Interview du président du Groupement des entreprises de sécurité (GES). Il nous éclaire sur l’attitude des clients, les tarifs et sur l’évolution des technologies.
En matière de tarifs de prestations de sécurité privée, comment les clients se comportent-ils ?
Le critère « prix » reste bien sûr encore prépondérant. Bien avant le critère « technique ». Les dépenses de sécurité n’apparaissent pas, ou très insuffisamment, comme des dépenses d’investissement. C’est a posteriori, en cas de problème, d’intrusion ou de crise que ces dépenses révèlent leur utilité. Il serait souhaitable que ce soit le cas a priori.
Bien sûr, si le directeur de la sécurité, chez le client, a un certain poids. S’il est écouté, il saura influer sur les acheteurs. Il évitera alors qu’un prix trop bas remette en cause la sécurisation d’un site ou d’une activité. Certains secteurs connaissent également une prise en compte plus rationnelle de la sécurité. Je pense aux sites sensibles, par exemple. En effet, car l’intrusion, l’incident ou l’acte malveillant seraient ici « hors de prix ». Sans compter l’impact « réputationnel ».
Les clients cherchent-ils essentiellement à écraser les prix ?
Dans la grande distribution alimentaire ou dans les marchés publics, la recherche du moins disant est souvent la règle. Parfois les prix sont anormalement bas. Résultat, le donneur d’ordre n’aura que la sécurité qu’il mérite : de faible efficacité et de faible qualité. Ce qui s’illustre par le dicton « pas cher, c’est encore trop cher » ! En cas de défaillance, il ne se rend pas toujours compte qu’il engage sa propre responsabilité.
Établissent-ils des indicateurs de la performance sécurité ?
Ils peuvent exister. Mais, à la différence des pays anglo-saxons, ils sont encore trop peu utilisés ou développés en France. Dans la sûreté aéroportuaire, par exemple, certains indicateurs factuels de performance font partie du cahier des charges. Comme le nombre de passagers filtrés dans un temps donné. Cependant, ce sont des exceptions. Dans la grande distribution, il existe le taux de démarque inconnue. Mais il est insuffisamment utilisé et, en tout cas, peu présent dans les cahiers des charges.
Ces indicateurs pourraient-ils servir la profession ?
Cette logique de référence à des critères objectifs décrit la prestation en la décorrélant du prix de l’heure. Cette piste devrait être davantage explorée pour le bien de nos sociétés. Alliée à une plus grande utilisation des technologies et de la digitalisation, elle pourrait créer de la valeur ajoutée. Et rétablir un dialogue entre prestataires et donneurs d’ordre fondé non plus sur de la vente « agent/heure » mais « quel dispositif pour quelle sécurité ».
Le critère de la satisfaction client final entre-t-il en ligne de compte ?
Ce critère manque au marché de la sécurité. Dans les écoles de commerce, on parle aussi « d’expérience client ». Pour ma part, j’entends par « client final » non pas véritablement le donneur d’ordre ou le directeur de la sécurité. Mais l’usager, le consommateur, le citoyen, le visiteur, le salarié du site. Or nous ne vendons pas un service comme les autres. Et notre prestation impacte la liberté d’aller et de venir. C’est un service de contrainte potentielle. Néanmoins, ce service se déploie dans le cadre d’une relation commerciale, sur un marché avec son offre et sa demande. Et donc avec la nécessité de satisfaire les clients, tous les clients. Pour peu qu’il y ait une compréhension et un respect mutuels, l’offre peut se pérenniser.
Les clients ont-ils tendance à élargir le périmètre des missions demandées aux agents de sécurité ?
Forcément ! Comme dans toute relation économique, le client recherche toujours à obtenir de son prestataire davantage pour le même prix… C’est une relation client/prestataire classique non spécifique à la sécurité privée. Néanmoins, toute prestation, même imprévue initialement, se paye. C’est notre travail de prestataire de ne pas céder à des demandes, parfois au chantage, de certains clients. Un bon exemple est la prise de température des visiteurs de nos clients en cette période de Covid-19. Certains donneurs d’ordre s’ingénient à se décharger de cette responsabilité sur les sociétés de sécurité privée.
Comment réagir ?
À ce stade, la DLPAJ (*) que nous avons interrogée en tout début de crise, était formelle : « En l’absence de décision ou de recommandation officielle, ces mesures préventives, qui conduiraient les agents de sécurité à refuser l’accès à un bien ou un service à raison de l’état de santé des accédants, sont susceptibles de constituer une mesure discriminatoire au sens des articles 225-1 et 225-2 du Code pénal ». En outre, ceci ne rentre pas explicitement dans les attributions de nos entreprises. Notre profession n’est pas prête à prendre ce risque et cette responsabilité juridique. Ni à les partager avec les donneurs d’ordre ingénieux.
