Dangereux par leurs réactions au feu et par leurs effets annexes, complexes dans leur composition et donc difficiles à comprendre, les liquides inflammables provoquent des incendies qui doivent être traités avec des moyens spécifiques. Les professionnels s’y sont préparés depuis longtemps, avec l’utilisation d’un arsenal adapté à chaque situation, site ou produit.
Les liquides inflammables ou combustibles sont présents dans la très grande majorité des lieux où l’on travaille : carburants, solvants, diluants, nettoyeurs, cires, adhésifs, peintures… Ils revêtent différentes formes et apparences à la dangerosité variable, résultat de leurs composants. Ceux qui les côtoient ou les manipulent auront donc à gérer des méthodes particulières d’utilisation et à connaître leurs réactions.
Bien qu’ils aient en point commun de pouvoir brûler, on fera d’ores et déjà un important distinguo quant à leur appellation. Les premiers prennent feu facilement et brûlent tout aussi bien aux températures normales de leur environnement. Les seconds ont besoin d’être encouragés par une température supérieure. Exemple type, le gas oil, qui ne peut se mettre en feu qu’à un degré très élevé et sous certaines conditions. Une classification a été élaborée, tandis que des méthodes d’essais et des techniques particulières étaient développées pour l’identification des uns et des autres, conformément au Système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT). On a défini que les liquides inflammables avaient un point d’éclair inférieur à 37,8 °C (100 °F), les combustibles en ayant un égal ou supérieur à la même mesure, mais inférieur à 93,3 °C (200 °F). Dans tous les cas, les feux provoqués par l’un ou l’autre ont été catalogués en « classe B ».
Notons que les deux familles de liquides ont en commun de ne pas brûler par elles-mêmes, mais par le mélange vapeur-air qu’elles produisent. L’essence, qui a un point d’éclair particulièrement bas (- 40 °C) libère suffisamment de vapeur pour former un mélange combustible avec l’air. A contrario, le phénol avec son point éclair élevé (79 °C) doit être porté à cette température pour pouvoir s’enflammer.
Les dangers de ces produits ne s’arrêtent pas au simple incendie ou à l’explosion. Hormis la possibilité de multiplier les risques de « retour de flammes » lors des interventions sur leurs feux, ils recèlent d’autres inconvénients pour la santé et la sécurité. Certains sont corrosifs, tandis que d’autres peuvent évoluer au contact de produits chimiques, multipliant ainsi leur dangerosité. La peau, les yeux, les poumons peuvent être concernés par les exhalations de vapeurs ou les réactions diverses. D’où l’importance de la lecture de l’étiquette apposée sur les bidons et récipients par les fabricants qui indiquent en principe la majorité des dangers pouvant survenir à la manipulation du produit où lors de son extinction. Certains, comme le 2-propanol (diméthylcarbinol, isopropanol, alcool isopropylique), sont plus sournois : il est inflammable, ses vapeurs plus lourdes que l’air se propagent sur de longues distances, mais il agit aussi comme un léger dépresseur du système nerveux central. Son inhalation peut donc provoquer des maux de tête, des nausées, des étourdissements, des irritations, etc.
Classification
> Les liquides inflammables appelés liquides de classe 1 sont séparés en trois catégories :
– Classe 1A : point d’éclair inférieur à 22,8 °C et point d’ébullition inférieur à 37,8 °C.
Ex : Acétate d’éthyle, éther, pentane..
– Classe 1B : point d’éclair inférieur à 22,8 °C point d’ébullition égal ou supérieur à 37,8 °C.
Ex : acétone, essence, MEK.
– Classe 1C : point d’éclair égal ou supérieur à 22,8 °C et inférieur à 37,8 °C.
Ex : térébenthine, xylène…
> Une règle plus générale distingue schématiquement tous les liquides inflammables :
– liquides particulièrement inflammables : point éclair inférieur à 0 °C
– liquides 1re catégorie : point éclair supérieur à 0° et inférieur à 55 °C
– liquides inflammables 2e catégorie : point éclair supérieur à 55 °C, inférieur à 100 °C
– liquides peu inflammables comme le fuel ou le mazout.
> Les liquides combustibles sont divisés en deux classes :
– Classe 2 : point d’éclair d’au moins 37,8 °C inférieur à 60 °C.
Ex : kérosène et peintures à l’huile.
– Classe 3 : point d’éclair d’au moins 60 °C.
