Instituer la culture de la prévention dans les organisations permettrait de limiter les accidents du travail et les maladies professionnelles. Mais aussi de limiter l'absentéisme et de gagner en performance. Seconde partie de notre enquête.
Instituer une culture de la prévention au sein des entreprises constitue un des piliers du projet de loi santé et sécurité au travail actuellement en cours d’examen au Sénat. Déjà adopté par les députés le 17 février dernier, ce texte impose, entre autres, la création d’un passeport de prévention qui recensera les formations en sécurité et santé au travail (SST) suivies par les travailleurs.
Il prévoit aussi de nouvelles obligations en matière de formation des membres des délégations du personnel au comité social et économique (CSE) en matière de santé et conditions de travail, selon l’article 28 du projet de loi. L’instauration d’une culture de la prévention pour limiter drastiquement les accidents du travail et les maladies professionnelles a déjà été initiée dans les grands groupes industriels. En revanche, les PME et les TPE sont à la traîne. Or elles représentent 98 % des emplois.
La sinistralité plafonne
Il y a urgence que les entreprises s’investissent dans la prévention sachant que les accidents du travail (AT) sont passés, rappelons-le, de 651 103 en 2016 à 655 000 en 2019. Quant à la sinistralité, elle tend à plafonner. La fréquence des accidents du travail pour 1 000 salariés s’élevait à 33,4 AT en 2017 contre 33,5 AT en 2019. Autres points préoccupants, entre 2018 et 2019, on enregistre à la fois une hausse des accidents de trajet (+1%) et des maladies professionnelles (+1,7%). Sur les 50 392 cas reconnus en 2019, 88 % concernent les troubles musculosquelettiques (TMS). Lesquels pourraient, tout comme les accidents de travail ou de trajet, être évités grâce à l’instauration d’une culture de la prévention.
Importance de l’organisation du travail…
Mais comment la mettre en œuvre ? Cette démarche doit s’appuyer sur plusieurs piliers. À commencer bien sûr par la prévention primaire. Laquelle consiste à analyser les risques afin de protéger les salariés et en aménageant leur poste de travail et en combattant les risques à la sources (aspiration des polluants, amélioration des postes, etc). « Le second pilier concerne l’organisation du travail », rappelle Cédric Leborgne, ergonome au sein de Human 3D Technologies, cabinet conseil et formation en ergonomie et innovation qui insiste : « En impliquant le collectif dans la conception des espaces de travail et dans la définition des flux de l’organisation du travail, en alternant les tâches et en les répartissant au sein du collectif en fonction des compétences, de l’expérience et des appétences, il est possible de limiter voire d’éliminer les risques impactant la santé physique et mentale des salariés. »
… Et de la formation
Enfin, le troisième pilier concerne la formation de l’ensemble des personnes appartenant à l’organisation. Et ce, depuis le PDG jusqu’aux apprentis, en passant bien sûr par les salariés et les intérimaires. L’enjeu est que chacun partage les mêmes valeurs, références et normes. Et qu’ils adoptent et partagent les mêmes convictions et principes en termes de santé et sécurité au travail.
Une démarche pour limiter l’absentéisme
L’entreprise a tout à gagner en instaurant une telle démarche. Et pour cause. « Du côté des salariés, l’absence de prévention génère une perte de motivation et de qualité du travail. Ce qui est facteur d’absentéisme et, à terme, de perte de compétence pour l’entreprise », résume Cédric Leborgne. Le préventeur en profite pour rappeler que l’absentéisme coûte aux entreprises une centaine de milliards d’euros par an en coûts directs et indirects en France. Ce chiffre provient de différentes études dont celles de l’Institut Sapiens. Au-delà de ces considérations financières, l’ergonome rappelle à cet égard que l’instauration de la culture de la prévention est déjà rendue obligatoire par l’article L4121 du Code du travail qui stipule, entre autres, que les employeurs doivent proposer des formations à la sécurité au travail à leurs salariés.
Des économies à la clé
En posant les fondements d’une véritable culture de sécurité dans leur entreprise, les dirigeants sont susceptibles de faire de substantielles économies. Il faut savoir que le coût moyen forfaitaire des accidents du travail est en forte hausse. Selon le barème des coûts moyens publié au Journal officiel fin décembre, ils augmentent de 3,7 % en 2019, soit quasiment le double de 2018 (2 %). Et depuis 2012, la progression atteint presque 18 % en évolution des coûts moyens consolidés.
Une démarche d’amélioration continue
« Instituer une culture de la prévention n’est pas une recette que l’on applique ponctuellement pour l’oublier aussitôt », met en garde Fabien Gille, préventeur et psychologue du travail. Ce dernier rappelle que la prévention des accidents et des maladies professionnelles est, à la différence de la sécurité, une notion dynamique. Et ce, dans la mesure où les situations de travail évoluent avec l’émergence de nouveaux risques (par exemple les nanotechnologies, le télétravail, etc.) susceptibles de produire des effets directs ou différés sur la santé. « La culture de la prévention repose sur une démarche d’amélioration continue qui s’inscrit sur le long terme. C’est un travail de longue haleine permettant de rendre l’organisation plus efficace et d’obtenir des progrès notables autant en termes de productivité qu’en termes de protection de la santé », explique le préventeur.
Engagement clair de la direction générale
Pour être efficace, cette démarche doit être initiée par la direction générale qui marquera clairement son engagement par des actions de communication. Ensuite, des formations dédiées à l’acquisition des bases de la prévention des risques devront être dispensées à tous les acteurs de l’entreprise. Concrètement, Fabien Gille estime la durée de formation générale à 3 jours. Il s’agit d’une première étape. Le programme doit être adapté au contexte de l’entreprise. À savoir, sa situation économique, la nature de l’activité, l’état des lieux, des connaissances du sujet, les crises récentes éventuelles, le pourcentage d’absentéisme.
Prévention rime avec performance
La formation doit être pratique, c’est une formation-action qui a a lieu sur le terrain. Elle comprend des exercices pratiques et des retours d’expérience. « Ces journées doivent se répartir dans le temps de façon à ce que les participants s’approprient la méthode en préparant sa mise en œuvre dans leur entreprise. Ils analysent ainsi des situations de travail et préparent les mesures de prévention adéquates, explique Fabien Gille. La culture de la prévention s’acquiert par un accompagnement pédagogique. Bien sûr, les allers et retours entre théorie et pratique sont indispensables pour ancrer la démarche dans l’action. Les résultats sont toujours positifs. » Un avis que confirment des études menées au niveau européen qui montrent que la prévention est rentable car elle est source de performance pour l’entreprise.
Éliane Kan
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