Commis par les clients, les salariés ou les fournisseurs, le vol de marchandises est un fléau qui fait perdre 4,7 milliards d’euros à la grande distribution. Tour d’horizon de la lutte contre cette « démarque inconnue ».
Avec la crise financière qui a affecté l’économie mondiale, la grande distribution a dû réduire ses dépenses de 2009 en capital, taillant dans les investissements pour lutter contre la démarque inconnue (DM). Conséquence mécanique : le vol de marchandises par les clients, les salariés, les prestataires ou les fournisseurs s’est envolé à 1,44 % du chiffre d’affaires mondial du secteur, selon l’édition 2009 du « Baromètre mondial du vol dans le commerce et la distribution » (GRTB), réalisée par CRR (Center for Retail Reseach) pour le compte du fabricant Checkpoint Systems. En 2010, changement de décor. L’édition 2010 du GRTB annonce une baisse mondiale de la DM de 5,6 % par rapport à 2009, tombant à 1,36 % du chiffre d’affaires mondial du secteur. Tandis que l’on comptabilise une augmentation de 9,3 % des dépenses mondiales consacrées par les distributeurs à la prévention des pertes.
Hausse du vol à l’étalage
Qu’il soit occasionnel ou intentionnel, le vol par les clients représente toujours la part la plus importante de la démarque inconnue (43,7 %), en hausse de 4 % par rapport à 2009. En revanche, les vols perpétrés par le personnel et ceux imputables aux fournisseurs ont baissé par rapport à l’an dernier (respectivement 30,6 % et 7 % du total contre 32,8 % et 7,6 % en 2009). En Europe, le montant moyen d’un vol à l’étalage s’élève à 113,97 euros, en hausse de 21 %. Ce qui prouve que le vol à l’étalage ne porte pas sur des produits de première nécessité mais sur des articles pouvant être revendus avec profit. En baisse de 5,6 % par rapport à 2009, le montant moyen volé par des membres du personnel s’élève à 1 760,17 euros ! Ce constat traduit la mise en place par les distributeurs européens de dispositifs de formation et d’embauche. Ainsi qu’une implication du personnel en magasin sur le problème du vol. D’ailleurs, 75 % des distributeurs européens réalisent des audits en magasins afin de lutter contre la démarque inconnue. Et les efforts de s’accentuer puisque la proportion des distributeurs effectuant plus de trois audits par an est passée de 45 % à 47 %.
« En France, la démarque inconnue baisse de 4,2 %, passant de 1,42 % à 1,36 % du chiffre d’affaires de la profession. Soit une perte de 4,7 milliards d’euros en 2010 – 200 euros par foyer ! », précise Cédric Brossard, directeur commercial de Checkpoint Systems France. Les distributeurs tricolores ont consacré 0,39 % de leur chiffre d’affaires 2010 à la sécurité et à la lutte contre la démarque inconnue (contre 0,37 % en 2009), soit 1,353 milliards d’euros investis en équipements et personnel de sécurité. Ce qui correspond à une augmentation des dépenses de 5 %. Dans l’Hexagone, on note une recrudescence des vols à l’étalage, tentés ou commis. De fait, 31,4 % des distributeurs français estiment avoir subi une hausse du vol à l’étalage.
Certes, les distributeurs protègent davantage leurs produits : 71,7 % en 2010 (soit + 4,3 %) d’articles protégés contre 68,6 % en 2009. Une chose est sûre : la protection des produits en rayon doit encore se développer. Sur ce total, l’EAS (Electronique Article Surveillance ; Surveillance électronique des articles) constitue le plus gros bataillon avec 37,9 % des articles protégés. Quant aux solutions de merchandising sécurisé favorisant le ‘‘libre emporter’’ des articles les plus sensibles (boîtiers, cerclages alarmés…), elles sont posées sur 17,2 % des articles (DVD, CD, jeux vidéo…). Autre tendance : la protection à la source poursuit sa progression de 7,6 % en 2009 à 8,3 % cette année.
Réduire le coût de la protection
> Contrôle d’accès, caméras de surveillance et personnel de sécurité : le trio gagnant.