Avec deux parties :
• Classe 3A : au moins 60 °C mais inférieur à 93,3 °C (comme l’huile minérale)
• Classe 3B : point d’éclair d’au moins 93,3 °C comme les huiles à frire, à transmission, les lubrifiants auto, etc.
> Les types de feux :
– classe A : feux de matériaux solides
– classe B : feux de liquides
– classe C : feux de gaz
– classe D : feux de métaux
Le choix des armes
On ne lutte pas contre le feu des liquides inflammables ou combustibles avec la seule eau, sauf cas particuliers. Ou du moins celle-ci sera-t-elle mélangée à un autre composant – en poudre ou liquide – afin de former une mousse adéquate à l’étouffement des flammes.
Le plus basique de tous les systèmes d’extinction des feux de liquides reste bien évidemment l’extincteur portable, capable de répondre dans l’immédiat à un grand nombre de déclenchements de sinistres. Qu’ils soient domestiques ou professionnels, ces outils de secours doivent être posés à proximité des contenants en proportion avec les spécificités de ces derniers, et cela va de soi, du liquide qu’ils abritent. Les feux de classe B peuvent être combattus avec succès par des extincteurs à eau pulvérisée avec additif, à poudre ou à CO2. Il est par ailleurs courant qu’un même engin puisse avoir des actions multiples sur différents types de feu – certains sont étiquetés AB, d’autres BC ou ABC.
« Le marché des extincteurs représente en France quelques 2,8 millions d’unités vendues annuellement, analyse Thierry Guitton de Tyco Fire (10 % de ce marché). C’est un secteur stable, qui connaît cependant quelques évolutions dues à des nouveautés, comme celle que nous proposons depuis un an, spécifique pour l’extinction des feux d’huile de cuisine, d’un poids de 3 kg. Il est représentatif de la tendance actuelle, qui s’oriente plus vers le mode de diffusion – le nôtre évite les projections grâce à son diffuseur spécial – que vers les produits. Du côté de ces derniers, on relève quand même une recherche des professionnels vers des composants respectueux de l’environnement, et la disparition programmée des fluors, remplacés par des mélanges moins nocifs. »
Extincteurs, poudre, mousse, fixe, mobile ?
> Les systèmes à poudre – bicarbonate de sodium ou de potassium – sont le plus généralement privilégiés pour les risques liquides, mais présentent certains effets annexes dus à leur composition. La poudre volatile peut endommager des appareils comme l’informatique, ou salir les lieux d’utilisation – comme les labos ou salles blanches. Il faut donc appréhender leur emploi en tenant compte de leur environnement. On notera les avantages de la poudre ABC – garnissant la majorité des extincteurs vendus – capable d’agir sur le plus grand nombre d’incendies grâce à ses qualités. Ses phosphates ou sulfates d’ammonium, phosphates mono-amoniques, ou carbonates de sodium dégageant du CO2 développent des propriétés d’inhibition importantes, tout en produisant sous l’effet calorique une croûte isolante de l’air. Dans tous les cas, les extincteurs doivent être signalés, visibles, solidement fixés, accessibles. Lorsqu’il en existe plusieurs, la distance entre chaque ne doit pas excéder 15 mètres.
> Pour les grands bâtiments industriels, les ERP, les IGH, les centres commerciaux, les aéroports, etc., les extincteurs seront présents en voisinage de tous les points stratégiquement dangereux et seront complétés ou renforcés par des installations spécifiques : déclencheurs automatiques, diffuseurs de poudre ou de mousse, etc. Ces dernières ne manquent pas dans l’arsenal de lutte antifeux, type « déluge » ou « rideau d’eau », basées sur des applications diverses, autour de la pulvérisation de fines gouttelettes d’eau, assurée par des sprinkleurs (équipés souvent de têtes ouvertes sans thermofusibles) commandables à distance, manuellement ou automatiquement. Souvent dopées par l’adjonction d’AFFF (émulseurs), ces stratégies peuvent être de forme, de puissance, de capacité aussi diverses que les lieux qu’elles défendent. Notons en exemple le principe du déluge qui agit par la création d’une lame d’eau continue via des pulvérisateurs à jet plat, (« drenchers ») créant un écran thermique isolant. Sur les sites de stockage de liquides inflammables, il sépare la zone de citernage de celle de dépotage des camions.
