Souvent perçus dans les entreprises comme des entraves au travail et à la rentabilité, les professionnels de la prévention sont soumis à plusieurs facteurs de stress qui mériteraient d'être anticipés pour mieux les écarter. De quoi réduire leur exposition aux risques psychosociaux.
À l’heure du Covid19, les préventeurs sont en première ligne pour instaurer les mesures de distanciation sociale. Et les faire respecter. En raison des risques de comorbidité, cette mission peut devenir source d’angoisse pour les plus fragiles d’entre eux. Au début de la pandémie, les entreprises se sont déchargées sur les préventeurs. Ce qui a suscité beaucoup d’inquiétudes. « Nous manquions de formation pour affronter ce risque épidémiologique alors que nous devions créer nous-mêmes des protocoles de sécurité pour maintenir l’activité », s’exprime une préventrice, sous couvert d’anonymat.
Un professionnel saturé par des demandes urgentes
Les risques de contamination virale ne sont d’ailleurs pas les seules sources de stress du préventeur. Au quotidien, ils doivent apporter des réponses techniques, voire parfois juridiques, aux interrogations des dirigeants d’entreprise et de leurs salariés. D’où l’angoisse de ne pas être à la hauteur. Et pour cause. « Nous ne sommes pas des juristes, nous avons juste une formation généraliste de base au code du travail », poursuit la préventrice. Laquelle déplore l’absence de formation régulière qui lui permettrait de mettre à niveau ses compétences. « Par ailleurs, au quotidien, nous nous trouvons saturés de demandes urgentes liées aux accidents du travail et à la création de protocoles pour réaliser des activités dangereuses qui n’avaient pas été anticipées », soulève la préventrice.
Nécessité de mieux prendre en compte le bien-être au travail
En négligeant les mesures de prévention, l’entreprise expose le préventeur au risque de RPS (1). Idem lorsque la direction ne fait pas cas des facteurs de qualité de vie au travail. Un avis que rejoint le docteur Denise Lanoir. « Dans les entreprises qui ont compris que le bien-être au travail est un facteur de performance, les préventeurs sont moins exposés. Et on les consulte dans la conduite du changement », observe cette praticienne, directrice de l’association Eipas (Espace Investigation Prévention Accompagnement du Stress) où collaborent 17 psychologues.
Autre facteur de stress pour le préventeur, la difficulté de concilier les préoccupations de l’entreprise en matière de santé et de sécurité au travail et les contraintes de production. « Les salariés, tout comme leur direction, considèrent parfois le préventeur comme celui qui rajoute des contraintes et les empêchent de travailler », souligne Pierre Canetto, chargé de mission à la direction des applications de l’INRS (2).
Projet expérimental pour intégrer la prévention dans le fonctionnement de l’entreprise
D’où l’idée d’amener les entreprises à intégrer la prévention dans leur mode de fonctionnement. Depuis deux ans, l’INRS accompagne des actions en entreprise aux côtés de l’Assurance Maladie-Risques Professionnels et des Carsat (3). Des actions qui s’inscrivent pour une durée de quatre ans dans le cadre d’un projet expérimental. Lequel repose sur une méthodologie agissant sur l’organisation du travail. « Il s’agit de favoriser le décloisonnement et la coopération des services d’une même entreprise, explique le préventeur. Et de créer une dynamique autour de l’idée qu’améliorer la performance de la production est rentable dès lors que l’entreprise s’appuie sur une démarche utilisant des pratiques de prévention. » À l’instar de ce que démontre l’OPPBTP (4) avec des entreprises du bâtiment.
Le préventeur appelé à devenir un facilitateur
Ces retours d’expérience montrent l’avantage à associer étroitement les salariés à la résolution des problèmes de production. Qu’ils soient liés à des questions de qualité ou de délais de production. « En effet, dans le cadre d’une démarche participative et collaborative, les salariés savent imaginer la solution efficace, tout en améliorant les conditions de travail », fait valoir Pierre Canetto. Dans ce type de projet, le préventeur joue un rôle pivot.
À charge pour lui de mobiliser les salariés. L’enjeu étant de faire en même temps de la prévention et de l’amélioration des procédés par l’analyse du travail réel. De quoi accroître l’efficacité des solutions, tout en diminuant les sources de stress du préventeur. Lequel n’est plus perçu, à cet égard, comme une entrave au travail. Mais comme un soutien pour élaborer des solutions. Le préventeur devient ainsi un facilitateur. Il vient en support d’une dynamique d’amélioration continue. La difficulté réside alors sur la nécessité de pérenniser la démarche dans l’entreprise.
Eliane Kan
(1) Risques psychosociaux
(2) Institut national de recherche et de sécurité
(3) Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail
(4) Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics
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