Sur un marché en progression de 4%, l'opportunité des DAF perd de la vitesse. En revanche, le remplacement des détecteurs ioniques maintient son rythme. Par ailleurs, le secteur de la construction repart à la hausse. Les technologies se veulent non seulement plus fiables mais aussi plus faciles à installer (sans fil) et à maintenir (Hot Swapable).
Selon le baromètre Xerfi de janvier 2016 intitulé Le marché français de la sécurité incendie-Prévision 2017 du paysage concurrentiel et mutation de l’offre, la croissance du marché de la lutte contre l’incendie devrait atteindre 4% cette année – tous secteurs confondus (détection, lutte contre l’incendie, services…).
Semblable à celle des exercices 2011 à 2014, cette dynamique s’appuiera en particulier sur un contexte réglementaire relativement favorable. Notamment avec la loi Morange et Meslot sur l’obligation d’équiper les logements de Détecteurs autonomes avertisseurs de fumées (DAAF) qui, toutefois baisse en intensité.
Autre grand facteur de croissance, le retrait et le démantèlement des détecteurs ioniques, d’ici à la fin 2017, devrait générer autant de chantiers que d’opportunités pour proposer de nouvelles solutions de détection d’incendie. Enfin, le retour de la croissance dans le secteur de la construction devrait booster les ventes de primo-équipements en détection et extinction incendie.
DAAF : la fin d’une embellie relative
Côté Détecteurs autonomes avertisseurs de fumées, l’entrée en vigueur, depuis le 8 mars 2015, de l’obligation d’installer un équipement dans chaque logement a porté le marché. Rappelons que l’enjeu de cet équipement porte sur plus de 37 millions de logements français dont les propriétaires auraient dû faire installer au moins un DAAF dans une pièce principale.
Une partie des habitations antérieures à 1986 présentait un déficit important de sécurité incendie et concentrait 90% des 600 à 1.200 morts par le feu comptabilisés chaque année par les pompiers ou par l’Association des brûlés de France. S’ajoutaient à cela 10.000 à 12.000 blessés. Au Royaume-Uni, en Suède, au Canada, et dans plusieurs États américains ou Länder allemands, cela fait près de deux décennies que l’obligation d’équipement des logements en DAAF est appliquée et elle a divisé par deux la mortalité.
En 20 ans, la France aurait ainsi évité plusieurs milliers de décès. « Aujourd’hui, le taux de détention de DAAF en France serait de 70% et celui d’équipement de 60%, selon une étude que nous avions commandée à l’institut Odoxa », précise Romain Canleur, délégué général de la Fédération française des métiers de l’incendie (FFMI). « Il ne faut pas oublier que, dans ce genre d’enquête, les gens disent qu’ils sont équipés même si ce n’est pas tout-à-fait vrai. Ils ont un souhait, une volonté, une prise de conscience du risque d’incendie pour protéger leur famille. Mais entre ce désir et la réalité, il y a parfois un décalage », décrypte Régis Cousin, président de la FFMI qui en est à son quatrième mandat.
Selon l’étude Xerfi, il s’est vendu 10 millions de DAAF en France sur l’ensemble de l’année 2015 dans les circuits de la grande distribution. Ce qui a fait bondir le taux d’équipement à 57% de l’ensemble des logements. Les acteurs qui s’en e sont le mieux tiré sont les fabricants. Entre autres, EI Electronics, Kidde, BRK, SHD, Hager.
« On estime que le marché du DAAF a généré, dans sa globalité, entre 550 et 600 millions d’euros de recettes à ventiler sur les 5 dernières années. La Loi Morange et Meslot de 2010 a donc bien servi d’incitation. Reste que l’écrasante majorité du marché s’est réalisée entre novembre 2014 et le printemps 2015 alors que, jusqu’ici, ce créneau ne pesait que 60 à 70 millions d’euros par an. Cependant, depuis l’an passé, l’atterrissage a été brutal », précise Romain Canleur.
Sur un marché global de la sécurité incendie de 3 milliards d’euros, l’étude Xerfi évalue, de son côté, le poids du marché des DAAF de l’année 2015 entre 250 et 300 millions d’euros et prévoit pour 2016 un « retour à la normale ».
Marché professionnel : une meilleure intégration du handicap
A l’inverse des DAAF pour le marché résidentiel, la réglementation concernant le tertiaire et l’industrie est déjà très ancienne. Du coup, le secteur de la détection incendie (détecteurs automatiques, déclencheurs manuels, sirènes…) innove à la marge car il se base sur des solutions éprouvées et normalisées.
