Avec la forte hausse du cours des matières premières, les vols d'objets métalliques et de câbles explosent partout en France. Les pouvoirs publics et les entreprises sont sur le pont.
Particuliers coupés du réseau électrique, voyageurs bloqués dans les trains, spectateurs privés de match de foot… Régulièrement, les vols de métaux, et plus particulièrement le rapt de câbles en cuivre, font des milliers de victimes collatérales. En témoigne dans les Yvelines, la ville de Meulan qui a vu une partie de son réseau d’éclairage public saccagé par des malfrats en quête de cuivre. « Résultat, 12 000 à 15 000 personnes ont été privées d’électricité et d’Internet. Idem pour l’hôpital et les commerçants », soulève Jean-Pierre Ziolo, major au sein de la brigade de sûreté départementale. L’officier déplore d’ailleurs que les vols s’accompagnent en général de dégradations importantes. « Par exemple, lorsque 1 500 mètres de câbles d’éclairage ont été volés au stage Léo-Lagrange des Mureaux, outre la gêne pour les amateurs de foot, cela a occasionné pour la ville 35 000 euros de dégâts. » Par chance, une empreinte palmaire a été retrouvée et son propriétaire arrêté lors d’un contrôle de police. Compte tenu de ses antécédents judiciaires et l’ampleur des dégâts, le malfaiteur a été condamné, en comparution immédiate, à deux ans fermes. Une condamnation exemplaire quand on sait que les vols de câbles font généralement l’objet d’un rappel à la loi ou d’un non-lieu. Surtout quand il s’agit de mineurs travaillant en famille.
« Les vols de métaux ont toujours existé, mais jamais avec une telle ampleur », constate pour sa part le commandant Daniel Pigois, chef de brigade au sein de la sûreté départementale des Yvelines. « Autrefois, c’était surtout le fait isolé d’employés indélicats ou de gens du voyage. Dorénavant, il s’agit de véritables bandes organisées et itinérantes, qui proviennent des pays de l’Est », constate l’officier. Un constat que partage Alain Bousser, commandant de police à l’unité de liaison d’information et de synthèse (Ulis) des Yvelines. Depuis le début de l’année, cette unité transversale a eu connaissance de 28 faits ayant donné lieu à des plaintes. « Les vols explosent en région parisienne », s’exclame d’ailleurs Alain Bousser. Il s’agit principalement des vols dans les chantiers et les entrepôts, mais aussi les stades municipaux, qui sont en général isolés et sans surveillance. A cette longue liste s’ajoute la disparition de plaques d’égouts. Ces méfaits ne se cantonnent pas à la région parisienne.
Plan d’urgence de 40 M€
Pour la seule année 2010, l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) a dénombré de son côté 11 654 faits enregistrés par la gendarmerie nationale et la police nationale selon un rapport publié en juin par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales. La France, tout comme ses voisins européens, est touchée par ce phénomène qui a démarré dès 2006 avec la forte hausse du cours des matières premières liée à la demande de la Chine et de l’Inde. Cette délinquance a des conséquences financières élevées pour les grands utilisateurs de câbles en cuivre comme ERDF, RTE et la SNCF. Les deux premières ont subi 800 vols pour un montant de 15 millions d’euros contre 3 353 vols pour la SNCF et RFF (Réseau ferré de France). Le secteur ferroviaire déplore un préjudice de 30 millions d’euros et 5 800 heures de retards cumulés dans la circulation des trains. Ce qui a donné lieu l’an dernier à la signature d’un plan d’urgence qui coûtera 30 millions d’euros à RFF et 10 millions d’euros pour l’Etat. Ce plan étalé sur 18 mois porte sur quatre axes : d’abord la protection électronique des bâtiments sensibles et leurs abords (sous-station, poste d’aiguillage, parcs de stockage), l’installation de clôtures et de systèmes d’éclairage (coût 19,5 M€) associée à la surveillance des zones les plus exposées par des hélicoptères de la gendarmerie nationale équipés de moyens de vision nocturne. Concernant les voies en exploitation, il prévoit d’ancrer et d’enfouir les câbles existants dans les zones les plus exposées. Des mesures renforcées par la télésurveillance de certaines zones (17,2 M€). Enfin, à l’instar de certains opérateurs ferroviaires, comme la Deutsch Bahn ou Network Rail, RFF a décidé d’expérimenter le marquage de ses câbles afin de les identifier et de les tracer à l’aide d’un marqueur spécifique (3,3 M€).
De nouvelles règles du jeu pour les recycleurs
> Régulièrement braquées ou cambriolées par les malfaiteurs, les entreprises de recyclage de métaux doivent faire face à de nouvelles règles du jeu.
