Quel est le parcours qui vous a conduit à la prévention des risques professionnels ?
Au départ je suis ingénieur généraliste (Insa Strasbourg). J’ai travaillé dans l’industrie automobile pour un constructeur français, puis pour un sous-traitant, en tant que responsable de production. J’ai toujours été en contact avec l’humain. J’ai souhaité m’ouvrir davantage vers l’extérieur. J’ai eu l’opportunité de prendre un poste d’ingénieur conseil au sein du service de prévention de la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) Normandie. Dans ce type de poste, on a à la fois un pied dans l’entreprise et un autre sur la question humaine. C’est donc par ce biais que je suis arrivé à la prévention. Puis j’ai évolué avec un intérêt croissant pour les politiques publiques qui ont un rôle important à jouer pour favoriser l’émergence d’une culture de prévention en France. J’ai alors complété mon parcours avec un master en management des politiques publiques à Sciences Po. Ensuite, j’ai évolué jusqu’au poste de directeur des risques professionnels à la Carsat Normandie. Il y a deux ans, j’ai pris le poste de responsable prévention au niveau national avec la mission d’animer l’ensemble du réseau prévention de la branche accidents du travail et maladies professionnelles (AT/MP) de la Sécurité sociale.
Pourquoi est-ce si important, pour la Cnamts, de vouloir que l’ensemble des collaborateurs adhère aux bonnes pratiques de prévention ?
Au-delà de l’ensemble des collaborateurs, c’est l’ensemble des acteurs de l’entreprise qui doit adhérer aux bonnes pratiques. Y compris le chef d’entreprise et la direction générale. C’est important car tout le monde doit être acteur de sa prévention, même si le chef d’entreprise est responsable au plan légal des risques qu’encourent ses salariés.
Ne serait-il pas plus urgent de convaincre en priorité les dirigeants des organisations, voire les écoles de management qui les forment ?
Oui, bien sûr, il faut convaincre les dirigeants actuels ! Lorsque les préventeurs de la branche AT/MP interviennent en entreprise, leur première tâche, c’est justement de convaincre les dirigeants. C’est même la priorité. Beaucoup de patrons en sont déjà convaincus mais ils ont parfois besoin d’un accompagnement. Dans un second niveau, il faut aussi faire émerger cette question dès la formation de nos dirigeants.
Quelles actions menez-vous avec les écoles ?
Nos actions en formation initiale se situent à la fois au niveau de l’enseignement supérieur et de l’enseignement professionnel. Dans le premier cas, nous travaillons avec le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur et avons mis en place un partenariat avec la Commission des titres d’ingénieur depuis plusieurs années. Laquelle habilite en France les écoles d’ingénieur à délivrer leur titre d’ingénieur. Via ce partenariat, chaque élève-ingénieur doit suivre une formation le sensibilisant à la question de la prévention. L’idée, c’est que derrière la machine que l’ingénieur va concevoir, il y aura un opérateur qui va s’en servir, un technicien qui va l’entretenir et d’autres techniciens qui, un jour, seront chargés de la démanteler et de la recycler. Toutes ces étapes sont susceptibles de générer des risques à intégrer dès la conception. L’objectif vise à ce que l’élève-ingénieur, futur décideur ou dirigeant, intègre la question des conditions de travail dans l’ensemble de ses futures activités.
Qu’en est-il des écoles de commerce ?
Nous avons la même action avec les écoles de management mais avec un impact moindre car, de par notre culture, nous avons une meilleure approche avec les écoles d’ingénieurs. Reste qu’il nous a fallu adapter notre démarche. Nous avons donc décidé de nous associer à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) qui porte davantage les questions de la prévention dans le champs de la Qualité de vie au travail (QVT). Cette dimension a plus d’échos auprès des écoles de management.
En quoi est-ce si important d’avoir le retour d’expérience des préventeurs ?
Le monde évolue, le travail et les risques aussi. Il est essentiel d’avoir le retour des préventeurs pour adapter nos standards de prévention aux évolutions du monde du travail.
Qu’en est-il au niveau des 1.500 agents dédiés à la prévention dans les Carsat (dont 1 000 contrôleurs de sécurité et ingénieurs conseil) et les 600 personnes à l’INRS ?
Nous avons la partie recherche avec l’Institut national de recherche en sécurité (INRS) et la partie intervention en entreprise avec les caisses régionales. C’est ce croisement entre le retour d’expérience en entreprise et la recherche qui permet d’élaborer tous les standards de prévention que nous proposons aux entreprises. Notamment les brochures de l’INRS qui sont accessibles à toutes et à tous. Nos préventeurs ont la mission de promouvoir la prise en compte de la prévention dans les entreprises. Cette promotion passe par des actions d’accompagnement avec du conseil, des aides financières, de la formation mais également du contrôle. Car, en tant qu’assureur des accidents du travail et des maladies professionnelles, si l’entreprise ne met pas en œuvre nos préconisations en prévention, nous pouvons aller jusqu’à augmenter ses cotisations d’accident du travail-maladies professionnelles (AT-MP). Nous avons donc des instruments d’incitation, notamment des aides financières (50 millions d’euros par an) sous différentes formes (7 à 8.000 entreprises aidées par an) ainsi que l’injonction/majoration à agir. A ce moment-là, nous demandons à l’entreprise de mettre en œuvre les préconisations dans un délai défini sous peine d’une majoration de leurs cotisations.
