Qu’est ce qui vous a motivé à développer cette application ?
Cela fait 27 ans que je porte les bottes. J’ai commencé à l’âge de 9 ans en intégrant l’école des sapeurs-pompiers puis à 16 ans je suis devenu pompier volontaire. A l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle dans lequel j’exerce depuis 16 ans, le monde entier est notre invité : il y a plus de 60 millions de passagers qui passent dans notre structure par an, ce qui représente 5.000 interventions par an. Dont la moitié concernent des personnes étrangères ! Leur principal problème, c’est la barrière de la langue, surtout lorsqu’il s’agit de récolter des informations sur leur état de santé. Dans le secteur de l’urgence, l’on doit traiter rapidement et correctement le patient, avec des informations fiables afin de l’orienter vers le centre hospitalier le plus adéquat. Durant les premiers secours, chaque mot compte. Il n’y a pas le droit à l’erreur. Pour cette raison, j’ai décidé de développer un système de traduction afin d’aider mes collègues à mieux communiquer avec les touristes étrangers.
Comment s’est déroulée cette aventure ?
Auparavant, nous avions toujours un petit guide de conversation en poche ou bien nous perdions du temps à trouver un traducteur d’une compagnie aérienne. Nous sommes les primo-intervenants. Nous ne pouvons nous permettre d’attendre 20 min l’arrivée d’un traducteur qui serait disponible, chose rare à 3 heures du matin… On a aussi essayé les applications de traductions mais ces dernières ne sont souvent pas fiables, car elles traduisent au mot à mot. Face à ces difficultés, j’ai commencé par effectuer des tableaux excel recensant mes questions dans plusieurs langues. Puis en 2013, je me suis intéressé au développement informatique, ce qui m’a conduit à vouloir créer une application de traduction dédiée au secourisme, baptisée Trad112. Un ami développeur m’a aidé, puis je me suis entouré de traducteurs indépendants. Le développement de l’application a duré un an entre 2013 et 2014, époque à laquelle l’application est sortie sur l’Appstore et Android. Depuis 2015, une version grand public est également disponible.
Comment fonctionne l’application ?
Le secouriste présente l’application au patient qui choisit sa langue en cliquant sur son drapeau (17 langues sont disponibles : anglais, espagnol, portugais, allemand, italien, chinois, coréen, japonais, russe, arabe, polonais, roumain, turc, langues des signes française et internationale). Ensuite, une trentaine de questions défilent, ce sont celles que l’on pose habituellement : » Vous souvenez-vous de votre malaise ? », » Est-ce la première fois ? », »Prenez-vous des médicaments ? », » Ressentez-vous des douleurs thoraciques ou abdominales ? « , » Etes-vous diabétique ? « … Ce sont des questions fondamentales qui permettront d’évaluer le premier état de santé du patient. Et qui n’appellent qu’à une réponse par oui ou par non. En ce qui concerne les personnes malvoyantes, une version audio a été créée, de même pour les personnes sourdes et muettes, il existe des vidéos en langage des signes français et international. Ensuite, les informations sont archivées dans l’iPad, ce qui servira à dresser la fiche bilan du patient. Laquelle le suivra jusqu’à l’hôpital.
Cette application vous a-t-elle permis de sauver la vie de certains patients ?
Je me souviens d’un passager espagnol qui se plaignait de douleurs thoraciques. En lui faisant utiliser l’application, on a pu déterminer qu’il souffrait d’une fissure de l’aorte et nécessitait une prise en charge extrêmement urgente. De même, un passager il y a quelque temps, un marin chinois provenant d’un vol au Maroc ne pouvait pas sortir car il souffrait de douleurs intenses, grâce à l’application, on a pu comprendre qu’il avait chuté dans les cales d’un navire auparavant et qu’il s’était brisé le fémur.
Comment l’application a-t-elle été perçue par vos collègues ? Quel a été son impact ?
Un succès ! Après avoir testé mon application, ce sont justement mes collègues qui m’ont incité à en faire un vrai business. Aujourd’hui, tous les secouristes de Roissy en font usage. Par ailleurs, j’ai reçu des aides du groupe Aéroport de Paris (ADP) en ce qui concerne la communication de mon projet. Bref, c’est mon quart d’heure de célébrité ! J’ai aussi reçu un bel accueil à l’international avec plus de 6.000 téléchargements dans plus de 40 pays. Tout est parti d’une idée simple : celle d’aider mes collègues et maintenant l’application est téléchargée dans le monde entier !
Comment voyez-vous vos projets à l’avenir ?
Jusqu’alors, j’ai tout mis de ma poche, j’ai utilisé mon épargne ainsi que des crédits afin de payer les traducteurs, ce qui représente au total 30.000 euros. A la rentrée, j’ai rendez-vous avec des investisseurs. Ce qui pourrait me permettre d’étoffer mon application en y ajoutant de nouvelles langues telles que l’hindi, le bambara (langue du Mali) ou encore le suédois. De plus, je projette de développer une version pro, plus coûteuse, certes (l’application coûte actuellement 5,99 euros), mais aussi plus étoffée avec une base de 300 questions en arborescence. Dans cette version, l’utilisateur disposera d’une série de phrases destinées à rassurer le patient sur sa situation et ce qui va se passer. Par exemple : » Votre enfant va bien », » Votre plaie nécessite une suture « , » Vous devez être redirigé vers un centre hospitalier « , » On va vous mettre sur un matelas qui va vous immobiliser » etc. Je souhaite rendre disponibles des versions orientées vers des secteurs plus spécifiques tels que la cardiologie ou l’obstétrique.
Vu le nombre de langues que vous proposez, cette application pourrait être utilisée dans le monde entier…
C’est mon objectif : toucher tous les passagers qui voyagent à travers le monde, selon la Banque mondiale de données, ce sont 80 millions de personnes qui visitent la France chaque année, et un milliard dans le monde. C’est cette population là que nous allons viser car la barrière de la langue est un problème universel. De plus, mon application fonctionne sans wifi et sans 3G. Ce qui veut dire que tout le monde peut l’utiliser. Avec la version grand public, n’importe qui peut venir en aide à une personne qui fait un malaise, en lui posant les questions de base avant que les secours n’arrivent.
Propos recueillis par Ségolène Kahn
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