La loi pour un « État au service d’une société de confiance » impacte la réglementation incendie qui va démocratiser, à l’instar des pays anglo-saxons, le permis d’expérimenter. Pas question pour autant de faire n’importe quoi. L’agenda de cette évolution, qui établit des jalons jusqu’en 2024, en précise le cadre.
Dans le cadre de la loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un « État au service d’une société de confiance », dite loi ESSOC, le droit de la construction s’assouplit. En effet, un dispositif d’ordonnances destiné à favoriser l’innovation permet d’introduire des dérogations. Dernier en date, le décret n° 2021-872, pris en application de l’ordonnance n° 2020-71 du 29 janvier 2020 qui a réécrit les règles figurant au livre I de la partie législative du Code de la construction et de l’habitation (CCH), a été publié. Très attendu, ce décret constitue le dispositif réglementaire nécessaire à la mise en œuvre des Solutions d’effet équivalent (SEE), ex-mesures dérogatoires. Panorama des principales évolutions qui seront dévoilées (30/09/21 ; 16h00-16h45) sur Expoprotection Sécurité (28-30 septembre à Paris Porte de Versailles) lors de la conférence d’Alexandre Trostiansky, (Foncia Esset PM, Apsighe) et Sébastien Samueli (CNPP) sur le sujet Loi Essoc : quels sont les changements sur les mesures dérogatoires en ERP et autres types de bâtiments ?
Un ensemble réglementaire de plus en plus illisible
« Jusqu’ici la réglementation incendie a été abordée d’une part autour de l’usage des bâtiments : habitation, travail, public, grande hauteur et industries avec risques accidentels forts, explique Sébastien Samueli, directeur des relations publiques du groupe CNPP. Et, d’autre part, autour de trois grands corpus : le code du travail, le code de l’environnement qui traite des ICPE (installations classées pour la protection de l’environnement), le CCH qui traite de la réglementation des ERP (établissements recevant du public et des IGH (immeubles à grande hauteur). Ces réglementations sont très prescriptrices. » Particulièrement en ERP et IGH où elles imposent des installations de sécurité qui varient selon l’usage des bâtiments : le SSI de catégorie A dans les locaux à sommeil, le sprinkler dans les entrepôts de grands volumes et dans les ERP à risques particuliers comme les magasins de vente ou les salles d’expositions de plus de 3 000 m²…
Qui plus est, ces réglementations prescriptrices ont été instruites par des ministères différents avec des logiques tout à fait hétérogènes.« En fin de compte, il y a eu de plus en plus de réglementations et cet ensemble a fini par être de plus en plus illisible, voire imprévisible selon les commissions de sécurité. Cette situation constitue un frein à la construction et à l’innovation », remarque Sébastien Samueli, directeur des relations publiques au Centre national de prévention et de protection (CNPP).
De l’obligation de moyens à l’obligation de résultats
Mais les choses sont en train de changer. De fait, au fil du temps, les obligations de moyens des réglementations prescriptrices ont progressivement glissé vers une obligation de résultat. En effet, la démarche jurisprudentielle se fonde sur l’obligation de sécurité qui incombe à l’employeur. « Or, lorsque la réglementation incendie est d’application difficile, le maître d’ouvrage peut demander l’application de mesures compensatoires, précise Alexandre Trostiansky, conseiller senior sécurité, sûreté et incendie Foncia-Esset. Ces mesures visent à proposer des solutions capables d’arriver à un résultat qu’une autorité publique compétente jugera équivalent. »
Permis d’expérimenter et approche performancielle
Sur ce terrain, l’article 49 de la loi ESSOC institue dans les projets de construction et d’innovation la notion de ‘‘permis de faire’’ ou de ‘‘permis d’expérimenter’’. « Cette mesure a fait du bruit. Il y a eu des oppositions fortes. Car la sécurité incendie a l’habitude de s’appuyer sur des solutions éprouvées. On joue avec des vies humaines », relève Sébastien Samueli. En réalité, le permis d’innover est loin d’être un permis de faire n’importe quoi. Et surtout pas dans la précipitation. La mise en œuvre de l’article 49 définit deux phases. Transitoire, la première s’instaure au travers de l’ordonnance du 30 octobre 2018. Laquelle élargit le recourt à l’Ingénierie de sécurité incendie (ISI) pour le calcul de la résistance au feu des éléments de construction et du désenfumage. Quant à la seconde ordonnance, celle du 29 janvier 2020, elle vise à réécrire les règles pérennes de la construction pour autoriser de plein droit les maîtres d’ouvrage à mettre en œuvre des solutions techniques innovantes. L’idée générale étant, si ce n’est de simplifier, du moins d’harmoniser les réglementations et les pratiques.