Les entreprises de recyclage de métaux ferreux et non ferreux sont plus que jamais sur le qui-vive. Et pour cause, « le prix moyen d’une tonne de non ferreux recyclé oscille entre 1 500 et 2 000 euros et celui du cuivre peut atteindre 5 000 euros la tonne », indique Patrick Kornberg, le porte-parole de Federec, une association qui réunit 1 300 entreprises, soit 80 % de la profession. Laquelle est obligée de mettre ses stocks à l’abri des grillages, des caméras de vidéosurveillance et des rondes de gardiennage. Ce qui n’empêche pas les malfaiteurs de s’attaquer désormais aux camions qui acheminent leurs ferrailles et autres matières recyclées chez leurs propres clients. Autre source d’inquiétude pour les recycleurs, les braquages qui visent les espèces enfermées dans les coffres. Lesquels pouvaient jusqu’en août 2011 représenter de 30 à 40 % de la valeur des achats. Pour assurer la sécurité de leur personnel, les professionnels sont tenus désormais de payer leurs fournisseurs (artisans, entreprises de métallurgie, particuliers, etc) par chèque ou par virement. Revers de la médaille, « nous avons constaté une baisse d’activité de l’ordre de 30 % pour les adhérents de Fédérec », soulève Patrick Kornberg, son porte-parole pour les métaux non ferreux.
Principale raison de cette baisse d’activité, certains fournisseurs préfèrent revendre aux recycleurs transfrontaliers, qui ne sont pas soumis à la même réglementation. « L’obligation de payer par chèque ou par virement est une spécificité française », explique Patrick Kornberg, qui ne désespère pas de voir, un jour, cette règle du jeu appliquée à l’étranger.
Idem pour cette obligation qui vise à demander aux fournisseurs l’origine de leurs métaux grâce notamment à des certificats. A cela s’ajoute le fait de devoir, dès 2013, déclarer à l’administration fiscale l’identité des fournisseurs et le montant des sommes versées à l’année. Autant de contraintes qui peuvent amener les fournisseurs à se tourner vers les filières parallèles. En France, on dénombrerait quelques centaines de chantiers clandestins opérant dans l’ombre des entreprises ayant pignon sur rue. Lesquelles sont désormais tenues, lorsqu’elles sont en présence de marchandises volées, d’en avertir les forces de l’ordre dans le cadre de la convention passée par Federec avec les pouvoirs publics.
Marquage par ADN
Il existe plusieurs modes de marquage des métaux proposés, entre autres, par trois entreprises britanniques, en l’occurrence Smartwater, Redweb Technologies ou encore SelectaDNA. Point commun, leur solution se présente sous une forme liquide embarquant un système de codage lisible par rayon UV que l’on appose sur la surface de l’objet. Chacun a, bien sûr, sa recette : Smartwater utilise des terres rares, SelectaDNA un ADN et RedWeb Technologies des peptides. Grande différence avec ses deux concurrents, « notre solution intègre des peptides qui vont maculer les doigts du voleur de sorte à établir un lien formel entre le butin et le voleur », décrypte Chris Taylor, le porte-parole de l’entreprise qui protège ainsi des milliers d’objets.
Grâce à ces fournisseurs de marquage, câbles, rails, croix, colliers et autres produits métalliques sont dès lors individuellement identifiables car chaque solution vendue est personnalisée au nom de son propriétaire. « Nous utilisons dans notre solution des particules millimétriques 10-7 en céramique », indique Pascal Kouppé, directeur général de SelectaDNA France. Détectable par des chiens policiers, ce produit est applicable à l’aide d’un spray et supporte des températures allant jusqu’à 1 200 °C. 45 minutes et trois aérosols sont nécessaires pour traiter 1 km de câbles enterrés dans des caniveaux recouverts d’un couvercle en béton. « En cas de vol, il suffira aux forces de l’ordre de lire le code à l’aide de nos lecteurs laser et de nous demander de faire une recherche dans notre base de données pour identifier le propriétaire des câbles. » Mieux, grâce à sa solution qui contient des micropoints en nickel lisibles à l’aide d’un microscope électronique, les forces de l’ordre pourront même localiser l’endroit où les câbles ont été coupés. Des arguments qui ont permis à cet opérateur britannique de marquer plusieurs milliers de câbles, notamment ceux de la Deutsche Bahn.
Sensibiliser les installateurs
A l’instar des opérateurs de réseau ferroviaire, les gestionnaires de réseau électriques sont aussi confrontés aux vols de câbles. A commencer par ERDF qui a en charge plus d’un million de km de réseau dont certaines parties font l’objet d’attaques régulières. « Nous avons vécu une année 2011 difficile avec la disparition en Gironde de 5 tonnes de fil de cuivre. Le préjudice s’élève à 200 000 euros, et il nous en a coûté autant en réparation », rapporte Jean-Guy Majourel, directeur régional d’ERDF Aquitaine, en déplorant que les malfrats n’hésitent pas à mettre leur propre vie en danger pour commettre leurs forfaits. Pour limiter les vols, ce dernier a signé en juillet une convention avec le préfet de région et deux procureurs de la République de Bordeaux et de Libourne. ERDF s’engage à déposer rapidement plainte en cas de disparition de sorte à faire intervenir très vite la police et la justice afin que les auteurs soient rapidement retrouvés et punis. La convention passe aussi par la désignation d’un correspondant vol de métaux aussi bien chez ERDF que dans les services de police et dans les unités de la gendarmerie. L’idée étant de faciliter l’échange d’informations précieuses comme la liste des chantiers sensibles situés notamment en milieu rural ou des matériels les plus fréquemment volés. « Autre avantage de la convention, c’est que nous bénéficions de l’expertise des forces de l’ordre pour sécuriser nos sites et sensibiliser notre personnel et nos prestataires installateurs », résume Jean-Guy Majourel, qui a pu constater une baisse des infractions depuis la signature de la convention. Laquelle pourrait être déclinée dans chacun des départements de la région.
