En milieu industriel, les risques sont trop importants pour lésiner avec la protection. Utiliser des EPI certifiés EN166 est le minimum pour éviter les accidents. Lunettes à traitements multiples, verres correcteurs bien adaptés, écrans ajoutés aux postes de travail les plus vulnérables...
En France, le nombre d’accidents du travail (AT) relatifs aux lésions oculaires connaît une baisse continue. Entre 1990 et 2006, ce taux a chuté de 40 % pour les accidents avec arrêt et de 57 % pour les accidents ayant entraîné une incapacité permanente (AT-IP). Signe que les entreprises sont de plus en plus vigilantes sur le port de lunettes. Pour autant, le danger demeure si les lunettes de protection ne sont pas adaptées aux risques qui peuvent être de natures très différentes. D’abord le risque chimique qui concerne la projection de substances dangereuses sous forme de gaz, de liquides, de poudres ou encore de vapeurs. A cela s’ajoutent les risques thermiques, biologiques et ceux liés aux rayonnements optiques qui peuvent provoquer des brûlures ou des lésions de l’œil. Sans oublier, les risques mécaniques qui se traduisent par la projection de particules ou possédant une énergie cinétique importante.
Résistance au choc
Pour obtenir la certification EN 166, les verres minéraux ou en plastiques (polycarbonate, CR-39, etc.) doivent résister, en laboratoire, à une pression de 100N (Newton), exercée par une bille d’acier d’un diamètre de 22 mm. En revanche, la protection contre les impacts de projectile, requiert la présence de la lettre F, B ou S selon la performance recherchée. A titre d’exemple, la lettre F (seuil minimum) résiste à une bille d’acier de 6 mm projetée à 45 mètres/secondes. Pour éviter que les lunettes ne tombent ni ne blessent l’utilisateur lors de l’impact, les fabricants font montre d’astuce. « Sur la face intérieure de la monture, nous mettons un plastique, du TPE (élastomère-thermoplastique) qui ressemble à du silicone, c’est donc très doux pour le visage », fait valoir Ludovic de Sereys, directeur général de Bollé Safety, un fabriquant de lunettes de protection individuelle. « En outre, au niveau de l’intérieur des branches et du nez, cette matière caoutchouteuse empêche les lunettes de glisser. » Pour accentuer encore cet aspect antiglisse, Bollé Safety ajoute une matière agrippante au bout des branches de ses modèles, comme le « Silium ».
La norme EN166
Seule garantie de posséder un équipement de protection individuelle du visage fonctionnel : la norme EN 166 de la directive européenne 89/686/CEE. Elle s’obtient dès que l’équipement est validé par un laboratoire certifié, « en Hollande, Pologne, Italie, France, Allemagne, etc. », énumère Ludovic de Sereys. « Les lunettes sont marquées de deux incrustations spécifiques, l’une sur l’oculaire et l’autre sur la monture. » A savoir : EN166 est la seule norme obligatoire pour les fabricants de lunettes de protection individuelle. « Elle fixe la durée d’utilisation de l’équipement, permanente ou temporaire, et sa résistance aux risques courants, mécaniques, aux chocs et aux impacts », résume Stéphane Marret, commercial chez Europrotection, distributeur d’EPI. Cette certification octroie la délivrance, aux fabricants, d’une attestation d’examen CE de type (AET). « Le fonctionnement de cette norme suit une certaine logique », analyse Jean-Michel Gaillard, directeur général d’Univet France, fabricant de lunettes de protection contre les lasers.
« Plus le risque est important, plus large doit être la protection. » Par ailleurs, rien n’empêche les fabricants de doter leurs produits de normes optionnelles, comme l’antirayure (marquage K) ou l’antibuée (marquage N). Mais cela n’a rien d’obligatoire.
