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Sûreté et sécurité

Le CNNum appelle le gouvernement à suspendre la mise en œuvre du fichier TES

Cette commission consultative indépendante, dont les membres ont été nommés par un décret du président de la République, s’est auto-saisie du dossier du Fichier TES, à savoir le fichage de tous les citoyens français au-dessus de 12 ans dasn un fichier centralisé. Le CNNum examine également les alternatives techniques plus modernes et plus respectueuses des droits et libertés.

Le dimanche 30 octobre, le gouvernement a publié le décret n°2016-1460 prévoyant l’instauration d’un nouveau fichier des “titres électroniques sécurisés” (TES) à l’ampleur inégalée puisqu’il vise à élargir le fichier TES, (qui existe déjà pour la gestion des passeports biométriques) aux cartes d’identités. Présenté comme un moyen de lutte contre la fraude documentaire, ce fichier pourra néanmoins faire l’objet de réquisitions judiciaires ou être utilisé par les services spécialisés de renseignement. A terme, il pourrait conserver les données biométriques de près de 60 millions de Français dans une base de données centralisée. Cette décision administrative, prise sans aucune concertation préalable et minimisée dans ses conséquences depuis lors par le gouvernement, suscite depuis une semaine une inquiétude croissante. « Le Conseil national du numérique (CNNum) a donc décidé de s’autosaisir du fichier TES en vue de la publication prochaine d’un avis détaillé », précise un communiqué du CNNum émis ce 7 novembre.

Menaces de dérives aussi probables qu’inacceptables
En premier lieu, le Conseil déplore l’absence de toute concertation préalable à la publication de ce décret. Un dialogue avec les communautés d’experts aurait certainement pu permettre au gouvernement d’explorer des alternatives techniques plus résilientes et respectueuses des droits des citoyens, tout en permettant d’atteindre les mêmes objectifs. À un mois du Sommet de Paris sur le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) présidé par la France pour un an, cette opacité contraste fortement avec les objectifs affichés par les pouvoirs publics en matière de transparence, sans compter qu’elle s’inscrit à rebours de la démarche de consultation initiée par Axelle Lemaire, secrétaire d’État au Numérique, sur les décrets d’application de la loi pour une République numérique. « L’existence de ce fichier laisse la porte ouverte à des dérives aussi probables qu’inacceptables », souligne le communiqué du CNNum. Le choix, pris par décret, d’une architecture technique centralisée pour la conservation de données biométriques soulève un grand nombre d’inquiétudes. Aussi légitimes que soient les finalités initiales du gouvernement, rien ne pourra techniquement prévenir leur extension future au gré d’une grave actualité. Il suffira alors, pour le pouvoir en place, de changer quelques lignes d’un décret pris en Conseil d’État après simple avis consultatif de la CNIL, sachant que, depuis 2004 l’autorité ne dispose plus de son pouvoir de veto.

Ne pas ignorer les leçons de l’histoire
L’existence même d’un fichier centralisé suffit mécaniquement à susciter des appétits. Effectivement, un fichier massif est propice aux détournements de finalités. Ces dernières pourraient, à terme, permettre l’identification systématique de la population avec les moyens de la reconnaissance faciale ou de la reconnaissance d’image, à des fins policières ou administratives. L’histoire récente nous enseigne que la constitution de tels fichiers a régulièrement conduit à l’élargissement de leurs finalités initiales, qu’ils s’opèrent dans un cadre légal (comme pour le système Eurodac des demandeurs d’asile, le fichier des demandeurs de visa ou encore le STIC) ou hors de tout contrôle (rappelons que l’absence d’encadrement était, jusqu’à une époque récente, caractéristique de l’activité des services de renseignement). Penser que notre pays ferait exception revient à ignorer les leçons de l’histoire et des comparaisons internationales. Les reculs démocratiques et la montée des populismes, observés y compris en Europe et aux États-Unis, rendent déraisonnables ces paris sur l’avenir.