Jouer la prévention contre le vol des bijoux
Pour décourager les vols à l’étalage, les boutiques s’équipent de portiques de détection. Une solution qui n’empêche pas les braquages. D’où l’intérêt de la douche ADN qui commence à équiper certains commerçants.
Avec un cours qui flirte avec les 1 800 dollars, l’once d’or suscite les convoitises. Premières victimes, les bijoutiers qui, pour se prémunir contre les vols à l’étalage équipent leur boutique de portiques de détection. Trois technologies s’y prêtent, le magnéto acoustique, la radio fréquence et l’électromagnétique. « Cette dernière permet d’avoir des étiquettes plus fines », indique Thomas Fontaine de l’entreprise Acurity, qui propose aussi le plus petit tag du monde qui s’accroche discrètement aux bagues, colliers et autres pendentifs soit à l’aide d’un anneau de fixation soit au moyen de fils.
Efficaces pour limiter les vols à l’étalage, ces technologies ne permettent pas d’éviter les braquages. D’où l’intérêt du système de SelectaDNA, qui peut avoir un effet dissuasif. L’entreprise propose une solution qui consiste à asperger le malfrat à l’aide d’une solution aqueuse contenant un polymère qui va accrocher les surfaces et la peau pour une durée de 90 à 120 jours. A charge pour les forces de l’ordre de scanner l’individu à l’aide d’un lecteur spécifique afin de vérifier la présence ou non de ce fameux ADN. Auquel cas, il suffira de remonter la piste.
La douche ADN peut être déclenchée manuellement ou automatiquement par l’image (le système sait identifier un homme masqué ou casqué) ou par la voix grâce à des bruits caractéristiques comme des bris de glace ou des mots clés du type « attention c’est un hold-up ». Dans tous les cas, la douche se déclenchera dès lors que le braqueur franchira le seuil de la porte. « Nous avons équipé plusieurs bijouteries dans les Bouches-du-Rhône et à Bobigny (Seine-Saint-Denis) notamment qui signalent la présence de ce type de système. Ce qui a, semble-t-il, un effet dissuasif puisqu’aucune n’a été pour l’heure cambriolée », indique Pascal Kouppé, ldirecteur général de SelectaDNA France.
Former le personnel
Si les vols subis ne sont pas aussi importants que chez ERDF ou RFF, les entreprises de métallurgie, les artisans et les autres utilisateurs de métaux ferreux ou non ferreux ne sont pas épargnés par les malfaiteurs. Lesquels sévissent de préférence sur des sites isolés et de nuit. C’est d’ailleurs la mésaventure survenue en 2007 chez Cristel, un fabricant d’ustensiles culinaires en Inox qui s’est fait dérober durant la nuit quelques tonnes de chutes d’Inox stockées dans des bennes « A cette époque, le cours du nickel qui entre dans la composition de nos produits était au plus haut, à 53 000 dollars la tonne contre 1 532 dollars en août 2012 », se rappelle Emmanuel Brugger, directeur général dont l’usine est située à Fesches-le-Châtel dans le Doubs, à l’extrémité d’une zone industrielle qui a fait l’objet de nombreux vols de câbles ces derniers temps. Des cambriolages dont s’est prémuni Cristel qui, sur les conseils de son assureur dépêché sur place, a rapidement mis en place des équipements et des procédures. « Nous avons installé plusieurs caméras de vidéosurveillance devant l’entrée de notre usine et à l’intérieur du site. Elles tournent en permanence », indique le dirigeant. Les plaques et disques d’Inox et d’aluminium nécessaires à la fabrication d’ustensiles sont entreposés dans différents lieux de stockage qui sont verrouillés et placés sous la surveillance de systèmes d’alarme périphériques et périmétriques reliés à une entreprise de gardiennage.
Quant aux chutes de matières, elles sont désormais stockées dans un atelier fermé sous vidéosurveillance. Par ailleurs, durant la nuit, les clés des chariots élévateurs sont enlevées et les transpalettes cadenassées avec des antivols afin d’empêcher les cambrioleurs de s’en servir pour charger leurs larcins dans les camions. A ces procédures s’ajoute la formation du personnel qui sait quelle attitude adopter lorsqu’une personne arrive dans la journée sans avoir de rendez-vous. Les salariés doivent avertir un responsable (de la fabrication ou de la sécurité, voire le directeur général) afin qu’il intervienne auprès de la personne pour connaître les raisons de sa venue . « Si les motifs ne sont pas jugés suffisants ou claires, la Gendarmerie peut être dépêchée sur les lieux », indique le dirigeant de Cristel, qui n’a pas déploré un seul cambriolage depuis 2007.
© Eliane Kan / Agence TCA
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