Un calendrier jusqu’à 2022
« En clair, la loi ESSOC n’élimine pas les règles prescriptrices qui fonctionnent bien – sauf, en habitation, locaux à sommeil, EHPAD et IGH, poursuit Sébastien Samueli. Si le projet n’est pas en mesure de respecter ces règles, il lui faudra atteindre des résultats performanciels. Mais leur définition n’est pas achevée. Le nouveau CCH substitue donc à l’obligation de moyen une obligation de résultat exprimée en performances à atteindre. » Les acteurs de la construction n’ont donc pas le droit d’expérimenter sur tout et n’importe quoi en matière de sécurité incendie.
Solutions d’effets équivalents
Dans les faits, la partie réglementaire du CCH est applicable depuis le 1er juillet 2021 en vertu de l’ordonnance du 29 janvier 2021, qu’on appelle ESSOC 2. Il ne s’agit que d’une recodification à droit constant. Les travaux de réécriture du CCH seront publiés jusqu’au début 2022. c’est donc dans ce contexte que les ‘‘mesures compensatoires’’ sont rebaptisées ‘‘solutions d’effets équivalents’’ (SEE).
Ce n’est pas tout. En application de l’ordonnance ESSOC 2, le décret du 30 juin 2021, qui recodifie le livre 1 du CCH, donne la possibilité au maître d’ouvrage de recourir aux SEE. Voici ce qui est stipulé : « Lorsqu’un maître d’ouvrage met en place une SEE, il fait valider par un organisme tiers l’équivalence entre la solution qu’il propose et la solution de référence au sens de l’article L 112-5 du nouveau CCH. Ce caractère d’équivalence est attesté avant le début du chantier. Ensuite, la bonne mise en œuvre de cette solution sera certifiée par un vérificateur. »
Changement de décor prévu dès 2024
Le maître d’ouvrage doit trouver un organisme réputé compétent (ORC) et passer un contrat avec un vérificateur en vue de certifier la bonne mise en œuvre de la SEE ; fournir un dossier de demande pour obtenir la délivrance d’une attestation de respect des objectifs de sécurité incendie ; l’ORC va analyser le dossier, valider les SEE et produire une attestation de respect des objectifs ; une fois les travaux réalisés, le vérificateur certifiera, si les objectifs sont atteints, le respect des objectifs de sécurité incendie.
Comme rien n’est simple, ce processus ne sera valable que jusqu’au 31 décembre 2023. Dès le 1er janvier 2024, l’article R112-4 du CCH définira la liste des ORC. C’est-à-dire tout organisme qui disposera d’une certification spécifique SEE et tout laboratoire qui bénéficiera d’une accréditation spécifique SEE.
Morale de l’histoire : clarification et dérogation ne sont pas toujours simples ! « Les directeurs sûreté-sécurité incendie vont devoir s’intéresser à ces problématiques, fait valoir Sébastien Samueli. Dès l’étape du projet, s’ils souhaitent déroger ou mettre en œuvre une démarche novatrice, ils devront s’entourer d’un ORC. Cette démarche performance est proche de ce qui se passe déjà dans les pays anglo-saxons. »
Erick Haehnsen
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