La nouvelle loi santé prévoit, entre autres, la mise en place d’un véritable Big Data au service de la santé et de la prévention grâce au Health Data Hub. Cette plateforme de données de santé va accompagner les acteurs publics et privés à mieux tirer profit des données de manière à mieux prévenir les maladies et apporter un meilleur accompagnement aux citoyens tant dans leur vie quotidienne qu’au travail.
En matière de santé numérique, la France veut devenir une véritable locomotive pour l’Europe. Et c’est avec la loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé qu’elle s’en donne les moyens. Publié le 26 juillet dernier au Journal officiel, ce texte va aboutir notamment à la création d’un espace numérique pour chaque patient et à la mise en place d’un véritable Big Data au service de la santé et de la prévention des Français. Dans cette perspective, la loi donne naissance à une une plateforme de données de santé ou Health Data Hub. Son pilotage a été confié par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, à Jean-Marc Aubert, directeur de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Ce hub est appelé à jouer un rôle clé dans l’émergence d’une médecine prédictive et préventive en favorisant l’exploitation et l’interopérabilité des informations contenues dans le Système national des données de santé (SDNS).
Plusieurs centaines de Teraoctets de données déjà stockés
Mis en place en 2017, ce dernier héberge l’historique sur plus de 10 ans d’au moins 67 millions de patients. Véritable mine d’informations médicales dont le volume est en évolution constante, le SNDS contient plusieurs milliards de feuilles de soins. A cela s’ajoutent les résumés de séjours hospitaliers, les données de santé en relation avec les accidents du travail, de trajet ou les maladies professionnelles. Le SDNS accueille également des données relatives aux causes de décès codées et au handicap ainsi que des échantillons de données des complémentaires santés. Accessibles en Open Data par toutes personnes et structures publiques ou privées à but lucratif ou non lucratif sur autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), toutes ces données sont pseudonymisées. En clair, les identifiants sont remplacés par un pseudonyme. Ce qui permet de lever l’anonymat ou de faire des études de corrélation en cas de besoin.
Le SNDS représente une formidable mine d’informations pesant déjà plusieurs centaines de Teraoctets de données. Un volume en constante augmentation. Chaque année, le SNDS est alimenté notamment par 2 milliards de feuilles de soins et 11 millions de résumés de séjours hospitaliers. Il est appelé à s’enrichir de nouvelles bases de données, de la dématérialisation des dossiers des patients et des applications de santé qui fleurissent chaque année. On en dénombre plus de 150 000 dont 80 000 pour les médecins et 60 000 pour les patients, selon le site de Sanofi, le géant de l’industrie pharmaceutique. A cela vont s’ajouter les données transmises par les objets connectés, qu’il s’agisse de montres, balances, lits connectés et autres capteurs.
Émergence annoncée d’une nouvelle médecine
Le croisement de ces différentes données et leur exploitation avec des outils d’intelligence artificielle augure une véritable révolution pour la médecine d’aujourd’hui. Le Health Data Hub, encore en cours de constitution, a d’ailleurs parmi ses missions le rôle de promouvoir l’utilisation des données de santé et de favoriser leur interopérabilité en apportant un accompagnement technique et réglementaire aux porteurs de projets qui souhaitent exploiter ces données. Dans cette perspective, la plateforme a lancé un premier appel à projets visant à sélectionner les initiatives présentant un intérêt public. En juillet dernier, un jury d’experts a donc retenu 10 lauréats qui vont contribuer à l’émergence d’une médecine prédictive, préventive, personnalisée et participative. Parmi les lauréats, citons le projet Pimpon de la société Vidal qui vise à faire remonter aux prescripteurs des alertes pour les interactions médicamenteuses dangereuses ou encore Deep.pist porté par Epiconcept qui ambitionne d’évaluer l’apport de l’intelligence artificielle dans le dépistage du cancer du sein.
Grâce aux outils du Big Data, il sera en effet possible de mieux anticiper des maladies grâce à l’élaboration de profils de patients très précis, mieux comprendre les maladies chroniques avec le croisement des données, améliorer la détection des effets indésirables ou des mauvais usages des médicaments ou encore mener des actions de prévention accrues grâce à l’identification de menaces sanitaires et de risques d’épidémies mais aussi de réduire les dépenses de santé grâce à la détection préventive des maladies.
Des opportunités pour améliorer la prévention des salariés
Pour les entreprises, l’accès au Big Data médical fait entrevoir à plus long terme des améliorations en matière de prévention personnalisée des salariés, un meilleur accompagnement du bien-être au travail ou encore une meilleure organisation des postes de travail. Pour l’heure, le sujet est toutefois émergent et mobilise essentiellement quelques grandes mutuelles, selon Isabelle Hilali, cofondatrice et membre du conseil d’administration du Healthcare Data Institute, un think tank qui rassemble depuis cinq ans des acteurs de la santé et du Big Data. Cette experte de la donnée y voit la promesse d’un meilleur accompagnement des salariés en termes de prévention. Mais il existe de nombreux obstacles à surmonter qui sont d’ordre réglementaire, technique et culturel. « Le potentiel du Big Data s’arrête là où commence la liberté individuelle et notamment la protection de la vie privée. Il sera intéressant de voir comment cela évolue auprès des générations nées avec le digital » rappelle Isabelle Hilali, qui est par ailleurs CEO de Datacraft, une startup qui propose aux Data Scientitst des lieux de coworking et de formation entre pairs, inspirés du modèle du compagnonnage.
Des freins réglementaires subsistent
En dehors de l’aspect socioculturel, la personnalisation de la prévention au travail se limite à un obstacle d’ordre réglementaire. « Pour être utiles en prévention, les données de sinistralité AT/MP collectées par la Cnam comprennent aussi des données d’entreprises soumises au secret statistique conformément à la loi 51-711 du 7 juin 1951 », insiste Isabelle Hilali. « Cela a pour conséquence qu’une donnée quelle qu’elle soit, pour être rendue publique, doit recouvrir au moins trois entreprises et ne pas comporter une entreprise qui représenterait plus de 85 % de sa valeur, souligne le département statistique de la branche Risque-Professionnels de l’Assurance maladie. En matière d’AT/MP, ceci interdit tout croisement de type secteur x région x tranche d’effectif. Ce qui compromet d’emblée toute démarche d’Open Data. Ainsi les seules données publiables se limitent quasiment à ce que la Cnam met déjà à disposition dans la partie « statistiques » de son site sous forme de tableau Excel depuis 2010. » En revanche, ces statistiques peuvent et doivent être portées à la connaissance de la gouvernance paritaire de la Branche. C’est à l’aide des éclairages statistiques ad hoc que ces comités techniques nationaux expriment leurs priorités de prévention.
Eliane Kan
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