« Ce marché suit étroitement celui de la construction, sachant que le secteur de la sécurité incendie vient en décalage par rapport aux projets de construction. Les chiffres par types de produits montrent ainsi une relative stabilité d’une année à l’autre », reprend Régis Cousin qui évalue ce segment à environ 600 millions d’euros par an (services, matériels et installation). Mais ces dernières années, il y a eu une évolution marquante : la prise en compte de la loi Handicap qui oblige désormais à fournir, en complément de la diffusion sonore d’alarme, une diffusion lumineuse. Cela reste marginal par rapport coût global d’une installation de détection incendie. »
Les détecteurs ioniques dans le collimateur
Autre grande question qui anime le marché professionnel de la détection d’incendie, le retrait et le démantèlement des détecteurs de fumée à chambre d’ionisation (DFCI) appelés aussi détecteurs ioniques. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ces équipements ont été largement installés sur les lignes de détection incendie des entreprises et des bâtiments publics dès le début des années 1940.
La technologie des DFCI, qui permet d’obtenir un signal précoce, justifiait, à l’époque, la préférence pour ces détecteurs par rapport aux autres produits disponibles sur le marché. En utilisation normale, « la structure de ces détecteurs empêche toute propagation de substances radioactives dans l’environnement ; ils ne présentent donc pas de risque pour les personnes fréquentant les locaux.
En revanche, les opérations de maintenance ou de retrait nécessitent le respect de certaines précautions […], notamment pour prévenir tout démontage incontrôlé et organiser les opérations de reprise afin d’éviter le choix d’une mauvaise filière d’élimination voire l’abandon », rapporte l’ASN.
Par la suite, les évolutions technologiques successives ont progressivement remis en cause cette préférence au profit des détecteurs thermiques ou optiques, mieux adaptés aujourd’hui aux exigences réglementaires de la sécurité incendie. L’usage des détecteurs ioniques de fumée dans l’habitat privé est quant à lui interdit depuis 1966.
« Les premiers détecteurs d’incendie étaient ioniques. Ils contenait une source radioactive assez importante puisqu’elle pouvait dépasser 37 kilo Becquerels [kBq]. Dans les générations suivantes, qui représentent 90% à 95% du parc installé de détecteurs ioniques, la valeur de la source active est inférieure à 37 kBq, rappelle Emmanuel Gabreau, chef produit incendie chez Siemens Building Technologies (SBT) à la division Solution and Service Portfolio (SSP). Pour sa part, Siemens figure parmi les pionniers puisque le groupe a décidé d’arrêter la production et la commercialisation des détecteurs ioniques dès 1993. »
DFCI : l’échéance du retrait et du démantèlement en vue
Il aura quand même fallu attendre l’arrêté du 18 novembre 2011, complété par deux décisions de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) de mars 2012, pour voir l’interdiction et le démantèlement des détecteurs ioniques de première génération au 31 décembre 2015 et, pour les suivants, au 31 décembre 2017. Soit dans 18 mois. Une exception : les plans de dépose formalisés (PDF).
« Il s’agit d’un accord entre un client final grand compte et un opérateur de retrait et de démantèlement pour les parcs importants qui font plusieurs centaines ou milliers de DFCI, détaille Emmanuel Gabreau. Dans ces cas extrêmes, la loi autorise à reporter ces opérations jusqu’au 31 décembre 2021 à condition de respecter un échéancier formalisé et communiqué à l’ASN qui fera un suivi de toutes les installations. »
« A l’époque de l’arrêté, on comptait en France 7 millions de détecteurs ioniques installés », se souvient Romain Canleur. « Aujourd’hui, nous estimons qu’il reste près d’un million de DFCI encore installés », complète Emmanuel Gabreau.
Dans ce contexte, l’association Qualdion, formée par la Fédération française des entreprises de génie électrique et énergétique (FFIE), le Groupement des industries électroniques de sécurité incendie (Gesi), le Syndicat des entreprises de génie électrique et climatique (Serce) et les professionnels français de la sécurité – voix, données, images (SVDI), a créé un label pour certifier les entreprises de démantèlement des installations et traitement des DFCI. Ce label est décerné par le Laboratoire national d’essais (LNE).
« Depuis le 31 décembre 2014 nous devons déclarer à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) tous les équipements des sites que nous avons inspectés. Et, chaque année, dans le cadre de Qualdion, nous recensons pour l’IRSN le suivi de DFCI encore installés », restitue Emmanuel Gabreau.