Créer une cible d’une énorme valeur pour les pirates

Ces menaces peuvent sembler lointaines à certains mais d’autres apparaîtront immédiatement dès la mise en ligne du fichier. La publication de ce décret intervient à un moment où les cybermenaces se font redoutables et où tout indique que ces risques ont changé d’échelle : rappelons que de façon inédite, l’issue des élections américaines peut en partie dépendre des conséquences de piratages d’États. Dans ce contexte, le choix de la centralisation revient à créer une cible d’une valeur inestimable, face à des adversaires qui ne sont pas des amateurs. En matière de sécurité informatique, aucun système n’est imprenable. Les défenses érigées comme des lignes Maginot finissent immanquablement par être brisées. Par ailleurs, comme le soulignait en 2012 l’actuel ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, au sujet de la proposition de loi qui a, semble-t-il, inspirée ce décret, ce n’est qu’une question de temps*.

Privacy by Design
À ces menaces ouvertes par la technique, les réponses juridiques ne suffisent plus : elles doivent s’accompagner de garanties techniques. Il s’agit autant de garantir la résilience du système TES à ces détournements de finalités que d’assurer la sécurité des données de nos concitoyens. Techniquement, de telles architectures existent et fondent déjà une part importante de l’économie numérique : c’est le sens du mouvement en faveur du Privacy by Design (la protection de la vie privée dès la conception des systèmes d’information). A ce titre, nombreux sont ceux à recommander la conservation des données biométriques sur un support individuel exclusivement détenu par la personne, à l’instar de la CNIL ou du Conseil constitutionnel. Cette conservation pourrait par exemple (mais ce n’est pas l’unique possibilité) s’opérer au moyen d’un composant électronique intégré aux cartes d’identité, comme c’est le cas pour les passeports.

Ne pas mettre la population sous tutelle

Ces alternatives, qui s’inscrivent dans la logique d’autodétermination informationnelle consacrée par la loi numérique, permettent d’atteindre les objectifs de lutte contre la fraude documentaire tout en étant respectueuses de la vie privée des citoyens. Les balayer d’un revers de main revient — qu’on l’ait voulu ou non — à ignorer l’état actuel des technologies disponibles et à faire obstacle au progrès des droits et des capacités des individus au profit d’une mise sous tutelle de la population par ses gouvernants. « Le Conseil national du numérique contribuera ainsi à la réflexion entourant ce nouveau fichier. Dans les prochains jours, il étudiera les alternatives techniques à cette base centralisée et les garanties qui pourraient lui être apportées**, poursuit le communiqué. Dans l’intervalle, il appelle le gouvernement à suspendre la mise en œuvre de ce fichier ainsi que la publication des arrêtés et à initier une réflexion ouverte en impliquant les experts numériques au sein de l’État comme la Direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication (Dinsic) et au sein de la société civile avec le CNNum. »

Dans un lettre de 4 pages émise par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve hier soir, les garde-fous [seraient] en place. Le système ne [devrait] pas permettre d’identifier une personne à partir de sa photographie ou de ses empreintes mais seulement de vérifier l’identité du détenteur d’un titre. Et le Conseil d’État, comme la Cnil, auraient donné leur aval. Cependant, dans son avis de février dernier, le Conseil d’État indiquait que, « compte tenu de l’ampleur du fichier envisagé et de la sensibilité des données qu’il contiendrait, il n’est pas interdit au gouvernement, s’il le croit opportun, d’emprunter la voie législative », rapporte notre confrère Les Echos. De son côté, la Cnil avait indiqué dans son avis de fin octobre dernier, une certaine réserve et incitait le gouvernement à mettre à l’étude une solution alternative. Apparemment, le ministre de l’Intérieur serait passé outre et un premier arrêté a été publié pour une application dans les Yvelines dès ce mardi 8 novembre. Mais devant le tollé général, le projet du fichier TES centralisé devrait être présenté devant le parlement.

Erick Haehnsen

* Ainsi en 2009, un registre de la population israélienne contenant des informations confidentielles sur près de 9 millions de citoyens se retrouvait sur Internet à la suite d’une négligence d’un sous-traitant. Au mois d’avril dernier, une faille de sécurité avait entraîné une fuite massive de données relatives à 55 millions d’électeurs philippins. Le même mois, c’est une base de données tirée du recensement de la population turque qui été mise en ligne, avec noms et adresses.
** toutes les personnes disposées à aider le CNNum dans cette démarche sont invitées à prendre contact à l’adresse suivante :
info@cnnumerique.fr.

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