Avec un réchauffement supérieur à 1,5°C en 2030, le risque climatique s’intensifie et prend diverses facettes et multiplie les impacts sur la sécurité-sûreté. Comment ce phénomène est-il pris en compte par la profession ?
Quatorze morts et 36 000 déplacés en Émilie-Romagne (Italie) après deux semaines de pluies diluviennes. 60 hectares ravagés par un incendie début février à Torreilles, non loin de Perpignan. Des vents à près de 200 km/h en Corse lors de la tempête Larisa en mars dernier. Crise de sécheresse et stress hydrique en plein mois de mai dans les Pyrénées-Orientales… après les méga-feux en Gironde l’été dernier, les effets du changement climatique s’accélèrent de façon sans cesse plus critique. Selon les différents rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « cela fait 30 ans que l’on s’attend à ce qui arrive aujourd’hui, s’exclame Huu-An Pham, directeur de l’adaptation industrielle chez AXA Climate, filiale à 100 % de l’assureur AXA créée en 2019 pour se consacrer au changement climatique et à la RSE qui emploie 150 personnes dont une quinzaines de docteurs es sciences (climatologues, physiciens, agronomes, Data Scientists, mathématiciens… ). Un de nos climatologues a, par le passé , contribué aux travaux du GIEC. » A cet égard, le sixième rapport du GIEC publié en mars dernier indique que le réchauffement de la planète atteindra 1,5 °C dès le début des années 2030. Conséquences attendues : déplacements populations (réfugiés climatiques), espèces exotiques envahissantes, extinctions d’autres espèces, baisse de la quantité et de la qualité d’eau disponible, prix et insécurité alimentaires en hausse, rendements agricoles en baisse, déshydratation, hyperthermie, allergies, maladies, épidémies…
Un lien de plus en plus direct entre risque climatique et sécurité-sûreté
A l’instar du gouvernement qui, avec le programme France, vient d’annoncer ce mercredi 24 mai, dans le sillage de la loi Climat et résilience, sa feuille de route pour accélérer la décarbonation des secteurs du bâtiment, des transports, des collectivités locales, les autres pans de l’économie vont devoir mettre les bouchées doubles pour faire face aux enjeux climatiques. « Le changement climatique affecte toutes les activités dans une double matérialité : de l’entreprise vers la planète et la société et de celles-ci vers l’entreprise », reprend le directeur de l’adaptation industrielle chez AXA Climate qui accompagne les entreprises dans leur plan de décarbonation, d’opportunités pour gérer les risques climatiques et dans l’adaptation des infrastructures de l’entreprise pour anticiper les éventuels risques physiques qui pourraient les endommager. « Face au risque climatique, il va y avoir des enjeux majeurs en termes de sécurité et de sûreté », estime Huu-An Pham qui, après avoir travaillé à la protection des personnes et des biens chez Eurofeu Services (lutte contre l’incendie), œuvre actuelle à la protection des personnes et des biens contre les risque climatiques. Par exemple, avec la sécheresse de l’année dernière, 27 des 56 réacteurs nucléaires français étaient à l’arrêt, selon EDF, soit près de la moitié.
Sensibilisation des gestionnaires de risques
« Les coupures d’électricité peuvent alors mettre en panne des systèmes de sécurité-sûreté. De même, les sprinklers des systèmes de protection incendie peuvent se déclencher non pas à cause d’un départ de feu mais d’une trop forte température sous le toit d’acier, poursuit Huu-An Pham. Le système est alors inopérant lorsque survient un vrai feu, le risque climatique peut aussi avoir des impacts sociaux ou géopolitiques. Par exemple, l’inflation importante sur les produits alimentaires peut susciter une recrudescence de vols à l’étalage. Avec de fortes températures, on peut s’attendre à voir débarquer des maladies autrefois cantonnées aux zones tropicales. »
Selon le baromètre 2022 Amrae (Association pour le management des risques et des assurances de l’entreprise) de l’engagement pour le climat, réalisé en partenariat avec AXA Climate, plus de 90 % des risk managers craignent les canicules et les vagues de chaleur ainsi que l’impact des inondations. Soit 10 points de plus que l’année précédente. Cependant, encore 45 % des sondés (-12 points) déclarent avoir une mauvaise visibilité des risques climatiques sur leur chaîne de valeur. En outre, ils se révèlent moins vigilants concernant les risques chroniques du long terme. En conséquence, les risques résultant de changements graduels, comme la hausse du trait de côte sur le littoral marin ou l’érosion des sols sont cités par moins de 50 % des risk managers. En bref, seules les hausses de température sont largement citées dans cette catégorie.
