Coupes resserrées à la taille, touches de couleurs vitaminées, pantalons moulants… Il semblerait que les fabricants de workwear saisissent de mieux en mieux l'importance du style mais aussi des problématiques ergonomiques que rencontrent les femmes dans le milieu du travail. Panorama des approches innovantes.
Le fait est à la fois historique et sociologique. Comme les femmes sont de plus en plus nombreuses dans le monde du travail, elles ont besoin de vêtements professionnels qui leur soient adapté. Et, bien sûr, les grands acteurs du workwear n’ont pas pu rater ce rendez-vous. Cepovett, Chatard, Fashion Securité, Honeywell, Lafont, Lemaître, Rentokil-Initial, Uvex… sont en train d’adapter leurs collections aux femmes, voire de détricoter entièrement leur vision traditionnelle du ‘’bleu de travail’’ réservé aux hommes. Étonnamment, ce sont parmi les collections dédiées aux ‘’métiers d’hommes’’ (BTP, logistique et industrie) que les avancées pour les femmes sont les plus visibles.
Davantage de femmes dans l’industrie. Une chose est sûre, les femmes ne se cantonnent plus aux métiers qui leur étaient traditionnellement dévolus. A savoir les secteurs du sanitaire, du médical, du juridique, de la gestion, de l’information, de la communication ou encore de l’administration. Preuve en est, selon le baromètre Technicien 2015 qui a été réalisé par l’opérateur d’intérim et de recrutement spécialisé Page Personnel, elles représentent désormais 13% des cols bleus. Selon une étude de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) au ministère du Travail, la proportion des femmes aurait considérablement augmenté dans les différents métiers durant ces 30 dernières années. Par exemple, elle est passée de 5,6% en 1983 à 8,1% en 2011 dans la fonction de technicien et agent de maîtrise (AM) dans le secteur de électricité-électronique. De même, leur nombre a augmenté de 3,6% à 10,1% dans les industries mécaniques et de 11,6% à 20,9% dans les industries de process. Mais c’est surtout le secteur du transport et de la logistique qui a connu l’évolution la plus remarquable. Selon l’Observatoire prospectif des métiers et des qualifications dans les transports et la logistique (OPTL), la proportion d’emplois féminins atteint 20% en 2013. La branche compte désormais 128.000 femmes. « Les femmes sont de plus en plus nombreuses en logistique au niveau de la préparation de commandes et du picking. Il faut savoir que de nombreuses sociétés privilégient les femmes pour leur minutie », commente Christophe de Souza, commercial chez VPA Industrie, un distributeur spécialisé dans les vêtements professionnels.
Avis divergents. Face à cette nouvelle problématique, le contexte réglementaire n’est pas clair : « Actuellement, le code du travail n’apporte rien de précis sur la problématique spécifique aux vêtements de travail féminins. Or la prévention des risques n’a pourtant pas de sexe. L’employeur a seulement pour obligation de mettre à disposition de ses salariés des équipements collectifs et individuels pour la prévention des risques », précise Jean-Luc Reinero, gérant du cabinet conseil Rainbow ergonomie et président de la branche ergonomie de la fédération Cinov qui rassemble les syndicats des métiers de la prestation intellectuelle du conseil, de l’ingénierie et du numérique. Cependant, concernant la question de savoir s’il est nécessaire ou non de créer des collections spécialement dédiées aux femmes, les avis divergent. Pour l’ergonome, cette problématique ne fait pas sens : il n’existe pas de différence de traitement dans l’approche sécurité entre un homme et une femme. Bref, tout le monde devrait être logé à la même enseigne. A côté des purs arguments marketing des fabricants de workwear, « les besoins des femmes ne diffèrent pas fondamentalement de ceux des hommes. Nous possédons les mêmes déterminants et capacités physiologiques, biomécaniques ainsi que le même rythme cardiaque. D’ailleurs, même si l’anatomie des femme est sensiblement différente de celle des hommes, les vestes sont taillées de façon suffisamment amples pour répondre à ce besoin. » Toujours est-il que, du côté des fabricants, cet avis ne fait pas l’unanimité. A commencer par le bureau de stylisme Ex Nihilo, une grande référence dans le secteur du workwear. Lequel a conçu de nombreuses collections à la demande de grands groupes tels que Bouygues Energie & Services, Colas, SNCF ou encore Rentokil. Pour Karine Da Silva, co-fondatrice de ce bureau, « les vêtements de travail à savoir blouses, parkas, combinaisons et pantalons, existant sur le marché sont unisexes. Et ils ont été conçus par défaut pour des hommes. De ce fait, ils ne respectent pas la morphologie des femmes. Ce qui est susceptible d’entraîner de nombreux désagréments. »
