Que sait-on de l’incendie et de son impact ? Quelles mesures ont été entreprises pour protéger la santé des riverains et l’environnement ? Alors que 237 écoles qui avaient été fermées réouvrent leurs portes ce matin, de nombreuses questions restent en suspens… Détails.
Quatre jours après l’incendie spectaculaire survenu à l’usine chimique Lubrizol de Rouen, classée Seveso seuil haut, les écoles qui avaient été fermées pour des opérations de nettoyage tout au long du week-end, viennent de rouvrir leurs portes ce lundi. Or, au vu de l’ampleur du nuage noir qui s’est dégagé de l’usine et du dépôt noir de suie recouvrant la ville, ainsi que des plaintes de la part des riverains, de nombreuses questions sont toujours sans réponse. Il s’agit de déterminer la gravité de la pollution générée par l’accident, son impact sur la santé et sur l’environnement.
Les faits
Une gigantesque explosion est survenue dans la nuit de mercredi 25 à jeudi 26 septembre dans l’usine chimique Lubrizol de Rouen. Si l’incendie a été maîtrisé et éteint vendredi, selon une annonce de Benoît Lemaire, le directeur de cabinet du préfet de Normandie, l’incident a provoqué un panache de 22 km de fumée noire de long au-dessus de l’agglomération, sans faire de victimes.
La stratégie du gouvernement critiquée
Depuis cet incident, les pouvoirs publics sont critiqués pour leur manque de transparence, et leur volonté de minimiser les dégâts afin de rassurer les populations. Or de nombreuses questions demeurent. Que contenaient précisément les locaux où s’est déclenché l’incendie ? Quelles sont les causes de l’explosion ? Comment sont réalisées les analyses de l’air et des sols ? Quels sont les risques sur la santé ?
Comment expliquer la mort d’oiseaux et de poissons ?
Face à ce flou, la CGT 76 ainsi qu’une dizaine d’autres organisations ont publié un communiqué dans lequel elles réclament des précisions sur la liste des produits qui ont brûlé, mais aussi des résultats complets d’analyse des fumées, de l’air, des résidus et de l’eau. Autre motif d’inquiétude, les signataires réclament de la préfecture de lever le voile sur certains phénomènes passés sous silence, comme par exemple une toiture amiantée atteinte par les flammes ou encore la mort d’oiseaux et de poissons imputée à l’incendie (ce dernier point n’ayant pas été corroboré pour le moment).
« une transparence totale »
Face au climat de méfiance à l’égard des autorités, le Premier ministre, Édouard Philippe, en déplacement dans le Morbihan à l’Université du MoDem, a dû s’engager, dimanche 29 septembre, à une « transparence totale » de la part du gouvernement. « Nous avons souhaité faire en sorte que tout ce qui est su, que toutes les analyses qui sont réalisées soient rendues publiques », a assuré le chef du gouvernement.
« Une situation normale »
Concrètement, le préfet de Seine-Maritime qui estime disposer de l’essentiel des résultats d’analyse, menés par Atmo Normandie, a annoncé au cours d’une conférence de presse que ces derniers « sont encourageants et qui traduisent pour l’air une situation normale (…) Toutefois, la présence de benzène a été notée sur le site industriel. » En ce qui concerne les suies, « aucune situation alarmante » n’est à déplorer selon le préfet, hormis la présence de plomb dans certaines analyses, « mais qui sont vraisemblablement imputables à des traces historiques ».
Des résultats déjà visibles sur le site de la préfecture
Les résultats d’analyse qui, pour rappel, sont désormais disponibles sur le site internet d’Atmo Normandie et sur celui de la préfecture, précisant le nom des produits recherchés et les lieux de prélèvement, confirment toutefois la présence d’amiante dans la toiture des bâtiments. En réaction, un programme de mesures de fibres dans l’air a été lancé dans un rayon de 300 mètres autour du site.
La composition chimique gardée sous silence
Autre motif de mécontentement, si le préfet a décrit « l’essentiel de ce qui a brûlé », à savoir des hydrocarbures, des huiles et des additifs chimiques pour huiles de moteur, la composition chimique précise des éléments n’a pas été dévoilée. Ni par les autorités ni par la direction de l’entreprise. Dans ce sillage, dans une interview à Europe 1, Ginette Vastel, en charge du réseau risques et impacts industriels chez France nature environnement, déplore que « pour un incendie qui s’est passé jeudi, on ne connaisse toujours pas tous les produits qui ont brûlé. Pour pouvoir avoir une idée des risques, il faut connaître cette liste de produits. Aujourd’hui, des mesures ont été faites, mais elles sont correctes uniquement pour des polluants spécifiques ». Elle estime qu’il ne devrait pas être si compliqué d’obtenir la liste des produits qui ont brûlé : « Quand vous êtes sur un site Seveso, vous avez forcément la liste des produits stockés. » Face à cela, le parquet de Rouen a décidé d’élargir l’enquête ouverte à l’origine pour « destructions involontaires par l’effet d’une explosion ou d’un incendie » à « mise en danger d’autrui ».