Risques chimiques
Pour protéger les opérateurs des projections de liquides chimiques, brûlants ou corrosifs, différentes solutions existent. A commencer par les lunettes à branches munies de caches latéraux qui servent à augmenter la surface de protection. A l’instar du modèle Vision 1 fabriqué par Infield Safety. Mais, pour garantir une protection plus couvrante, il est conseillé de s’équiper de lunettes-masques. Plus onéreux (environ cinq fois plus chers), ces modèles protègent la partie supérieure du visage, comme des masques de ski. Avantage : la région des yeux est hermétiquement isolée de l’extérieur. Ces lunettes-masques intègrent un système de ventilation indirecte qui canalise et évacue l’air pour limiter la buée. Parmi les fournisseurs de ce type d’EPI, citons Singer Frères qui présente une gamme ergonomique au design incurvé et aux bordures plus larges pour un plus grand confort. De son côté Bollé propose un modèle de masque à double « vitrage » qui évite les effets de condensation grâce à une lame d’air coincée entre les deux écrans. En cas de buée, il suffit de retirer la pastille présente à l’intérieur du masque pour évacuer l’humidité. Ce produit intéresse notamment les pompiers.
En revanche, lors de projections plus importantes de liquide ou métal fondu , les lunettes-masques ne suffisent plus. Il faut impérativement leur substituer un écran facial. Appelé également visière ou pare-visage, cet EPI peut être fabriqué dans différentes matières : acétate, triacétate, polypropylène, polycarbonate, triplex, etc. A titre d’exemple, le modèle « Sphere », fabriqué par Bollé, est en polycarbonate et incurvé de façon à offrir une vision panoramique à 180 degrés, tout en enveloppant le visage jusqu’aux oreilles et sous le menton.
Outre ces risques thermiques, il est indispensable que les écrans protègent également des rayonnements infrarouges. Notamment lorsque l’opérateur se trouve face à des bains de métal en fusion. « Dans ce cas, nous ajoutons sur l’écran en polycarbonate une feuille d’or afin de refléter les rayons infrarouges », explique Eric Keller, commercial chez EDC Protection, distributeur d’EPI. « Ce métal est en effet le seul à pouvoir être étiré, afin de voir à travers, sans perdre pour autant ses propriétés réflexives. » Enfin, dans des conditions de températures extrêmes, un grillage micro perforé peut être fixé sur la surface de l’écran doré. « Ainsi, la chaleur se diffuse dans chaque brin de métal du grillage », poursuit Eric Keller.
Priorité au confort et au look
En dehors de la protection, les fabricants cherchent à améliorer le confort d’utilisation et le look. Le confort s’obtient par des bordures plus larges, recouvertes de mousse lorsqu’elles sont en contact avec la peau, mais également des traitements contre les rayons ultraviolet (UV), antibuées et antirayures. Pour accroitre la stabilité des lunettes sur le visage, certains remplacent les branches par un élastique. C’est le cas notamment du modèle Technic de Lux Optical.
« Une gamme de plus en plus design », précise Stéphane Marret, commercial chez Europrotection, qui distribue ce modèle. A savoir : le look est primordial pour les fabricants d’EPI du visage. En effet, « dans certains secteurs, comme le BTP, les employés sont très attachés à leurs images », souligne Christine Mello, chef de produit chez Sperian, fabricant d’équipements de protection individuelle. Dans le viseur des designers : la couleur des montures, leurs formes mais aussi leurs poids. Par exemple, la monture Evalor, distribuée par Singer Frères, ne pèse que 22 g. Un record face à une moyenne qui se situe plutôt 10 grammes au-dessus.
Enjeu discret du look : convaincre les utilisateurs de porter leurs équipements de protection du visage. « Des lunettes moches ne sont pas portées », résume simplement Ludovic de Sereys. L’effort est particulièrement orienté sur la collaboration entre le fabricant, le responsable sécurité, l’acheteur et l’utilisateur final. « Nous leur proposons d’essayer plusieurs modèles avant de procéder à l’achat », poursuit-il. « Ils peuvent les emporter pour les essayer et les ramener quand ils veulent. »
Des lunettes communicantes
Les fabricants se creusent la tête pour rendre leurs lunettes plus originales. Comme Delta Plus, fabricant de lunettes de protection, qui propose la BB-com, une paire de lunettes
« ostéophonique » : connectées en blue tooth à un téléphone portable, les lunettes utilisent la vibration de l’os du nez pour restituer les communications téléphoniques à l’oreille de l’utilisateur, sans grésillements, dans une petite oreillette.
