit du travail interne, en France, il faudra également tenir compte des textes communautaires (règlements européens et directives européennes transposées en droit français) qui relèvent de l’ordre public et s’imposent aux états membres.
Rappelons, en particulier, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail qui fixe des prescriptions minimales en termes de santé au travail : temps de travail, pauses, repos journaliers, repos hebdomadaire, durée maximale du travail, congés payés…
Le rapport Combrexelle souligne l’importance de la négociation. Or il existe déjà des dispositifs en matière d’information et de consultation…
En effet, l’information-consultation du Comité d’entreprise sur les conditions de travail est prévue par les articles L2323-1 et L2323-27 et suivants du code du travail. Ainsi l’article L2323-1 du code du travail précise que le CE formule, à son initiative, et examine, à la demande de l’employeur, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés, leurs conditions de vie dans l’entreprise ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale. Et, pour sa part, l’article article L2323-27 stipule que le CE est informé et consulté sur les problèmes généraux intéressant les conditions de travail résultant de l’organisation du travail, de la technologie, des conditions d’emploi, de l’organisation du temps de travail, des qualifications et des modes de rémunération. A cet effet, il étudie les incidences sur les conditions de travail des projets et décisions de l’employeur dans les domaines mentionnés au premier alinéa et formule des propositions. Il bénéficie également du concours du CHSCT dans les matières relevant de sa compétence.
Que veut dire Jean-Denis Combrexelle lorsqu’il parle d’extension des champs de la négociation dans les « ACTES » ?
Il fait le constat que le code du travail peut être très précis et exigeant sur certains points relatifs aux conditions de travail classiques, par exemple l’aménagement des vestiaires des salariés, mais on pourrait également citer les locaux dédiés aux repas ou encore les équipements de protection individuelle contre le bruit, ou le froid etc.
A côté de ces points précis et traditionnels de protection des travailleurs qui sont pris en compte par le code du travail, Combrexelle constate que le code est en revanche muet sur les nouvelles méthodes de management, lesquelles ont pourtant une incidence sur la vie quotidienne des travailleurs. Il cite notamment le « Lean Management » qui est un système d’organisation du travail fondé sur l’amélioration continue et l’élimination de toutes les formes de gaspillage qui réduisent la performance de l’entreprise. Ce type de management peut avoir des incidences en matière de santé au travail.
Avec les différentes propositions du rapport Combrexelle, les entreprises ne risquent-elles pas de passer trop de temps en négociations ?
C’est précisément ce que la loi Rebsamen, votée le 17 août 2015, souhaite éviter puisqu’elle propose, entre autres, de réformer le fonctionnement du CE et du CHSCT et de regrouper les informations-consultations du CE : les 17 consultations annuelles obligatoires qui existent actuellement sont remplacées par 3 grands rendez-vous annuels (auxquels s’ajouteront pour les entreprises d’au moins 300 salariés, une obligation d’information trimestrielle) ; cette disposition s’appliquera à compter du 1er janvier 2016.
Combrexelle propose d’aller plus loin encore en distinguant uniquement deux temps et deux types de négociation : le premier concernerait les perspectives d’évolution de l’entreprise, les conséquences sur l’emploi, le temps de travail et les salaires ; le second concernerait les divers aspects de la qualité de vie au travail : conditions de travail, santé, discrimination, égalité hommes-femmes.
Finalement, la négociation serait-elle une bonne idée pour développer la sécurité et la santé au travail ?
Oui si les acteurs de la négociation se font confiance et si tout le monde joue le jeu. C’est justement là où se situe la limite de l’exercice. La simplification du droit du travail est une bonne chose à condition de conserver des règles essentielles et impératives lisibles par tous et qui constituent un socle de référence incontournable. Les réformateurs devraient peut-être s’inspirer des premières éditions du Code du travail de la fin du XIX siècle dont l’objectif principal était de définir des règles simples et claires afin de protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Aujourd’hui, les mutations rapides de notre société et de notre environnement imposent aux employeurs, astreints à une obligation de sécurité, d’être réactifs afin de protéger les salariés des nouveaux maux et des nouvelles pathologies qui apparaissent en même temps que de nouvelles méthodes de travail et de management se mettent en place : troubles musculosquelettiques, risques psychosociaux, burn-out… et demain ?
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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