Contrainte ergonomique. « Les vêtements masculins sont trop larges, ils créent un effet »ventripotent » et ce volume encombre les gestes et les postures de l’opératrice. C’est une vraie contrainte ergonomique. La femme est gênée par de nombreux facteurs tels que la longueur de manche non adaptée, la carrure, largement supérieure à ses épaules ainsi que le poids du vêtement qui est lourd à porter. Parfois, cela devient à contre-emploi de la sécurité de l’opératrice qui, avec ce surplus de tissu, risque de s’accrocher à des portes ou de se coincer dans une machine, reprend Karine Da Silva . Il ne faut pas confondre ampleur et confort. Aujourd’hui, nous savons qu’il vaut mieux travailler avec un vêtement près du corps, à la coupe bien ajustée. On ne porte pas un baggy pour se sentir bien ! » Et Pascal Gauthier, président de la commission vêtement du Syndicat national des acteurs du marché de la prévention et de la protection (Synamap), de s’interroger : « A partir du moment où le vêtement, par sa forme et sa matière, répond aux exigences liées à l’activité professionnelle comme la durabilité, la résistance aux agressions, à quel titre ne devrions-nous pas adapter nos vêtements aux différentes morphologies ? »
L’importance du style. Bien sûr, au-delà de la problématique ergonomique, les femmes sont aussi particulièrement attentives au style et à l’esthétique de leur vêtement. « Pour obtenir une silhouette plus féminine, il s’agit de souligner la poitrine, marquer la taille, libérer les hanches, avec un effet plus séduisant, détaille Karine Da Silva. Notre but ultime serait d’atteindre le niveau attractif de l’uniforme de l’hôtesse de l’air avec un vêtement de travail. C’est-à-dire de créer un vêtement que les employées n’auraient pas honte de porter dans la rue mais, bien au contraire, dont elles se sentiraient fières. »
Niche ou vrai segment de marché ? Parmi les nombreux fabricants de workwear pour lesquels la nécessité d’adapter leurs gammes aux femmes fait autorité, on constate plusieurs tendances. La plupart se contentent d’étendre leurs gammes à des tailles plus petites. Tel est le cas par exemple de Lafont, acteur historique du workwear. Ce fabricant a lancé pour sa collection Ergo Thermo une veste mixte dédiée aux professionnels qui évoluent dans des conditions climatiques difficiles. L’avantage étant économique pour le client, sachant que les collections femmes sont plus onéreuses. En effet, il faut compter 20% de plus en coûts de production, selon le bureau de stylisme Ex Nihilo. Toujours est-il que certains acteurs, à l’image d’Initial, la filière du groupe anglo-saxon Rentokil-Initial, spécialisée dans la location d’entretien d’articles textiles et hygiènes, ont fait un choix plus audacieux : un vestiaire complet (blousons, pantalons, blouses) a été conçu pour les femmes évoluant dans l’industrie, la logistique ou d’autres secteurs impliquant un contact avec le client.
Coupe plus cintrée. « Cette gamme n’est pas une simple déclinaison du vestiaire homme. Au niveau morphologique, la coupe est plus cintrée, les poches au niveau de la poitrine ont été retirées. Au niveau du bassin, la coupe est plus évasée avec des fentes sur les côtés, afin de gagner en aisance », développe Marion Jousset, chef de marché industrie et EPI chez Initial. Pour le bureau de stylisme Ex Nihilo qui a dessiné cette gamme, le modèle économique le plus rentable réside dans le secteur du B2B. C’est donc seulement à la demande du client que le bureau dessine une collection pour les femmes. Pourtant, avant de réussir à convaincre une entreprise à investir dans des tenues féminines, le parcours est semé d’embûches . « Dans le cadre des réseaux B2B, le processus est compliqué car la sélection des tenues en général, et en particulier des chaussures de sécurité, incombe à des personnes mandatées comme les membres du Comité Hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT) ou les responsables Hygiène, sécurité et environnement (HSE). Ensuite, cette sélection doit obéir aux règles fixées par le service d’achat en termes de budget », souligne Jean-Pierre Boutonnet, directeur commercial France chez Lemaitre Sécurité, fabricant de chaussures de sécurité. Quoi qu’il en soit, les mentalités changent. Il y a une prise de conscience dans les entreprises. « Depuis 5 ans, les clients nous envoient des tableaux de commande sur Excel qui comprennent les catégories »homme » et »femme » », évoque Christophe de Souza.