Une « cellule post-accident technologique »
Face à ces critiques, la préfecture de Seine-Maritime indique qu’elle a décidé de mettre en place « une cellule post-accident technologique » pour prendre le relais de la cellule de crise actuellement activée. Il s’agit de « permettre d’assurer le suivi, l’évaluation et la gestion des impacts sanitaires et environnementaux de cet incendie ». Parmi les missions qui lui sont confiées, la préfecture cite « l’évaluation de la situation, l’organisation des campagnes de prélèvements dans les différents milieux environnementaux (air, eau, sols) et le suivi sanitaire de l’événement en lien avec Santé Publique France ». Quatre communiqués ont également été diffusés portant respectivement sur les prélèvements et analyses effectués, sur les recommandations sanitaires, les mesures d’urgences imposées à l’entreprise Lubrizol et, enfin, sur les mesures conservatoires concernant les productions agricoles.
Le lait, le miel et les œufs consignés jusqu’à nouvel ordre
Concrètement, ces mesures se traduisent par l’interdiction « à titre conservatoire » d’exploiter « la récolte des cultures et des denrées alimentaires d’origine animale en raison des retombées de suie occasionnées par le nuage qui sont susceptibles de présenter un risque de santé publique ». Plus précisément, ce sont le lait, le miel et les œufs d’élevage en plein air pondus depuis jeudi, qui sont désormais « consignés sous la responsabilité de l’exploitant jusqu’à l’obtention de garanties sanitaires sur les productions, sur la base de contrôles officiels » selon les arrêtés des préfectures publiés dimanche.
Laver à grande eau sans produits
Face aux nombreux témoignages de riverains, se plaignant de migraines, de nausées ou d’irritation des voies respiratoires, l’Agence régionale de santé (ARS) demande de signaler « la présence de retombées sous forme de suie » mais aussi « de bien vouloir le signaler aux services de gendarmerie ou de police ou aux services départementaux d’incendie et de secours ». De même, l’agence déconseille aux habitants de consommer les fruits et légumes présentant des traces de suie. Pour le lavage des surfaces qui ont été recouvertes de suie, elle conseille de porter des gants et surtout de laver simplement à l’eau, sans produit. Pour les parties du corps en contact avec les suies, elle recommande de se laver avec un savon ordinaire, et pour les yeux, de les rincer avec du sérum physiologique
237 établissements scolaires fermés
Fermés ce week-end par mesure de précaution, les 237 établissements scolaires de l’agglomération rouennaise ont rouvert leurs portes ce lundi matin. Depuis jeudi, 55 000 élèves n’ont pas pu se rendre en classe. Quant aux parents inquiets, une cellule de crise a été mise en place par le rectorat, avec un personnel chargé de leurs transmettre les informations au fur et à mesure.
Durant les jours où les établissements ont été fermés, des opérations de nettoyage ont été menées surtout en ce qui concerne les traces de suie trouvées. « Tout a été lavé à l’eau et le personnel de nettoyage portait des équipements conformes au protocole de l’Agence régionale de santé. Seuls les bacs à sable et les jardins potagers pédagogiques sont bâchés, interdits d’accès jusqu’à nouvel ordre », précise France Télévision, sous la plume de Jean-Baptiste Pattier.
Un appel à manifester mardi
Si le gouvernement se veut rassurant, les autorités peinent encore à calmer les mécontentements et inquiétudes des riverains. D’ailleurs, de nombreux rouennais appellent à manifester mardi 1er octobre à 18 heures devant le palais de Justice de Rouen « pour partir en manifestation jusqu’à la préfecture ». Ces derniers réclament « la transparence complète », notamment en ce qui concerne la liste des produits brûlés et des résultats d’analyse. Pour venir en aide aux habitants qui préfèrent quitter la ville, un groupe Facebook qui compte désormais près de 3 500 personnes a été créé le 26 septembre dernier afin de proposer un hébergement. De vives inquiétudes demeurent sur les conséquences de l’incendie.
59 usines Seveso en Seine-Maritime
Pour rappel, il existe 1 312 sites classés Seveso en France. Ce qui signifie qu’ils présentent un risque d’accident industriel majeur et réclamant donc un haut niveau de prévention. Du côté de la Seine-Maritime où s’est produit l’accident de l’usine Lubrizol, la zone représente le deuxième département réunissant le plus grand nombre de ces sites, à savoir 59 usines, juste derrière les Bouches-du-Rhône qui en compte 60. Créée en 1954 sur les bords de Seine, l’usine Lubrizol, qui emploie environ 400 personnes, fabrique et commercialise des additifs qui servent à enrichir les huiles, les carburants ou les peintures industrielles. L’usine appartient au groupe de chimie américain Lubrizol Corporation, lui-même propriété de Berkshire Hathaway, une holding du milliardaire et investisseur américain Warren Buffett.
Ségolène Kahn
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