Un pilotage qui reste flou
La gouvernance du risque climatique progresse… en apparence. D’un côté, 43 % des sondés déclaraient en 2021 qu’elle était inexistante dans leur entreprise. Cette année, ils ne sont plus que 32%. En revanche, la responsabilité du pilotage reste floue. Pour 40 % des répondants (+10pts), ce n’est pas un département unique mais au moins deux directions dans l’entreprise. Le pilotage semble s’équilibrer sur un duo RSE (66 % des cas) et Risques & Audit (29% des cas). « Néanmoins, contrairement au risque Cyber ou au risque RH, pour lequel le porteur est bien identifié (RSSI et DRH), on peut s’inquiéter de ne pas voir apparaître pour le risque climatique un responsable en première ligne de maîtrise. Le pilotage manque encore de coordination et de dynamisme, soulèvent les auteurs du baromètre 2022 Amrae. Encore 43 % des risk managers interrogés considèrent leurs liens avec le département RSE comme faibles ou moyens. Et seuls 34 % reconnaissent le dynamisme du pilotage des risques. »
« Les entreprises sont encore très en retard sur la prise de conscience de l’impact climatique sur leur sécurité-sûreté. Nous sommes en relation avec des directions sécurité-sûreté mais les signaux restent encore faibles. Il est temps que les directeurs sécurité-sûreté s’emparent de ce sujet ! », lance Huu-An Pham. « Les entreprises avancent en ordre dispersé mais l’Amrae essaie d’y mettre de l’ordre en mettant en place l’initiative Amrae Climat pour mieux comprendre le réchauffement climatique, définir des plans d’action et des plans de continuité d’activité et en faire le reporting », souligne Michel Josset, administrateur à l’Amrae, président de la commission Prévention etDommages et référent risque climatique de l’association.
Insatisfaction des risk managers vis à vis des assureurs
Il faut dire que les relations avec les assureurs ne facilitent pas le positionnement des risk managers dans leurs entreprises respectives. 77 % (+6 points) des répondants expriment leur insatisfaction sur l’accompagnement des assureurs. Une grande majorité s’inquiète aussi de l’assurabilité future de certaines régions ou activités. Et face à des enjeux climatiques lourds, les assureurs ne font qu’augmenter les prix ou réduire les couvertures. Pourtant, le niveau d’engagement des risk managers augmente. A cet égard, 74 % (+3 points) des risk managers se définissent comme « très engagés » ou « engagés » sur le traitement des risques climatiques dans leur entreprise. Ils demandent donc plus de moyens.
A la décharge des assureurs, les diagnostics de risques liés au changement climatique ne sont pas simples. Certes, les assureurs et réassureurs mobilisent des compétences extrêmement pointues (climatologues, physiciens, mathématiciens, spécialistes de la donnée…) pour établir les cartographies de risques à partir desquelles ils établissent leurs garanties. « Le problème, c’est que ces cartes sont devenues obsolètes Ce qui arrive ne ressemble pas à ce qu’il s’est déjà passé. Résultat, on ne sait plus prédire ce qui peut arriver. Donc il faut travailler sur l’anticipation de la sinistralité potentielle au regard des scénarios du GIEC. Certains assureurs, réassureurs avancent déjà sur cette voie » reprend Michel Josset.
Un schéma classique avec des données nouvelles
Grâce à ces nouveaux modèles, que font les entreprises une fois qu’elles déterminent leur nouveau profil de risques ? Comment va se traduire la prise en compte de ces risques sur la sécurité des processus et de l’entreprise ? « Les services centraux vont fournir les données générales, mais ce sera à chaque site de s’adapter pour trouver la méthodologie qui conviendra et imaginer les plans d’action pour atténuer les effets du réchauffement climatique : climatiser, sécuriser des procédés, travailler sur les rythmes de travail pour réduire l’exposition des personnels aux trop fortes chaleurs, établir un processus de gestion de crise…, précise Michel Josset. Les entreprises restent dans un schéma classique mais avec des données qui sont nouvelles. »
A l’avenir, les entreprises seront confrontées à un problème d’inassurabilité. « Avec le réchauffement climatique, les risques les plus forts ne seront plus des aléas. Les assureurs ne délivreront donc plus de garantie. C’est le cas des risques de submersion sur le littoral, remarque Michel Josset. On peut se poser des questions sur la pérennité de l’assurance. » Du coup, devrait se développer l’assurance paramétrique qui ne sécurise pas des pertes directement subies par une entreprise mais à travers la constatation d’une valeur mesurable de déclenchement d’un indice choisi au préalable, donnant droit au versement d’une indemnisation forfaitaire. Ces nouvelles formes d’assurance sont certainement amenées à se développer.
