100 à 150 litres d’eau par mètre carrés en 2 heures, soit le volume de deux mois de pluies en saison. C’est le constat que dresse Météo France après les pluies torrentielles qui se sont abattues sur le département des Alpes-Maritimes dans la nuit de samedi à dimanche. Principalement sur les communes de Mandelieu-La Napoule, Cannes, Vallauris, Biot, Antibes et Nice. Un phénomène historique dont il était difficile de prévoir la localisation et surtout l’intensité démesurée. En effet, le bilan humain est terrible : 19 morts et 2 disparus ce lundi matin. Quant aux dommages matériels, ils sont d’ores et déjà évalués à plusieurs centaines de millions d’euros.
241 interventions et 23 hélitreuillages. De leur côté, François Hollande, le président de la République, ainsi que Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, se sont rendus dans la région dimanche. L’occasion de soutenir les populations et de saluer l’engagement des sapeurs-pompiers, des gendarmes et policiers nationaux, des élus et des agents des collectivités pour protéger les populations. Selon un communiqué du ministère de l’Intérieur, « toute la soirée et jusque tard dans la nuit, les services de secours et de sécurité ont procédé, sous la direction du Préfet des Alpes-Maritimes, à 241 interventions et 23 hélitreuillages. Le centre opérationnel du SDIS a reçu 1900 appels. Sur le terrain, les services de police et de gendarmerie, 450 sapeurs-pompiers dont 360 du SDIS des Alpes-Maritimes ont été mobilisés. Ils ont été appuyés par des renforts venus du SDIS du Var, du Bataillon de marins-pompiers de Marseille et des formations militaires de la Sécurité civile. 3 hélicoptères de la Sécurité civile et de la Gendarmerie les ont soutenus pour les opérations de secours et restent engagés pour les opérations de reconnaissance. »
Modèles météorologiques dépassés. Reste que les critiques fusent. En premier lieu à l’égard de Météo France qui avait émis une alerte orange pour la nuit de samedi à dimanche sur cette zone. « Cette cellule orageuse a donné des pluies diluviennes [et des] des records de précipitations. Du jamais vu depuis qu’existent les relevés météorologiques dans la région », indiquait dimanche sur France Info Joël Collado, de Météo France. Rien qu’à Cannes, il est tombé en une heure pas moins de 107 litres d’eau au mètre carré. Dans d’autres endroits, la densité des précipitations a dépassé 150 litres au mètre carré en quelques heures. Soit la quantité habituelle de 2 mois de précipitations en cette saison. « Nos modèles de prévision nous ont permis de baliser la zone qui allait être concernée par ce système de cellules orageuses très violentes, mais de là à préciser que l’une d’elles allait parcourir un secteur aussi réduit avec une telle intensité, c’est, en l’état actuel de nos connaissances, impossible » précisait dimanche à notre confrère l’Express Pascal Brovelli, directeur adjoint à la direction des opérations à Météo-France. Autrement dit, les modèles météorologiques de Météo France ne sont pas assez puissants ou précis pour prévoir des événements aussi forts et aussi concentrés géographiquement.
Baisse de 28% du budget »Prévention des risques ». Pour sa part, Europe Écologie Les Verts (EELV) accuse l’État de baisser les crédits de la mission »écologie » qui est systématiquement une des plus touchées par les réductions de dépenses. « Au sein de cette mission figure le programme 181 consacré à la »prévention des risques », notamment hydrauliques. Les crédits de paiement de ce programme accusent une baisse de 28% entre le budget 2012 et le budget 2016 alors même que la fréquence et l’intensité des catastrophes naturelles augmentent, probablement du fait du changement climatique, dénonce André Gattolin, sénateur EELV des Hauts-de-Seine, vice-président de la Commission des finances. Le programme 170, consacré à la »météorologie », correspond quant à lui à la compensation que fournit l’État à l’opérateur Météo France pour sa mission de service public, consistant à mieux connaître les conséquences du changement climatique dans le but d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Cette compensation est en baisse de 3,4% depuis 2012 et les contraintes budgétaires qui pèsent aujourd’hui sur Météo France ne lui permettent pas de procéder à la mise à niveau de ses outils scientifiques de prévision. »
Antibes pourtant »bon élève ». Bien sûr, le bétonnage de la Côte d’Azur est mis en cause. Pourtant, en l’occurrence, la commune d’Antibes est citée en exemple par le Centre européen de prévention du risque d’inondation (CEPRI) en matière de lutte contre les inondations. « La ville d’Antibes fait partie des premières villes à avoir mis en place dès 2003 un service spécifique pour gérer les eaux pluviales et les risques d’inondation. Une vingtaine d’agents y travaille. Notre mission porte, entre autres, sur l’entretien des ouvrages pluviaux, des cours d’eau et des vallons. Mais aussi sur la réalisation de grands travaux hydrauliques pour anticiper les risques d’inondation, explique Emmanuel Curinier, ingénieur hydraulicien, chargé de mission des grands projets au sein du service des eaux pluviales et lutte contre les inondations de la ville d’Antibes. Notre service a également en charge le contrôle de l’urbanisme en relation, notamment, avec le système judiciaire pour les infractions au plan de prévention des risques d’inondation qui interdit toute nouvelle construction en zone rouge. »
Globalement, la ville d’Antibes consacre environ trois millions d’euros par an aux travaux de la lutte contre les inondations (foncier compris). « Pour absorber et réguler les débits de pointe, nous avons augmenté la capacité de rétention par la création d’un ouvrage d’environ 30.000 m3. Dans notre département des Alpes-Maritimes, il s’agit d’un des plus grands bassins de rétention situés en milieu urbain, expliquait, il y a un mois, Emmanuel Curinier. Par ailleurs, nous avons également entrepris la restauration hydraulique et environnementale de la Brague et celle d’un vallon sous-terrain qui traverse le centre ville. Le pilotage de ces travaux démarre avec la libération foncière jusqu’au suivi de chantier, ces opérations se faisant quelquefois en maîtrise d’œuvre directe. Cela passe aussi par la conduite d’études plus globales sur les travaux de lutte contre les inondations les plus pertinents à mettre en œuvre sur la commune. » A l’échelle d’une commune de 80.000 habitants (150.000 l’été), ces efforts sont considérables et même remarquables.
Dix ans après le dernier texte censé combler les manques en matière de gestion du risque en France, la situation reste préoccupante. Le principal outil du maire en cas de catastrophe, le plan communal de sauvegarde (PCS), est loin d’être suffisamment répandu. Pourtant, les communes concernées par un plan de prévention des risques (PPR) approuvé par une préfecture, soit près d’une localité sur trois, ont l’obligation de réaliser un PCS. Dans les faits, fin 2014, selon les derniers chiffres disponibles dévoilés par le ministère de l’Intérieur, sur les 11.795 villes concernées, seules 7 137 disposaient d’un tel dispositif, soit un taux de réalisation de 60,5%. Une chose est sûre : la triste réalité nous rappelle brutalement l’ampleur des efforts qu’il faudra consentir à l’avenir. A quelques semaines de la COP21, espérons que ces réflexions ne resteront pas lettre morte.
Erick Haehnsen
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