Info.expoprotection.com – Jean-Marc Picard, vous êtes le fondateur et ancien président du forum sécurité Afnor et de la commission de normalisation sur la sécurité sociétale mais aussi enseignant et expert. Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne concrètement le processus de normalisation et qui peut y participer ?
Jean-Marc Picard – « Il faut tout d’abord souligner que les normes sont toujours le résultat d’un accord entre différentes parties. Plus il y a de parties, plus la norme est supposée complète et valable. Mais dans la plupart des cas, lors des travaux qui aboutissent à la naissance d’une norme, ne se rencontrent que quelques intervenants. La normalisation n’est donc pas totalement démocratique même si elle est ouverte à tous. Cette absence de certaines parties prenantes dans la norme s’explique par le fait que la participation aux travaux prend du temps et de l’argent. Seuls les plus riches et disponibles peuvent y participer. La normalisation est donc le résultat d’un consensus restreint. Par ailleurs, participent à des groupes de travail (working group ou WG) des personnes qui ne connaissent pas toujours le sujet. Trouver et financer des experts disponibles et compétents n’est pas simple. Enfin, il faut bien reconnaître que les débats sont parfois emprunts d’une certaine forme d’individualisme. Individualisme qui n’est d’ailleurs pas le propre de la France. »
Info.expoprotection.com – Quels sont les pays qui participent le plus aux débats ?
Jean-Marc Picard – « Les Anglo-Saxons et les Asiatiques, dont la Chine, participent activement. La participation chinoise est cependant très sélective. Ils sont capables d’envoyer plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’experts pour des travaux de normalisation concernant l’électronique, l’électrotechnique et même les tissus. D’ailleurs, le fait est assez rare pour être souligné : les Chinois ont un vice ministre de la Normalisation… »
Info.expoprotection.com – Est-ce que la normalisation est source de droit ?
Jean-Marc Picard – « Cela dépend des pays auxquels on s’intéresse. Dans le cas de la France, on peut distinguer – grosso modo – quatre possibilités. Dans un premier cas, la norme peut être imposée par des textes réglementaires. Dans un autre cas, la norme concerne le marquage CE. C’est ce qui se passe pour les EPI. Ce dernier cas est encadré par deux directives européennes sur la conception et l’utilisation des EPI. Dans ce cadre l’application du marquage CE est obligatoire et la conformité non obligatoire aux normes harmonisées constitue pour le fabricant une présomption de conformité aux exigences des directives justement développée pour aider à l’application des directives. La norme devient alors très incitative. L’EPI réputé conforme à la norme constitue un atout pour le fabricant. Une troisième possibilité résulte d’un contrat d’achat. Si la commande stipule au fabricant la conformité du produit à une norme, cette dernière devient obligatoire contractuellement. Enfin, au-delà des trois cas précédents, un magistrat peut être amené à assimiler la norme aux règles de l’art. »
Info.expoprotection.com – Quels sont les intérêts en jeu dans une norme ? Ceux des industriels qu’ils tentent de faire valoir par des actions de lobbying ? Ceux de l’Etat dans le cadre d’une politique de prévention ? Qui domine : les fabricants ou les Etats ?
Jean-Marc Picard – « Dans les faits, ce sont les fabricants, les lobbies et les organisations professionnelles qui dominent. Je l’ai déjà souligné : participer aux travaux normatifs coûte cher. D’où l’intérêt pour les fabricants de pouvoir mutualiser leurs moyens et s’appuyer sur des syndicats professionnels comme le Synamap, qui ont un rôle vital car ils peuvent envoyer dans les comités des experts solides et compétents, qui sont en contact permanent avec leurs membres et le marché. Cet aspect « expertise » est primordial. On ne peut pas se comporter en dilettante en matière de norme. Il faut être capable de suivre et de participer aux travaux pendant trois ou quatre ans. Cela représente un véritable investissement. Il faut que les fabricants comprennent que nous sommes passés d’une société où nul n’était censé ignorer la loi à une société où nul n’est censé ignorer la norme. Elle est partout : dans nos DVD, nos CD, nos ordinateurs Wi-Fi autre nom de la norme ISO 802-11, nos voitures, etc. »
Info.expoprotection.com – A qui s’adresse votre conférence sur Securivet ? Quels messages souhaitez-vous faire passer auprès des fabricants et utilisateurs ?
Jean-Marc Picard – « Je veux attirer l’attention des différents acteurs du marché des EPI, de la sécurité au travail, sur le fait que la norme est plus méconnue que contestée, et que c’est elle qui régit, en partie, le marché. On fabrique des produits pour le monde entier et le respect des normes (NF, CEN ou ISO) est un bon moyen pour s’ouvrir ces marchés. Par ailleurs, il faut bien comprendre que dans notre économie mondialisée où la concurrence est exacerbée, il faut économiser sur tout et en même temps être performant. Les spécifications des normes auront de plus en plus une vocation mondiale de performance et c’est au regard des exigences normatives que la concurrence se développera. Sans la norme, on risquera d’être exclu de fait de certains marchés. En outre, participer à la norme permet de savoir, plusieurs années à l’avance, ce que seront les spécifications techniques des produits de demain. La norme est, en ce sens, un véritable outil de l’intelligence économique. »
« Il y a des normes que l’on peut améliorer »
Dans le cadre de son activité d’auditeur pour les référentiels en sécurité tel MASE, Jean-Marc Picard a pu constater que certaines normes pouvaient être améliorées : « Dans le cas du marquage des gants, nous sommes confrontés à une véritable jungle. J’ai pu constater de nombreuses fois que des travailleurs ne savent pas reconnaître le type de gant qu’ils doivent utiliser. Il me semble important de clarifier le marquage des gants pour en faciliter l’utilisation. De même, en ce qui concerne les cartouches utilisées pour des masques pour des environnements sévères. Il faut avoir des connaissances très pointues pour être capable de lire les descriptifs et indications inscrits sur ces cartouches. Cela est souvent trop complexe pour des personnes qui n’ont pas le bagage scientifique nécessaire. Cela vaut aussi pour le bricoleur du dimanche. »
Colloque Securivet 2011 | Le lieu de rencontre des producteurs et utilisateurs de vêtements professionnels
– 29 juin. Les conséquences juridiques de la normalisation et des marquages.
Par Jean-Marc Picard, enseignant, expert, président de la commission nationale de normalisation et de sécurité.
> Le programme complet ici.
> Inscriptions ici.
Colloque Securivet 2011
28-29 juin
6, avenue du Docteur-Brouardel
75007 Paris
Renseignements : contact@securivet.fr
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