Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Santé et qualité de vie au travail

Les enjeux de l'e-santé concernent autant les citoyens et les salariés que tout un secteur industriel

Une nouvelle étude gouvernementale met en lumière les enjeux de l'e-santé qui veut aider tout un secteur d'activité, celui de la santé, à faire sa transition numérique. Mais les acteurs partent en ordre dispersé.

Le Pôle interministériel de prospective et d’anticipation des mutations économiques (Pipame) vient de sortir une nouvelle étude sur les enjeux de l’e-santé. Tant au niveau de la santé des citoyens et des salariés que des entreprises qui en construisent un secteur économique prometteur, à condition de se poser les bonnes questions. L’idée de l’étude, confiée par le Pipame aux cabinets Care Insight et Opus Line, consiste à voir comment faire émerger une offre française capable de répondre aux besoins présents et futurs des acteurs de santé. Soigner autrement est un impératif de santé publique dans un contexte de vieillissement de la population, d’augmentation des maladies chroniques, d’hyper spécialisation de la médecine, de désertification médicale et d’exigence accrue des patients. C’est également un impératif économique qui touche particulièrement la France dont les dépenses de santé croissent aujourd’hui plus fortement que le PIB.
Or le système de santé français, qui s’est bâti autour de l’hôpital, fait face, comme beaucoup d’autres secteurs économiques, à une transformation de son activité impulsée par le numérique. Au-delà de l’informatisation des établissements de santé ou des dossiers patients, les technologies numériques permettent aujourd’hui le développement de nouveaux services dans l’ensemble des domaines de la chaîne de valeur : bien-être, information, prévention, soins ou accompagnement du patient. L’étude dresse un état des lieux des différents segments du marché de l’e-santé, existants ou en développement, qui constitueront demain la croissance industrielle de cette activité encore émergente que ce soit en France, en Europe ou dans le monde. Elle évalue les différents points forts et points faibles de l’offre industrielle française et se penche sur les bonnes pratiques de plus d’une vingtaine de pays.
L’étude identifie l’ensemble des leviers structurants permettant de développer une filière industrielle de l’e-santé en France. Elle montre ainsi que la France dispose de tous les atouts pour réussir. Pour autant, de nombreux obstacles demeurent dans les domaines réglementaire et institutionnel, mais également dans l’appropriation des usages par les patients et les professionnels de santé. Comme souvent avec ces technologies, l’usage par le plus grand nombre constitue la clé de la transformation.

Programmes de soutien. Le programme d’investissements d’avenir (PIA) en économie numérique ou des mesures plus générales en faveur des entreprises en développement comme la French Tech profitent à l’e-santé tout comme, localement elle bénéficie des programmes de développement économique via les pôles de compétitivité ou bien des incubateurs d’entreprises promus et financés par les collectivités locales.

Messageries de santé sécurisées. Par ailleurs, l’e-santé bénéficie plus spécifiquement des programmes du ministère de la Santé mis en place à la suite de la loi HPST de juillet 2009 et de la stratégie nationale de santé annoncée en janvier 2013. Ainsi, des financements spécifiques et un suivi au plan national accompagnent des projets emblématiques comme ceux promouvant la télémédecine (expérimentations art 36 de la LFSS 2014) et la santé numérique (programmes Territoire de soins numérique depuis 2013) ou les programmes d’échanges entre les professionnels de santé en hôpital et en ville via, par exemple, depuis 2012, le projet des messageries de santé sécurisées (MSS).

Nombreuses interrogations. De même, le secteur de l’assurance complémentaire santé et celui de l’assistance s’en emparent afin de renforcer l’attractivité de leur offre. Le consensus semble donc bien inspirer le marché en faveur du développement rapide de l’e-santé dans ces différentes applications. L’étude n’a donc pas cherché à convaincre des bienfaits de l’e-santé, mais s’est focalisée sur une préoccupation : comprendre pourquoi le système de santé français ne tire pas parti de l’e-santé à l’égal d’autres marchés tels ceux du Royaume-Uni si proche, des États-Unis, du Japon ou encore de la Corée du sud. De cette question centrale ont découlé plusieurs interrogations : pourquoi malgré le dynamisme de ses start-up et la compétence de ses professionnels toutes disciplines confondues ̶ qui attirent les grands noms de l’industrie mondiale ̶ la France ne parvient-elle pas à créer des champions à l’échelle internationale ? Pourquoi l’excellence médicale française ne s’appuie-t-elle que marginalement sur l’e-santé ? Pourquoi les expérimentations restent-elles des expérimentations ? Quels sont donc ces leviers que les pays plus en avance dans l’usage de l’e-santé ont su activer ?

Ne pas laisser passer le train. Si demain l’e-santé est largement adoptée dans les pratiques sur toute la chaîne du soin (prévention, soins aigus, accompagnement et suivi à domicile), nos entreprises seront-elles en position de force pour répondre à la demande avec des solutions suffisamment matures pour délivrer la qualité et la fiabilité attendues pour un usage professionnel soumis à des exigences fortes ? Si ce n’est pas le cas, le risque est que l’on préférera alors des solutions étrangères qui auront pu se déployer sur des marchés plus précoces. Nous passerions alors dans l’ère de l’e-santé, mais sans que cela soit au bénéfice de nos entreprises nationales. La course de vitesse est donc engagée pour répondre à la politique nationale de santé tout en favorisant la croissance d’un secteur économique prometteur.

