Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Risques industriels et environnementaux

Les responsables de la sécurité veulent faire rimer ‘‘sécurité’’ avec ‘‘Retour sur investissement’’

Débutants ou expérimentés, les Responsables de la sécurité sont passionnés par leur métier. Même si leur fonction reste parfois négligée. Mais la crise économique et les nouvelles réglementations introduisent la notion de retour sur investissement dans leurs missions. Ce qui leur ouvre les portes d’une valorisation par l’exemple.

Existe-t-il un virus de la sécurité ? On pourrait le croire tant la majorité des responsables de la sécurité ont débuté jeune dans le secteur et ne l’ont plus quitté. « Il faut dire que ce n’est pas un métier qu’on choisit pour être tranquille, s’amuse Marc Thierry, ingénieur conseil en sécurité à l’Association de formation pour les adultes (Afpa).La routine y est inconnue et on est toujours soumis à l’imprévu. » L’évolution des réglementations, la versatilité des comportements humains, la réponse aux incidents et même la crise économique avec ses restrictions budgétaires pimentent le quotidien. « Tout ce qui touche à l’humain me passionne », confirme Jean-Marie Lane, responsable hygiène et sécurité chez CRH France (matériaux de construction). Tandis que Daniel Condamina, directeur International de la sécurité chez Sephora, donne un aperçu presque guerrier de son investissement personnel : « Le monde est une arène et je préfère être au centre de l’arène que sur les gradins, avoue-t-il. Je voulais voir la vraie vie et être confronté à la réalité. Je suis servi. »

Une fonction parfois dotée de pouvoirs importants.La difficulté apparaît donc comme un moteur pour ces hommes. Même lorsqu’elle émane de la direction de l’entreprise ou de ses employés. Ils l’acceptent parce qu’elle est le contrepoids à leur pouvoir parfois très important : « Je n’ai pas de pouvoir de sanction ou d’injonction, sauf lorsque je constate un risque imminent et grave, affirme Marc Thierry (AFPA). Dans ce cas, je peux arrêter immédiatement une opération. » De son côté, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dispose des plus grands pouvoirs : « Nous réglementons, nous autorisons, nous contrôlons et nous pouvons entrer à toute heure du jour ou de la nuit dans un site en cas de suspicion de risque, assène Jean-Pierre Cayla, inspecteur de la sûreté nucléaire à l’ASN. Nous avons autorité de police judiciaire, de sanctions pénale et administrative. Nous pouvons faire fermer un site sur le champ. » En effet, une décision de l’ASN équivaut à un arrêté ministériel. « Bien sûr, tous les responsable sécurité ne disposent pas de tels pouvoirs, constate Jacques Kerdoncuff, délégué pour la défense et la sécurité à la Société générale. J’assure la sécurité des biens et des personnes. Mais je dois le faire en respectant le Code du travail et les recommandations de la Commission nationale informatique et liberté (Cnil). »

De la sécurité à la prévention. « Depuis l’attentat du 11 septembre, ma tâche s’est complexifiée, en raison des réglementations », confieMarc Houziel,responsable de la sécurité du Grand port maritime de Marseille. Les responsables de la sécurité sont donc confrontés à des limites et des contraintes mais ils y répondent avec pugnacité, n’hésitant pas à faire preuve de subtilité : « Le BTP est le secteur le plus dangereux en France en terme d’accidentologie, commente Jean-Marie Lane. Le gros de mon travail consiste donc à faire de la prévention en répétant inlassablement les consignes. Je m’efforce toujours de trouver de nouveaux moyens pour capter l’attention des salariés. Le secret du succès réside dans le fait que toute la direction s’implique et montre l’exemple. De cette façon, le message passe mieux. »