Verres correcteurs
Le problème du « look » se pose particulièrement pour les lunettes de protection à verres correcteurs. « Lorsqu’il s’agit de verres correcteurs, c’est toujours au fabricant d’EPI que doit revenir le soin de réaliser l’équipement de protection ! » s’emporte Florence Blaise, opticienne déléguée chez Infield Safety. « Trop d’entreprises commandent leurs lunettes chez un opticien du grand public. » Non seulement les lunettes ne sont pas à la norme EN166, mais elles coûtent deux fois trop chers. Le prix d’un équipement complet équivaut au prix d’un seul verre dans le grand public selon cette dernière. « Lors de la fabrication de lunettes de vues nous dessinons les montures en fonction du verre correcteur », précise Florence Blaise. « Notre marge de manœuvre pour les rendre esthétique est donc limitée. » Certains s’y essayent quand même, parfois avec succès. Par exemple, les lunettes Titmus SW06 et SW07 de la collection de Sperian jouent sur la couleur (translucide) et le design des branches. Toutefois, le défi serait d’incurver fortement les verres, pour leur donner une allure caractéristique des lunettes « branchés ». Concrètement, cela signifie suivre la forme du visage, augmenter le champ de vision et protéger le coté des yeux. Une gageure technique. « Personne n’a encore trouvé comment fabriquer des verres optiques très incurvés », s’étonne Ludovic de Sereys. « Nous avons trouvé ! Nous sortirons, dans cinq semaines, une nouvelle gamme adaptée à des prescriptions +- 4 ou +-6. » Traduction : une courbure extrême pour des verres adaptées à la majorité des porteurs de lunettes.
Inserts optiques
Pour les porteurs de lunettes de corrections, il peut être intéressant de leur préférer des alternatives moins onéreuses. Par exemple, une paire de sur-lunettes. Très peu coûteuses, ces lunettes sont un peu plus grosses que la normale et viennent se poser par-dessus les lunettes de correction. Malgré tout, avec quatre branches sur les oreilles, cette solution n’est pas la plus confortable pour le porteur. « En plus, elles multiplient les dépôts de poussière car il y a quatre surfaces exposés, deux à l’extérieur et deux à l’intérieur » , critique David Laird, P-dg d’Infield Safety, qui propose une autre solution, plus chère mais plus intéressante sur le long terme : des Rx-clipin, un modèle d’insert optique. Ces miniverres correcteurs se clipsent à l’intérieur d’un masque. Dans le cas de son autre modèle, Terminators Clipon, Infield Safety propose même de clipser l’insert sur des lunettes à branches. Une fois le masque ou les lunettes rayés, il suffit de les jeter et de récupérer l’insert. Bollé Safety propose également ce type de solutions, notamment pour les forces de l’ordre et l’armée. Attention toutefois : « Une fois que le client a adopté notre insert, il ne peut plus vraiment changer de fabricant, reconnaît Ludovic de Sereys, « car notre produit ne peut pas s’adapter sur des lunettes concurrentes. » Chaque fabricant a, comme ça, son petit détail qui tue.
© Guillaume Ferron, agence TCA/Innov24.
Des casques de soudeur de plus en plus performants
> Equipés de filtres dynamiques pour une protection maximale contre les coups d’arc et les rayonnements optiques, les casques de soudeurs intègrent aussi parfois des dispositifs de filtrage contre les fumées toxiques. Des EPI souvent indispensables, en dépit des mesures de protection collective imposées, mais qui restent encore peu utilisés en France.
Brûlures cutanées par contact et par projection de gouttelettes métalliques, lésions oculaires dues aux rayonnements optiques et aux « coups d’arc », exposition aux fumées toxiques : l’activité de soudeur présente à première vue de nombreux risques. Selon Jean-Marc Pautrat, président de la commission « Protection de la tête » du Synamap et gérant de la société Centurion, fournisseur d’équipements de protection de la tête (faciale et auditive) et de protections respiratoires. « Il ne suffit pas de protéger la tête et le visage contre les projections métalliques et les yeux contre les rayonnements, les masques de soudeur doivent aussi être équipés de système de protection respiratoire filtrant contre les poussières et les gaz de soudage.»