Le Hard Discounter Lidl casse tellement les prix qu’il revient trop cher de leur appliquer des étiquettes électroniques. Les produits qui se volent le plus (alcools, lames de rasoir…) sont simplement exposés dans des armoires de verre fermées à clé à proximité des caisses. « La priorité porte davantage sur le système anti-intrusion la nuit et sur des agents de surveillance dans la journée », commente Frédéric Loones, directeur de la division Fire & Security Products de Siemens. Les prix ont chuté : 300 euros le système pour 10 personnes. « Avec une caméra de vidéosurveillance qui se déclenche au moment du contrôle d’accès, on sait si le salarié est entré ou non avec une autre personne », poursuit Frédéric Loones. Les progrès ne tardent pas à se faire sentir : « Dans un entrepôt pour cuisines industrielles, le taux de démarque est tombé de 15 ou 20 % à 3 % ! »
De l’AM à la RF
Côté EAS, quel système choisir ? L’avantage des étiquettes acoustomagnétiques (AM), par exemple celles de Sensormatic, c’est d’offrir la largeur maximale de passage entre les portiques de détection, soit 2,5 m à 3 m. En revanche, la désactivation du badge acoustomagnétique à la caisse est relativement contraignante et chronophage. Pour ces raisons, l’acoustomagnétique s’applique plutôt à des produits assez chers comme les vêtements, la cosmétique et la parfumerie.
De son côté, la protection électromagnétique (EM) se dote d’une étiquette qui referme un filament métallique dont l’alliage forme une signature électromagnétique entre les antennes de détection. Avantages : la technologie est peu onéreuse et peu sensible au contact de surfaces métalliques. « En revanche, l’écartement entre les antennes est réduit à 90 cm. Quant au taux de détection, il est assez faible : 70% », poursuit Cédric Brossard. « Cette faiblesse se compense en massifiant la protection des articles. » Autre inconvénient : il faut casser le filament avec un aimant pour le désactiver lors du passage en caisse. Pas si facile. Étant donné le coût peu élevé de l’EM, la technologie est encore très présente en grande surface de bricolage (GSB) et en grande surface alimentaire (GSA).
« La RFID n’est pas encore pour demain »
> Interview de Franck Charton, délégué général de Perifem (Association technique du commerce et de la distribution).
Info.expoprotection – Que pensez-vous de la protection des produits à la source ?
Franck Charton – « On en parle depuis vingt ans. C’est l’histoire de la poule et de l’œuf. Cela devient quasi systématique dans le textile car les produits sont fabriqués en Chine (donc moins chers à protéger à la source) et distribués en circuit fermés. Dans les enseignes généralistes, cette démarche est plus difficile à mettre en place car les produits viennent du monde entier. »
Info.expoprotection – Et la RFID ?
Franck Charton – « Avec le standard RFID EAS-based, on résout, au plan technique, la quadrature du cercle : protéger les produits à la source, bénéficier d’un inventaire en temps réel et faciliter le passage en caisse. Évidemment, cela demande de nouvelles antennes, de nouvelles technologies… Or, il y a une forte inertie de la part des distributeurs pour conserver leurs solutions existantes. Les distributeurs vont probablement se lancer dans la RFID d’ici sept ans. Certains iront plus vite que d’autres. »
© Propos recueillis par Erick Haehnsen /Agence TCA-innov24
Dans le sillage de l’AM et de l’EM, s’est développée l’étiquette RF (Radiofréquence) qui emmagasine de l’énergie émise par les antennes RF puis renvoie un signal radio dans la bande des 8,2 MHz. L’écartement entre antennes s’élargit à 1,40 m. Problème, jusque dans les années 2000, la RF avait la fâcheuse tendance à faire sonner l’alarme de façon inopinée. Du coup, plutôt que de changer le média de protection des articles, dont la désactivation est avantageusement rapide et aisée, les fabricants comme Checkpoint Systems ou Nedap ont considérablement amélioré l’électronique embarquée dans les portiques de détection.
Ainsi, avec la génération ‘’3G RF’’ de Checkpoint Systems, lancée en 2002, les antennes analogiques ont embarqué un traitement du signal numérique. Le taux de détections réussies a bondi à plus de 95 %, selon Perifem (Association technique du commerce et de la distribution). « Les antennes acquièrent aussi des fonctionnalités intelligentes », renchérit Laurent Ruel, directeur commercial Grands comptes distribution chez Nedap. « Si le client cache un article protégé dans un sac entièrement métallisé, les portiques ne le détecteront pas. Cependant, ils peuvent repérer les sacs métallisés et générer, non pas une alarme, mais une alerte… » Autre progrès, les antennes s’intègrent aux réseaux Ethernet et interagissent avec d’autres systèmes de sécurité. « Si un portique remonte une alarme en caisse, la caméra de vidéosurveillance motorisée se braquera sur le lieu de l’incident et enregistrera les images », souligne Frédéric Loones, directeur de la division Fire & Security Products de Siemens.