Point noir : dans une majorité d’entreprises, la direction générale privilégie ses objectifs. Qu’à cela ne tienne, les responsables de la sécurité assument tous leur objectif de réduire les taux de vols ou d’accidentologie. Chez Sephora, Daniel Condamina se maintient à son poste parce que, depuis cinq ans, il a réussi à abaisser le taux de démarque inconnue (terme usité pour qualifier la casse, les pertes par vol en interne ou chez les clients) à 1% et même 0,9%, alors que la moyenne mondiale est de 1,47%. Pour sa part, Jean-Marie Lane a su convaincre son PDG que la sécurité est un facteur de productivité car elle donne aux clients une bonne image de l’entreprise. Mieux encore, elle peut être source de profit lorsque le commercial qui vend du matériel de BTP vend également le matériel de sécurité qui convient à l’activité. Casques de chantier, chaussures de sécurité, lunettes et harnais de protection sont désormais inscrits au catalogue et accompagnent les devis. La sécurité prend des airs d’entité de production.

Michel Grinand

Trois questions à Patrick de La Guéronnière, président d’honneur de l’Agora des directeurs de la sécurité.

Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui le métier de responsable de la sécurité ?

C’est un métier en forte mutation depuis dix ans. Il tend enfin vers une professionnalisation plus pertinente, même si la fonction est encore en quête de reconnaissance à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. Ainsi, l’ancien cliché qui voulait que les responsables de la sécurité soient issus des forces de l’Ordre laisse la place à l’arrivée de jeunes venant du secteur privé avec une formation différente et possédant une vision plus large de leur mission. Moi-même, j’ai été formé à la comptabilité et à la gestion. Ce changement est important car le métier reste ingrat : quand tout va bien, personne ne vient vous voir. Mais, au moindre pépin, tout le monde sait vous faire des reproches. En même temps, beaucoup de directeurs de la sécurité se plaignent de ne pas arriver à obtenir des budgets de fonctionnement dont ils estiment avoir besoin. Les responsables de la sécurité doivent donc prendre conscience de la transversalité de leur fonction. Chaque fonction de l’entreprise génère du risque et tous nos programmes de formation tendent à leur ouvrir l’esprit à cette réalité. Les responsables doivent aussi être capables de justifier leur budget en chiffrant les économies de pertes que celui-ci offrira. Certains pensent encore que « la sécurité n’a pas de prix ». Mais le leitmotiv de l’entreprise, c’est l’argent. Il y a 15 ans, on dépensait 5 à 6 fois plus en sécurité que ce qu’on économisait. Aujourd’hui, les entreprises ont réévalué leurs besoins. Elles ne dépensent plus qu’en étant sûres d’avoir un retour sur investissement.

Les responsables de la sécurité ont-ils des salaires reflétant l’importance de leur rôle ?

Le salaire est aussi un enjeu dans la reconnaissance de la fonction. En France, la rémunération d’un responsable de la Sécurité, sûreté des biens incluse, oscille entre de 50.000 et 150.000 euros, avec une grosse moyenne qui se situe entre 80.000 et 110.000 euros. C’est assez peu, compte tenu des responsabilités. Cela vient du fait que la plus-value de la sécurité est mal identifiée. Par ailleurs, beaucoup de professionnels n’évoluent qu’en interne ou sont d’anciens fonctionnaires acceptant des salaires moins élevés car ils bénéficient déjà d’une retraite.

Que recherchent aujourd’hui les responsables de la sécurité ?

Nous souhaitons que les sujets de la sécurité soient considérés à leur juste mesure. Je ne reproche pas à mon PDG de trancher sur la sécurité mais l’idéal serait qu’il décide en connaissant les conséquences de son choix. Aujourd’hui, on constate encore que les entreprises les mieux sécurisées sont celles qui ont connu un gros incident ou qui travaillent dans un secteur sensible. Or toutes les entreprises devraient être bien sécurisées. C’est pourquoi je m’efforce de donner à mon président une juste connaissance des enjeux sécuritaires. Nous voudrions aussi que nos relations avec les forces de l’Ordre deviennent davantage bilatérales. Les acteurs publics de la sécurité ont toujours beaucoup de défiance envers les acteurs privés alors que plus de confiance permettrait aux uns comme aux autres d’être plus efficaces. Nous devons parvenir à créer cette confiance, mais le chemin me paraît encore long.

Propos recueillis par Michel Grinand

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