Comment l’approche systémique de la prévention des risques se décline-t-elle au niveau du préventeur ?
C’est une approche théorique qui alimente certaines de nos actions mais qui n’irrigue pas en profondeur nos pratiques. C’est un courant de pensée intéressant porté le courant de recherche et de pensée de Palo Alto. En gros, nous avions une approche par exposition à des risques techniques avec des solutions techniques. Mais cette approche »technicienne » est insuffisante car il faut questionner les situations de travail dans leur globalité et dans une perspective dynamique (pas figée). Cela nécessite de prendre en compte les dimensions humaine, sociale et organisationnelle. Pour cela, l’approche systémique peut être un précieux apport.
Au même titre que la productivité a ses indicateurs chiffrés, comment mettre en place les critères pour mesurer la performance de la prévention en entreprise ?
Aujourd’hui,les entreprises utilisent le plus souvent des indicateurs de résultat en matière de sinistralité. Or ces indicateurs ne mesurent pas la réelle maturité de l’entreprise en matière de performance en prévention. Pourtant, il existe des outils, à l’instar de celui que nous avons développé : la grille de positionnement en santé et sécurité au travail (GPS&ST) qui est téléchargeable sur le site de l’INRS. En fonction des réponses à 20 questions de notre grille, l’entreprise aura une image de son niveau de performance dans sa pratique actuelle de la prévention. C’est ce type d’approche qu’il faut développer en complément des résultats de sinistralité.
Le rôle du préventeur doit-il pencher davantage du côté social ou du côté technicien (ingénieur, ergonome…) ?
Dans l’après guerre, lorsqu’il a fallu reconstruire la France, les risques au travail les plus importants étaient dans le secteur du BTP et de l’industrie. Des gens se tuaient tous les jours au travail. Pour faire face à ces risques très souvent de nature technique, nous avons développé des approches techniques et apporté des réponses techniques. Certes, il faut continuer dans cette voie qui a porté ses fruits car certains de ces risques sont encore rencontrés en entreprise. Mais il y a d’autres risques à traiter, notamment les risques psychosociaux (RPS) dont les origines peuvent être multiples et autres que techniques. D’autant que l’économie se tertiarise. La seule approche technique ne suffit donc plus. Il faut faire appel à d’autres compétences. La pluridisciplinarité est devenue indispensable pour mettre en oeuvre une démarche de prévention globale et efficace.
Le nouveau contexte législatif lié à la loi Travail, en cours d’élaboration, risque-t-il d’amoindrir les politiques de prévention (C3P, médecine du travail…) et de réduire le rôle du préventeur ainsi que des instances représentatives du personnel (CHSCT, CE, DP…) ? Qu’en est-il, entre autres, des CHSCT ?
La loi travail en cours de discussion prévoit que le dispositif de pénibilité soit financé et géré par la branche AT-MP. Jusqu’à présent, ce dispositif était géré par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav). Ici, on rapproche le dispositif pénibilité de la branche AT-MP, c’est-à-dire de la branche qui a la mission de prévenir les risques professionnels. Cela semble plus cohérent. Le projet de loi prévoit également la fusion du Comité d’hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT), du Comité d’entreprise (CE) et des délégués du personnel (DP). A savoir trois instances qui existent dans toutes les entreprises de plus 50 personnes. A présent, l’idée, c’est de les regrouper dans une seule instance, le Comité social et économique (CSE). Pour les entreprises entre 50 et 300 salariés, il n’y aura donc que le CSE. Au-delà de 300 salariés, le texte prévoit la mise en place d’une commission Sécurité, santé et conditions de travail (SSCT). Quoi qu’il en soit, dans notre action de prévention, il faudra continuer à mobiliser et à nous appuyer sur ces instances de dialogue social pour promouvoir la prévention. Nous devrons nous adapter à ces évolutions. L’un des intérêts pourrait être le décloisonnement des thématiques évoquées au sein de ces instances. En effet, évoquer des sujets aussi divers que les conditions de travail, l’égalité homme-femme ou les questions économiques par exemple dans une même instance peut permettre d’avoir une vision plus globale et transversale des questions relatives au travail. Mobilisons-nous pour que cela se fasse au bénéfice d’une amélioration des conditions de travail.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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