Les premiers pas de la RFID
Quelle que soit la technologie adoptée, AM, EM ou RF, les distributeurs sont confrontés à la tâche d’apposer eux-mêmes les protections sur les produits à la vente. Une opération fastidieuse et coûteuse. D’où la tendance à poser les étiquettes RF à la source, c’est-à-dire chez le fabricant chinois. Encore faut-il travailler en ‘‘boucle fermée’’. Quitte à protéger les produits à la source, certains envisagent de passer de la RF à la RFID (Radio Frequency Identification). Marks & Spencer depuis 2004 au Royaume-Uni, Serge Blanco et Decathlon en France… de plus en plus de groupes basculent, mais très timidement, vers la RFID. « La RFID est très efficace pour dresser l’inventaire des marchandises dans la chaîne logistique car elle permet de lire les tags à distance sans ouvrir les cartons ou sans défaire les palettes et fournit un identifiant unique par produit. Ce que n’offre pas la RF », constate Bernard Jeanne-Beylot, consultant spécialisé en traçabilité et identification automatique chez JB Thèque. « Bien sûr, il est plus simple de la mettre en œuvre en boucle fermée. Mais les distributeurs savent déjà corréler leur sourcing, leur commandes et la protection à la source avec des acteurs comme Avery, Checkpoint ou Nedap, qui disposent de filières d’étiquettes RF en Asie. »
A 5 ou 10 centimes d’euros l’étiquette en lecture seule (tag passif), le pas semble assez facile à sauter. D’ailleurs, « en Allemagne, le groupe Metro a installé 300 portiques RFID dans les enseignes Real, Kaufhoff et Metro. En France, 90 portiques RFID sont installés dans les entrepôt cash-and-carry. Dans les deux cas, la RFID ne sert, pour l’instant, qu’à la traçabilité des produits mise en place avec DHL pour simplifier le suivi des palettes », détaille Cédric Brossard. Cependant, les investissements vont bien au-delà des tags RFID et des antennes pour les lire. « Il faudra installer des lecteurs à chaque point de contrôle, développer des bases de données adaptées à la RFID, élargir la bande passante des réseaux car la volumétrie des données à gérer et à échanger sera bien plus importante. »
Vers des systèmes de supervision
En attendant la RFID, les portiques de détection sont la cheville ouvrière des systèmes d’information pour le reporting de sécurité. « Les portiques comptent systématiquement le nombre de visiteurs. Si les désactivations en caisse baissent alors que la fréquentation et le panier moyen restent stables, c’est que certaines étiquettes RF posées à la source sont de mauvaise qualité et présentent des problèmes de désactivation », explique Laurent Ruel de chez Nedap. Sur la base des remontées d’information à partir des portiques et convergeant vers le ‘‘Cube’’, serveur sous Linux dédié dans un banal boîtier, Nedap commercialise ‘‘EASi/Net’’, un service de reporting et d’analyse de la démarque inconnue sur Internet par magasin, par région, par pays. Dernière grande signature en date, après Décathlon, La Halle aux Chaussures, Monoprix ou Kookaï, L’enseigne La Poste. Checkpoint fait la même chose avec CheckPro Manager.
© Erick Haehnsen / Agence TCA-innov24
« Le Bâtiment pourrait inspirer la grande distribution »
> Interview de Jean-Philippe Verger, président de la Fédération francophone des industriels et acteurs de la RFID (FilRFID), qui commente l’intérêt des tags RFID actifs.
Info.expoprotection – Qu’apportent les tags RFID actifs ?
Jean-Philippe Verger – « Ils disposent de leur propre intelligence et d’une batterie qui assure une autonomie de trois à cinq ans. Surtout, ils peuvent embarquer un détecteur de mouvements et envoyer un message pour indiquer qu’ils ont été déplacés. Nous avons travaillé avec la Fédération française du bâtiment, des sociétés de télésurveillance, le ministère de l’Intérieur et des assureurs pour développer un programme de protection des chantiers contre le vol de matériel. Il faut savoir qu’on y vole pour 1 à 2 milliards d’euros par an. De la visserie jusqu’à la pelleteuse ! »
Info.expoprotection – Où en êtes-vous ?
Jean-Philippe Verger – « Nous avons testé une offre qui combine les tags et la télésurveillance sur des chantiers expérimentaux pendant six mois. Pour la grande distribution, des solutions dédiées devraient également sortir cette année. Grâce aux lecteurs RFID de nouvelle génération, chaque boîtier peut devenir un répéteur pour les autres. Cela permet au système RFID de faire de la géolocalisation des tags par triangulation dans le magasin… »
© Propos recueillis par Erick Haehnsen / Agence TCA-innov24
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