Retrouvez Huu-An Pham, directeur de l’adaptation industrielle chez AXA Climate lors d’une conférence sur l’impact du changement climatique pour les directeurs sûreté et sécurité.
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Erick Haehnsen
Jean-Yves Oger (CDSE) : « Nous devrons anticiper les risques climatiques dans nos investissement et dans nos plans de sécurité »
Certaines entreprises ont déjà intégré le risque climatique dans leurs modes de fonctionnement de leur direction de la sécurité-sûreté. Comment font-elles. Jean-Yves Oger, président de la commission Gestion de crise et continuité d’activité du Club des directeurs de sécurité et de sûreté des entreprises (CDSE), lève le voile.
Comment font les entreprises intègrent le risque climatique dans leurs modes de fonctionnement ?
Au niveau des nouvelles implantations, les directeurs sécurité-sûreté se rapprochent des assureurs pour leur veille pays afin d’analyser les éventuels risques qui pourraient survenir. Ils vont ainsi analyser les risques au niveau de l’approvisionnement en eau, d’inondations, de tremblements de terre, d’incendie… et voir comment renforcer les bâtiments. Il en ressort des décisions très concrètes. Par exemple, si la disponibilité de l’eau s’annonce faible, il faudra prévoir des systèmes de récupération et recyclage pour la réinjecter dans les processus de production et ne ressortir les déchets que sous forme solide. Autre exemple : dans les zones à fort risque de tremblement de terre, il convient de respecter les mesures des réglementations parasismique avec le renforcement adéquat des bâtiments et des tuyauteries.
Et concernant le risque géopolitique et sécuritaire ?
Anticiper les impacts géopolitiques et par rapport aux questions environnementales fait partie de l’ADN des directeurs de la sécurité-sûreté. L’environnement général de l’implantation d’un projet ainsi que les investissements nécessaires sont discutés par nos directeurs de la sécurité-sûreté en liaison avec la direction HSE, Risk Management, RSE, Assurance, finances, immobilier, production, logistique, achats… Les directions de Sécurité-sûreté participent de plus en plus en amont aux nouveaux projets d’implantation en apportant leurs analyses et recommandations.
Pourtant les assureurs et réassureurs n’ont pas fini d’élaborer leurs modèles prédictifs des risques…
Il est vrai que nous allons devoir apprendre à gérer de nouveaux risques comme ces périodes de sécheresse suivies de très fortes pluies qui peuvent provoquer des inondations car la terre a durci. Il faut donc anticiper ces risques dans nos investissements et dans nos plans de sécurité. Quant aux assureurs, nous sommes à l’écoute de leurs analyses macroscopiques sur les évolutions à horizon 2030-2040 par pays et par villes. Leurs nouvelles cartographies nous sont très utiles pour analyser nos risques. Nous prenons aussi en compte les études du GIEC sur l’accélération de certaines tendances climatiques que nous n’avions pas anticipées. Au CDSE, c’est une question que nous traitons car, parmi nos adhérents, nous comptons des entreprises multinationales. Mais il est clair qu’il faut aller plus loin.
L’été dernier, la France a connu des méga-feu d’une ampleur jamais vue. Comment abordez-vous cette question ?
Nous conseillons à nos adhérents de bien remplir leurs réserves d’eau, de défricher leurs abords, d’organiser des rondes pour surveiller d’éventuels départs de feu. Ils ont parfois des équipes internes de pompiers qui interviennent à la moindre alerte. Généralement, les sites sont également surveillés par caméras vidéo. Tout se joue dans les cinq premières minutes. Surtout dans un environnement très sec. C’est pourquoi il faut accomplir un important travail de prévention et d’accompagnement. Notamment en rappelant les consignes comme ne pas fumer sauf dans les zones fumeurs.
Lors d’une conférence au salon APS, Huu-An Pham, directeur de l’adaptation industrielle chez AXA Climate, sera également présent Mercredi 4 Octobre pour parler de l’impact du changement climatique pour la sûreté / sécurité sera abordé.
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Le salon APS se déroulera du 3 au 5 Octobre 2023 à la Porte de Versailles à Paris, pav 5.2.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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