« Dans le cadre de nos qualifications, nous sommes certifiés APSAD I7 et F7. Pour l’activité ionique, nous sommes également labellisés Qualdion sur 19 de nos agences en France qui peuvent ainsi reprendre des parcs entiers et les traiter, témoigne Pierre-Nicolas Caron, responsable prescription pour Chubb France pour les marques Chubb et Sicli, filiale du conglomérat américain United Technologies Corporation (211.500 salariés).
Nous avons aussi l’autorisation de l’ASN pour la gestion des sources radioactives. Notre usine d’Acquigny (Eure) est labellisée au sein du label Qualdion, comme démanteleur. Nous offrons ainsi chaîne de valeur complète. » Massivement les DFCI ont donc été remplacés par des détecteurs optiques et des systèmes multicapteurs dont les toutes premières générations datent de 1993, sachant que le gros du bataillon est arrivé sur le marché à partir de 2005.
Parmi les fabricants, citons, entre autres, Aviss, Chubb, DEF, FFE, Finsecure, Honeywell, Levahot, Negelec Cooper, Siemens Building Technologies, Tyco…
Lutter contre les fausses alarmes
Ces technologies, certes prometteuses, présentaient le problème de générer un grand nombre de fausses alarmes. « Grâce aux progrès de l’électronique embarquée, il a été possible d’intégrer de puissants algorithmes qui ont permis de décentraliser la prise de décision de générer ou non l’alarme incendie à bord même du détecteur », retrace Emmanuel Gabreau. Le microprocesseur confirme ou non la détection du danger à la centrale du Système de détection incendie (SDI). A partir de là, il communique l’information induite au Centralisateur de mise en sécurité incendie (CMSI) qui est, pour sa part, chargé de déclencher des mesures comme le compartimentage, le désenfumage et l’évacuation des personnes (sirènes, flash, déverrouillage). Sur ce terrain la notion de fiabilité peut aller très loin : « Si le SDI conduit à déclencher de façon injustifiée le dégagement de gaz neutre pour éteindre les flammes, nous remboursons la remise en état de l’installation », promet Emmanuel Gabreau.
Vers le sans fil
Pour répondre davantage à la demande, les constructeurs s’efforcent d’alléger l’installation de leurs détecteurs en misant, dans certains cas, (longues distances, monuments historiques…) sur des transmissions sans fil vers la centrale.
A cet égard, Chubb vient de lancer une nouvelle gamme de détecteurs incendie et de déclencheurs manuels d’alarme sans fil baptisés R.Scan+. Si cette technologie n’est pas nouvelle pour le groupe qui l’a adoptée depuis 10 ans, la nouvelle génération répond aux besoins et aux retours d’expérience de ses clients.
« Elle intègre, en outre, les derniers référentiels normatifs », souligne Pierre-Nicolas Caron. De fait, la gamme radio R Scan+ comprend des détecteurs automatiques d’incendie multi-capteurs, des déclencheurs manuels d’alarme et des interfaces (c’est à dire les antennes radio) qui s’interconnectent sur un réseau maillé. Comme les liaisons radio sont dédoublées, la stabilité des communications s’en trouve confortée.
La portée en champs libre est de 400 mètres pour l’interface et de 500 mètres pour chaque détecteur et déclencheur. L’ensemble répond aux obligations des normes de la série NF EN54 qui traitent des caractéristiques des systèmes de détection incendie. Enfin, comme l’interface radio est alimentée directement par le bus de détection incendie, il en résulte de substantielles économies d’installation.
Pour sa part, Tyco, qui a lancé officiellement le 18 février dernier sa filiale Tyco Gas & Flame Detection (150 millions de dollars de chiffre d’affaires consolidé, près de 600 salariés) mise sur le WiFi.
« Du WiFi dans la détection incendie, cela pourrait faire peur en termes de sécurité (piratage) et de fiabilité (temps réel, perte de données) ! Mais en fait, nous nous basons sur un protocole d’Ethernet industriel temps réel redondé qui répond à la norme Safety Integrity Level SIL niveau 2, précise Thibault Fourlegnie, directeur des opérations de l’entité Oldham SAS pour Tyco Gas & Flame Detection, spécialisée dans la détection de gaz.
Autre tendance, la partie sensible du détecteur nécessite une maintenance. L’innovation consiste à pouvoir retirer et remplacer à chaud (Hot Swapable) cette partie sensible sans altérer le fonctionnement du détecteur. Cette demande a été formulée il y a environ 5 ans. Mais sa généralisation a démarré il y a 3 ans. Elle est toujours en cours. »
Erick Haehnsen
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