C’est-à-dire ?
La sécurité privée est une profession réglementée. Notre cadre d’action, nos missions, nos activités sont encadrés et délimités par le livre VI du code de la sécurité intérieure… Demander plus que ce que nous pouvons faire nous place dans une difficulté juridique. Si ce n’est dans un risque de sanction. Dans ce cas de dérive, encore faut-il pouvoir le prouver. Le donneur d’ordre devrait être coresponsable et solidaire dans la sanction.
Mais les choses pourraient évoluer…
Plusieurs donneurs d’ordre demandent des missions supplémentaires. Comme la détection d’explosifs par des agents cynophiles. En ce cas, des évolutions législatives ou réglementaires sont nécessaires. Cela fait plusieurs années, pour ne pas dire dix ans, que les pouvoirs publics y travaillent. Nous avons quelques grands événements internationaux dans les années qui viennent en France. On nous dit qu’il faudra un certain nombre d’équipes cynophiles de détection d’explosifs. Mais, à l’heure actuelle, les forces publiques de sécurité, qu’elles le veuillent ou non, devront les fournir.
Où en est la demande en systèmes de digitalisation de la sécurité ?
Ce sujet est complexe. La demande n’est sans doute pas encore assez formalisée, le besoin pas encore assez cerné. Quant à l’offre, elle n’est pas encore assez réactive. Voire même proactive. Certains de nos clients ont encore des organisations cloisonnées en sécurité humaine et en sécurité électronique. Difficile, dans ces conditions, d’optimiser les solutions. Pourtant, c’est bien vers la transformation digitale que nous devons nous orienter. Y compris pour répondre à la digitalisation croissante des individus et des futurs salariés si nous voulons les attirer.
La digitalisation de la sécurité privée peut-elle changer la donne ?
C’est une obligation de créer de la valeur, transformer nos prestations. Ainsi que d’optimiser la sécurité et la rendre plus efficiente. Disant cela, je ne vois pas les technologies, y compris digitales, comme étant capables de remplacer nos salariés. Le numérique va surtout nous aider à les faire monter en compétence. Adapter nos prestations nécessite d’adapter nos entreprises et nos ressources humaines. Drones, robots, vidéo intelligente, voire intelligence artificielle, senseurs à multiples canaux… Ces outils nous permettront d’optimiser les rondes, les interventions, la traçabilité, la proactivité. Pour y parvenir, prestataires et donneurs d’ordre doivent s’entendre. Mais j’insiste : cette évolution doit se faire à un prix reconnu.
En ces temps de coronavirus, comment la demande évolue-t-elle ?
Les directeurs de la sécurité font face, comme nous, à une crise inédite. Comme nous, ils visent à assurer, en toute sécurité, la continuité d’activité lorsque cela est permis. Ou à assurer la sécurisation des sites et activités fermés. Cette double contrainte induit un paradoxe pour notre secteur. En effet, des segments de marchés entiers (distribution, santé, EPHAD, logistique) réclament des effectifs de sécurité supplémentaires. Tandis que d’autres ont vu leurs effectifs se réduire, parfois jusqu’à 70%. Il faut être très clair : la hausse d’activité dans certains secteurs ne comble absolument pas la baisse d’activité dans d’autres. Nous sommes confrontés à une réduction d’activité de l’ordre de 30%.
Y a-t-il un effet de vases communicants ?
Non. Les raisons sont simples : les qualifications pour une mission de sécurité ne sont pas les mêmes pour une autre. Puis, la mobilité géographique n’est pas extensible. Et les plannings évoluent de jour en jour. D’un côté, nous avons des salariés en chômage partiel. Et, de l’autre, nous avons du mal à faire face à la demande d’effectifs supplémentaires. Ce problème s’est aggravé par les manques d’effectifs du fait des arrêts maladie, de quelques droits de retraits, de salariés gardant leurs enfants.
Avez-vous un message à faire passer aux donneurs d’ordre et aux directeurs de la sécurité ?
Oui. Tenir dans la durée nécessitera des adaptations et une compréhension des contraintes que nous vivons au jour le jour. Car, aujourd’hui, elles le sont plus dans cette crise inédite.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
(*) Direction des libertés publiques et des affaires juridiques
Commentez