« Pour tous les cas, il faut réaliser une étude préalable qui tiendra compte des réglementations, des produits stockés, des surfaces, des hauteurs des bâtiments, etc., rappelle Georges Renaud, directeur technique chez Tyco. Majoritairement régies par les règles Apsad R1, les installations sur les sites recélant des liquides inflammables sont toutes différentes par leurs tailles, leurs mises en œuvre, leur concept, mais reposent sur le même principe. Des sprinkleurs (9m2 pour chaque) diffusant une eau avec additif, un réseau, des réservoirs – eau et additif séparés – un système de déclenchement. Les évolutions du matériel sont permanentes, souvent issues de l’application in situ, et peuvent concerner aussi bien les structures que les produits. Tous les grands installateurs et fabricants réfléchissent, via leur unité spécialisée, à la conception de nouveaux systèmes. Mais cette recherche est souvent le fruit d’un travail en amont. Le client demandeur apporte ses besoins qui génèrent des idées et des stratégies prenant en charge l’ensemble des données, du liquide à éteindre au site à protéger, en passant par les unités de stockage, l’environnement, etc. Ce qui rend chaque installation unique en son genre. »
Le point d’éclair
C’est la température la plus basse à laquelle un liquide libère suffisamment de vapeur pour s’enflammer à sa surface. On peut relever parfois plusieurs valeurs point d’éclair pour un même produit chimique, d’autant plus que lors des méthodes d’essai la pureté du liquide peut varier. Le point d’éclair reste donc une indication qui a une valeur relative dans la définition des conditions de sécurité.
La cas des hydrocarbures
Produits naturels composés uniquement d’atomes de carbone et d’hydrogène, les hydrocarbures sont des liquides inflammables (essences, pétrole, etc.), mais peuvent aussi être solides comme la paraffine, ou gazeux (méthane, propane, etc.) Ils ont deux utilités : la production d’énergie ou de chaleur, et la matière première des industries pétrochimiques, notamment plastiques.
Dans leur aspect liquide, ils sont plus légers que l’eau (densité de 0,7 à 0,9) émettant des vapeurs inflammables en rapport avec les pressions et les températures environnantes. Ces vapeurs sont plus lourdes que l’air – de 2,5 à 3 fois – et tendent donc à s’accumuler dans les parties basses, formant avec cet air un mélange inflammable ou explosif. Ainsi un litre d’essence produira en s’évaporant 200 litres de vapeurs qui, mélangées à l’air, donneront 13 000 litres inflammables. Elles exercent une pression déterminée et constante pour chaque température lorsqu’elles sont dans une enceinte fermée, que l’on a défini comme « tension de vapeur » qui augmente en fonction du thermomètre. On voit immédiatement les influences de ces données sur le développement d’un incendie et leurs conséquences.
Les hydrocarbures sont dangereux à plusieurs titres, par leurs propriétés chimiques, leurs réactions aux autres composants, leur aptitude à s’enflammer. Asphyxiants, intoxicants, polluants, il leur suffit pour provoquer l’incendie d’être convenablement mélangés avec un comburant comme l’oxygène sous température adéquate. Il faudra faire appel pour l’extinction à des émulseurs producteurs avec de l’air et de l’eau d’une mousse physique improprement appelée par les non professionnels « neige carbonique ». Il existe deux grandes familles d’émulseurs : protéiniques, tirés des déchets animaux comme le sang ou la corne – et synthétiques, style détergent ménager, avec agents hydrocarbonés. Certains sont polyvalents, pouvant agir sur différents composants, alcools compris, d’autres sont réservés aux seuls hydrocarbures.
Dans tous les cas, les incendies issus des hydrocarbures doivent faire l’objet d’une étude sur le terrain au tout début de l’intervention, afin d’utiliser le produit, la méthode, la stratégie les plus adaptés. Les pompiers prennent ainsi en compte plusieurs paramètres, comme le vent ou la pluie, la configuration du lieu, les pentes d’écoulement, etc. pour doser leur mousse. Celle-ci agit par étouffement – empêchant l’apport d’air sur le liquide en feu, stoppant les vapeurs, isolant les flammes – ou par refroidissement.
Définitions techniques
> Limites d’inflammabilité ou d’explosibilité
Valeurs à laquelle se délimite l’intervalle compris entre la plus forte et la plus faible concentration dans l’air à laquelle la vapeur brûle ou explose. Elles indiquent donc les dangers d’incendie ou d’explosion. On dit LII ou LIE pour limite inférieure d’incendie ou d’explosion, et LSI ou LES pour la supérieure.