Ces équipements intéressent notamment les procédés de soudage MIG/MAG (Metal inert gas / Metal active gas), qui nécessitent de prendre un ensemble de mesures de prévention collectives et individuelles relatif à la protection respiratoire. Pour leur part, les procédés de soudage TIG (Tungsten Inert Gas) et plasma sur aciers inoxydables et aluminium sont des techniques moins émissives : les systèmes de ventilation des locaux peuvent suffire. De façon générale, la réglementation et les normes en vigueur prévoient bien que des systèmes d’aspiration et de ventilation locale, voire de ventilation générale, soient installés dans les ateliers et les usines. Mais, lorsque ces dispositifs collectifs s’avèrent insuffisants, le port des cagoules de soudage ventilées devient indispensable. Un réflexe acquis de longue date par nos voisins anglais, allemands et scandinaves.
« Ces derniers ont compris que la protection individuelle offrait la protection la plus performante et la plus efficace alors qu’en France, les institutions officielles comme la Cram ou les Drire mettent, avant tout, l’accent sur la protection collective », témoigne Jean-Marc Pautrat.
> Ventilation intégrée
Pour autant, les masques de soudage ventilés ne doivent pas remplacer les équipements de protection collective. C’est d’ailleurs après avoir fait analyser les risques sur chaque poste de travail et fait établir une cartographie des fumées dans l’usine de Moulins (03, Allier) par un laboratoire indépendant que Florence Loctin, responsable HSE (Hygiène Sécurité Environnement) du fabricant de grues Manitowoc a décidé d’équiper une centaine de salariés de casques de soudage ventilés et adaptés au soudage MIG/MAG. En outre, des dispositifs de protection collective tels que des hottes d’aspiration et des bras aspirants sur les postes de travail ont été installés. « Mais dans les zones de l’usine où les dégagements de fumées restent denses, les soudeurs portent des masques Speedglas équipés des systèmes de ventilation Adflo de 3M. » Cet EPI complet comprend la cagoule opto-électronique, un petit moteur et son système filtrant. Ce qui représente un investissement d’environ 1 000 euros par salarié. Outre 3M, d’autres fabricants comme Centurion, Sperian/Honeywell ou encore des marques de distributeurs comme celles d’Air Liquide, d’Esab, de Nederman et de Leclerc proposent de tels EPI, tous conformes aux normes et aux recommandations de sécurité de l’Institut national de recherche et de sécurité.
> LCD incontournable
En plus des fumées toxiques et des poussières, les EPI neutralisent bien sûr très efficacement les rayonnements optiques néfastes. Depuis environ trente ans, des filtres électro-optiques à cristaux liquides équipent les casques de soudage. La précision et les performances de leurs filtres LCD ne cessent de s’accroître et de s’adapter au type de soudure à réaliser. De plus en plus performants, ces filtres dynamiques ont remplacé depuis longtemps le verre minéral, teinté dans la masse, pour filtrer les rayons ultraviolets et infrarouges et la lumière bleue produite par l’arc de soudage. Les cristaux liquides pris en sandwich entre deux plaques de verre très fin foncent en quelques dixièmes de secondes après l’apparition de l’arc ou en fonction des rayonnements optiques émis pendant l’opération de soudage : « Ils assurent ainsi les différents niveaux de filtration déterminée par la norme EN 379 », explique Raphaelle Devos, gérante de la société Crystal Clear Protection, fournisseur de casques opto-électroniques ventilés. « Si certains utilisateurs se plaignent du poids de ces cagoules ventilées et de douleurs au niveau des cervicales, il en résulte beaucoup de sécurité et quand même plus de confort avec l’air frais qui ventile la cagoule, la disparition de la fatigue visuelle et des impuretés dans le nez à la fin de la journée… », résume Florence Loctin.
Chrystèle Besson, agence de presse TCA.
Commentez