Au travail, certains, notamment des hommes, se comportent de façon nauséabonde envers leurs collègues féminines. Et les réflexions peuvent être très violentes : « Pourquoi elles sont énervées aujourd’hui, elles ont leurs règles ? » ; « Ton string aussi, il est en cuir ? » ; « Tu me suces maintenant ou après manger ? »… Telles sont, parmi d’autres, les remarques recueillies dans l’enquête lancée le 18 février dernier par les trois associations Prenons la une, #NousToutes et Paye ton journal, sur le sexisme et le harcèlement au sein de 200 rédactions et des écoles de journalisme. Le constat est affligeant : plus de 3 000 faits de violences sexistes et sexuelles y sont relatés ! Dans le détail, 67% des 1 850 répondantes avouent avoir été victimes de propos sexistes, 49% de propos à connotation sexuelle, 13% ont même subi des agressions sexuelles. Lorsque les violences sexuelles ont lieu dans les locaux de la rédaction, la direction générale et la DRH n’en ont pas été informées dans 83% des cas. Pis, lorsqu’elles le sont, elles ne prennent aucune mesure dans 66% des cas, se mettant ainsi en infraction avec le Code du travail.
Vague de licenciements
Mais le vent tourne. Illustration avec les licenciements aux Inrocks de David Doucet, l’ancien rédacteur en chef, et de François-Luc D., son adjoint. Ainsi que ceux d’Alexandre Hervaud, rédacteur en chef adjoint du site web de Libération, et de Vincent Glad, collaborateur du journal. Mauvais temps donc pour les membres de la Ligue du LOL et de tous ceux qui, dans tous les secteurs d’activité, se croyaient jusqu’ici tout puissants. Surtout, le droit a évolué.
Protection des salariés les plus exposés
Déjà, la loi du 6 août 2012 a substantiellement renforcé la définition du harcèlement sexuel au travail qui, désormais, peut être reconnu juridiquement grâce aux articles 222-33 du Code pénal et L1 153-1 du Code du travail. « En droit du travail on associe le harcèlement sexuel à des propos et comportements à connotations sexuelles répétés qui portent atteinte à la dignité de la personne visée en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, rappelle Loïc Lerouge, chargé de recherche au Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (CNRS/Université de Bordeaux). Mais le harcèlement sexuel est aussi associé à des formes de pression graves sans répétition. C’est ce qui le distingue du harcèlement moral. Par ailleurs, l’article L1 153-2 stipule que les personnes en formation, en stage, ou en recrutement, ne peuvent pas non plus faire l’objet de mesures discriminatoires pour avoir subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel. »
Obligation d’afficher les textes de lois
Quant à la loi du 3 août 2018, elle énonce que l’infraction est constituée dès lors que les propos ou les comportements sont imposés à une même victime par plusieurs personnes de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles. Et ce sans même qu’il y ait nécessairement répétition. Dans les entreprises de plus de 250 salariés, l’article L1 153-1 doit d’ailleurs être clairement affiché. Par ailleurs, le Conseil économique et social (CES) doit aussi désigner, depuis le 1er janvier 2019, un référent harcèlement sexuel et agissements sexistes. Le problème étant que « la mission de ce référent n’a pas été définie pour l’instant », indique Loïc Lerouge.
Que risque le harceleur ?
Tout d’abord, des sanctions disciplinaires que l’employeur est obligé de prendre : licenciement, mise à pied, mutation… Ensuite, au plan pénal, le harceleur risque deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Et jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende s’il y a abus d’autorité – ce qui peut concerner certains dirigeants d’entreprise. « Dans la réalité, il y a très peu (voire pas du tout) de peine de prison », constate Loïc Lerouge. Cependant, l’employeur est tenu de respecter des principes généraux de prévention des risques énoncés dans l’article L4 121-2 du Code du travail qui vise explicitement le harcèlement moral, sexuel et les agissements sexistes. Une chose est sûre : compte tenu de ces textes, le harceleur devient de plus en plus toxique pour sa hiérarchie car il en engage la responsabilité.
Que faire du harceleur ?
Dans les faits, le harcèlement reste souvent difficile à prouver. Néanmoins, « la victime a tout intérêt à déposer une main courante, consulter le médecin du travail, à en parler aux instances représentatives du personnel, au référent du CSE, voire à la cellule de dépistage du harcèlement lorsqu’il y en a une », explique Philippe Goulois, consultant en RH chez Cooperactive. La personne harcelée peut-elle renverser la situation ? « Non. La victime ne peut s’en sortir seule », reprend Philippe Goulois. Un harceleur ne s’installe que dans une organisation qui l’autorise. Inversement, c’est l’organisation qui donne la règle. Du coup, les collaborateurs se sentent alors le droit d’en parler. Et l’élément toxique sera rapidement rappelé à l’ordre avant sanction. » C’est une question d’éducation et de culture de la prévention des comportements sexistes et déviants. En dehors de s’en débarrasser, que faire d’un harceleur ? « L’aider grâce à une formation managériale assortie d’un véritable accompagnement et d’un engagement à transformer sa manière de se comporter », estime Philippe Goulois. Pour Jean-Claude Delgènes, président fondateur du groupe Technologia, spécialisé dans la transformation managériale, « l’entreprise doit avant tout afficher ses valeurs ainsi que ses règles précises contre le harcèlement et les sanctions encourues en cas de non respect. »
Rappelons qu’en cas de harcèlement sexuel, la victime peut saisir le Défenseur des droits.
Erick Haehnsen
Encadré : Harcelées
Un an après #MeToo, Astrid de Villaines a recueilli dans son ouvrage Harcelées (Plon) le témoignage de femmes aux quatre coins de la France sur les inégalités et les violences qu’elles vivent au quotidien, même au travail. « Les chiffres des violences faites aux femmes ne semblent jamais baisser », explique la journaliste (LCP, Le Monde, Radio Classique). Partout, des femmes de tout âge racontent ce qui les a traumatisées et pourquoi elles se battent pour faire évoluer les choses. « Elles ne parlent pas toutes de féminisme, mais toutes demandent l’égalité. Elles ne veulent plus avoir peur, ne veulent plus subir de violences, ne veulent plus avoir à se justifier sur leur genre ni […] évidemment pas gagner moins qu’un homme. Elles sont pressées. »
Astrid de Villaines, Harcelées, enquête dans la France des violences faites aux femmes, éditions Plon, 2019, 280 pages, 17 €.
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