> La température d’auto inflammation
Température à laquelle une matière prend feu en l’absence d’une source d’inflammation apparente comme une flamme ou une étincelle. La plupart des liquides inflammables ou combustibles sont auto inflammables à partir d’un seuil situé de 300 et 550 °C (1022 °F). Elle peut être beaucoup plus basse, comme pour l’éther éthylique qui « démarre » à 160 °C (356 °F).
> La dangerosité des liquides
Même dans des températures ambiantes normales, les liquides en question peuvent libérer suffisamment de vapeurs pour créer des risques d’incendie graves. Les feux de liquides inflammables brûlent rapidement, dégagent une chaleur importante, et souvent une fumée noire, épaisse, toxique. Les combustibles chauds génèrent, de leur côté, des risques identiques, mais doivent être portés à leur température de point éclair pour y arriver. On peut aussi évoquer le cas des brouillards fins des liquides inflammables ou des combustibles, qui peuvent brûler au contact d’une source d’inflammation. Autre danger, la facilité d’écoulement de la plupart des liquides qui peuvent donc se répandre aisément à travers planchers, escaliers, conduits, et propager le feu à tout le bâtiment voire aux bâtiments voisins. Enfin, on pensera à l’effet « éponge » de certains matériaux – bois, cartons, vêtements –, qui absorbent les liquides et les conservent, devenant à leur tour des sources de vapeurs à haute dangerosité.
Stocker sans danger
Les liquides inflammables ou combustibles sont conservés dans des réservoirs, des cuves, des bidons, circulent dans des canalisations, des pompes et des tuyaux, présentant dans leur manipulation des risques de différentes importances. Les sites les plus sensibles étant les grands dépôts de carburants, les raffineries, les réserves stratégiques et les grandes industries. Les hydrocarbures, quant à eux, se retrouvent partout, dans les usines, les chaufferies, les petites installations privées, les stations services, sans compter, comme pour tous les liquides inflammables ou combustibles, dans des unités et engins de transport ou de transformation.
Il y avait en France, en 2009, 1164 établissements abritant des installations de stockage de liquides inflammables soumises à autorisation. Majoritairement dépôts de carburants, ils étaient gérés par une réglementation complexe dont le texte le plus ancien remonte à 1967. D’où la démarche lancée il y a quelques mois par des experts en risques industriels, qui aura aboutit à la publication au JO du 16/11/2010 d’un nouvel arrêté fixant, d’une manière plus simple, les dispositions de stockage, clarifiant l’ensemble des textes précédents.
« En concertation avec la profession, le choix a été fait d’élaborer un texte autoportant, synthétique et cohérent sur un seul périmètre d’application, révèle Olivier Astier, rapporteur du projet devant le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques. Il fallait supprimer l’incohérence liée à l’empilement des textes, le projet prenant en compte les avancées méthodologiques, en termes de conception et d’aménagement des dépôts. »
Ce nouvel arrêté s’applique immédiatement aux installations qui feront l’objet d’une demande d’autorisation à compter du 17 mai prochain. Pour celles qui existent, certaines dispositions sont applicables à la même date, les autres dépendant de leurs propres modalités. A noter que le tout devra être complété par des dispositions de défense contre l’incendie, qui fait actuellement l’objet d’une réflexion au niveau national.
Un simulateur spécial
La brigade des marins pompiers de Marseille, hautement concernée par les feux d’hydrocarbures avec le site de l’étang de Berre et ses terminaux pétroliers, s’est récemment équipée, avec le SDIS du 13, d’un simulateur dédié. Le SDIS recense par ailleurs une trentaine de lieux Seveso sur son territoire, qui confirment ainsi les besoins en la matière. Cet outil moderne, doté d’un générateur interfaces 2D permettra de visionner en virtuel, mais en deux dimensions, l’ensemble des endroits répertoriés sur les Bouches-du-Rhône, de reproduire les conditions de déclenchements d’incidents, de déterminer et calculer les paramètres essentiels à la lutte dans chaque cas, de suivre l’évolution de l’intervention. Afin d’être plus performant, le simulateur fait appel aussi au 3D pour reproduire au plus près le sinistre, un peu à la manière d’un jeu vidéo.
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