Vers des approches 100% féminines. Mais ces démarches sont sans aucune mesure avec le défi que s’est lancé Fashion Sécurité qui se concentre essentiellement sur la conception et la production d’équipements féminins destinés au bricolage et au jardinage. « Avec nos couleurs pétillantes et notre design inspiré du prêt-à-porter, nous souhaitons faire bouger les lignes. D’ailleurs, cette offre reçoit un bon accueil auprès de la clientèle féminine. Nous avons l’impression de dépoussiérer les vestiaires du workwear classique !, explique, non sans enthousiasme, Céline Lapotre, fondatrice de Fashion Sécurité, une société qui a été rachetée il y a quelques mois par Far Group Europe. Ce qui au départ était une niche de marché s’avère être aujourd’hui un vrai segment ! »
Justement, pour que son modèle économique tienne la route, la start-up a décroché des accords de distribution avec de grandes enseignes de bricolage et de jardinage telles que La boîte à outils, Leroy Merlin, Mr Bricolage et Weldom. De même qu’avec plusieurs plate-formes de e-commerce comme Amazon.com. Pour l’instant, cette initiative est un succès qui a été récompensé par le prestigieux Janus de l’industrie 2015. A ce prix vient s’ajouter le label « remarqué par les femmes pour les femmes », décerné par le Womens Garden Executive Club (WGEC). Deux distinctions chargées de récompenser des produits qui ont le mérite de respecter la morphologie des femmes, tout en étant normalisés catégorie 1.
Sizzy automatise les campagnes de prise de mesures
Lorsqu’une entreprise souhaite équiper ses employés de workwear, elle est chargée d’organiser une campagne de prise de mesures avec un bureau de stylisme ou un fabricant. Le but étant d’obtenir les mensurations de tous avant d’effectuer les commandes. Une tâche qui s’avère souvent longue et fastidieuse.
A cet égard, la société de prise de mesures corporelles Sizzy a développé un scanner de corps en 3D permettant d’écourter considérablement le temps de prise de mesures. « Le système fonctionne comme une cabine d’essayage dans laquelle l’employé entre. Ensuite, le scanner est chargé de capter et de restituer les points de mesure afin de commander au fabricant le vêtement de travail en fonction de la morphologie et du guide de taille. Et ce, en 4 secondes, commente Richard Bodin, directeur de la société. Du coup, ce qui pouvait prendre plusieurs dizaines de minutes manuellement se réduit ici à 2,30 minutes par personne. »
Au delà de ce précieux gain de temps, c’est surtout un avantage financier qui va se dégager de ce concept. En effet, le système génère des avatars 3D qui sont directement envoyés à une imprimante reliée à une table de coupe destinée à produire des patrons sur-mesure. Cette approche vise à réduire le surcoût de 20% que les vêtements de travail féminins sont sensés présenter. En cause, les coûts liés à la production mais aussi le prix de la prise de mesures qui concerne 7% du prix. Un taux qui devrait donc baisser grâce à ce processus. « Les fabricants vont pouvoir faire du sur-mesure au même prix que le prêt-à-porter. De quoi démocratiser le workwear féminin. »
Les métiers de bouche en pointe
« Le secteur des métiers de bouche serait le plus évolué en ce qui concerne le vêtement de travail féminin, considère Christophe de Souza, commercial chez VPA Industrie, un distributeur spécialisé dans le workwear. L’engouement du grand public pour les émissions de télé-réalité culinaires à la mode a eu une grande influence ces dernières années dans cette évoluiton. » Quoi qu’il en soit, lorsqu’on découvre la gamme Saveur destinées aux métiers de bouche du fabricant Initial, il y a de quoi s’étonner : suivant la vogue des jeans chez les grandes marques de prêt-à-porter Zara et H&M, les pantalons de la gamme ont été cousus de façon à créer un rehaussement des fesses. C’est ce que l’on appelle plus communément, dans le milieu de la mode, un effet »push-up ».
Les baskets plus tendances que jamais
Fashion Sécurité a conçu une gamme de chaussures de sécurité qui s’inspire de l’indémodable basket américaine. Ces chaussures offrent une protection aux normes actuelles de sécurité de classe S1P. Et ce, avec une coque en acier savamment dissimulée grâce au look à l’américaine de la chaussure. Chez Lemaitre Sécurité, fabricant qui fait autorité dans le milieu de la chaussure de sécurité, l’inspiration se met aussi à la page de la mode « avec une influence issue de la Converse ainsi que des sneakers. Il faut concevoir les collections femmes avec un chaussant spécifiquement adapté aux mesures du pied féminin », se plaît à le rappeler Jean-Pierre Boutonnet, directeur commercial France. La sneaker, rappelons-le, est cette fameuse paire de baskets blanche dotée d’une étiquette verte au-dessus du talon qui fait des ravages dans les vestiaires des fashionistas parisiennes. Résultat : une collection nommée Libert’in, qui a pour but de concilier protection, légèreté, souplesse et design. Avec sa variante, la gamme Vitamin’, qui revisite les thèmes du flashy avec des couleurs très vives (vert anis, lilas, orange, bleu octane).
Ségolène Kahn
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