Un relais de croissance qui tarde à se concrétiser. L’e-santé en France représente un marché évalué à 2,7 milliards d’euros en 2014 et pourrait représenter entre 28.000 et 38. 000 emplois. 15 000 emplois pourraient venir de la télémédecine, dont 10.000 générés par la télésurveillance. Le marché est aujourd’hui dominé par les systèmes d’information (systèmes d’information hospitaliers, systèmes d’information des professionnels de santé et systèmes d’archivage électronique) qui représentent à eux seuls 2.360 milliards d’euros en 2014, soit 88% du marché. Les ETI (Entreprises de taille intermédiaire) de la santé représentent 70% du chiffre d’affaires et 45% du nombre total des sociétés sur ce marché.

Le boom des start-up. Les start-up foisonnent sur les différents segments de l’e-santé. Elles excellent dans la maîtrise de technologies innovantes. Plus globalement, ce sont les petites entreprises qui dominent le marché de l’e-santé. On y recense tout d’abord les start-up françaises positionnées sur la télémédecine qui représentent par exemple 40 % des nouveaux appareils de mesure référencés sur le marché, plaçant la France en pointe sur ce segment. Puis les start-up et entreprises innovantes, dont l’activité n’est pas spécialisée sur l‘e-santé mais utilisant des technologies qui facilitent le développement des usages de solutions comme celles des objets connectés à l’instar de Sigfox, dont le succès a été marqué en 2015 par une levée de fonds spectaculaire (100 millions d’euros) suivie d’un investissement dans son capital par Samsung. Vient ensuite un nombre important de petites sociétés (200 qui comptent en moyenne 15 personnes) qui commercialisent, développent et assurent le support généralement d’un seul logiciel. Un quart seulement des entreprises déclare plusieurs logiciels et affichent des effectifs supérieurs à 57 personnes. Rien qu’en Île-de-France, 370 PME interviennent dans le secteur de l’innovation en santé

Pot de fer contre pot de terre. Dans le contexte actuel, malgré les succès de certaines start-up, les entreprises françaises souffrent d’un handicap de taille et de visibilité sur les marchés internationaux. Les groupes étrangers dominent le marché, au premier rang desquels les entreprises sud-coréennes, Samsung principalement, et les start-up américaines. En outre, les soutiens multiples, essentiellement financiers, qui semblent en première lecture un avantage dans la création d’un écosystème français dynamique, peuvent entraîner l’effet pervers de maintenir des offres qui n’ont pas rencontré de marché. Faute de modèle économique viable, certaines start-up ne vivent que de subventions publiques ou d’appels à projets.

Démarches concomitantes et dispositifs incomplets. À ce jour, le tissu industriel français de l’e-santé reste immature avec une représentation professionnelle portée par de nombreuses organisations. L’alliance e-health France qui vient de se créer vise à mieux représenter le secteur et à mieux coordonner les initiatives vis-à-vis des pouvoirs publics. Les start-up se sont également rassemblées en association, France eHealth Tech, afin de porter leur voix de façon unie auprès des pouvoirs publics. Sur le secteur spécifique de l’e-santé, la création de l’Agence des systèmes d’information partagés de santé (Asip Santé) en 2009 et celle de la Délégation à la stratégie des systèmes d’Information de Santé (DSSIS) témoignent de la volonté des pouvoirs publics de développer l’e-santé en France dans un cadre maîtrisé. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS) pousse également à son développement par le soutien apporté aux projets de télémédecine (appel à projets télémédecine sur 9 territoires d’expérimentation) et au système de messageries sécurisées de santé MSSanté. Le programme Territoire de soins numérique (TSN) dont l’objectif affiché est de favoriser l’émergence d’une offre de systèmes d’information et de services innovants au service de la coordination des soins bénéficie d’un financement de 80 millions
d’euros.

Les aléas du DMP. Pour mettre en cohérence le volontarisme des pouvoirs publics et la situation actuelle de l‘e-santé, il semble que plusieurs évolutions pourraient assez facilement rassurer le marché et donner un nouvel élan à l’e-santé. A commencer par le projet Dossier médical partagé (DM)P, « vaisseau amiral » de l’e-santé depuis sa création par la loi pour l’assurance maladie de 2004, qui a subi les aléas de pilotage et de soutien politiques dénoncés à plusieurs reprises par la Cour des comptes. Les arrêts et les redémarrages du projet ont semé le doute sur le niveau d’ambition réel des pouvoirs publics pour ce dispositif.

Mobilisation. Aujourd’hui, confié à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam-TS), il suscite de nouveau l’espoir de voir se généraliser un support de partage des informations de santé pour chaque citoyen. En octobre 2015, la Fédération des éditeurs d’informatique médicale et paramédicale ambulatoire (Feima), Les entreprises du médicament (Leem), Les entreprises des systèmes d’information sanitaires et sociaux (Lessis), le Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (Snitem) et Syntec numérique ont créé eHealth France, une alliance pour promouvoir la santé numérique. Espérons que cette mobilisation serve non seulement à l’amélioration de la santé des citoyens mais aussi celle des professionnels en situation de travail.

Erick Haehnsen

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