Mutuelle Chorum vient de publier un rapport d'étude qui aide à mieux appréhender ce qui peut porter atteinte à la santé des salariés, à court, moyen ou long terme.
L’économie sociale et solidaire (ESS) rassemble les entreprises qui cherchent à concilier solidarité, performances économiques et utilité sociale. Acteur économique de poids, l’ESS représente 10% du PIB et près de 12,7% des emplois privés en France, selon le ministère de l’Economie. Ce secteur compte environ 200.000 entreprises et structures et 2,38 millions de salariés. Il s’apprête à recruter 600.000 salariés d’ici 2020 dans pas moins de 70 métiers clés répartis dans les segments du lien social et familial, des aides, soins et services à domicile, de l’animation, des foyers, résidences sociales et services pour jeunes, du logement social, des missions locales et PAIO (Point d’Aide à l’Information et l’Orientation), de la mutualité de santé, du sport et du tourisme social et familial. Malgré leur aura sociétalement responsable, l’ESS rassemble bon nombre de métiers aux tâches physiques pénibles. Ce qui a poussé la mutuelle d’assurance santé Chorum à mener un rapport d’étude intitulé Comprendre et évaluer la pénibilité au travail dans l’ESS.
Définir la pénibilité au travail
Les auteurs du rapport, Younes Benhjab, Zoé Gallos, Magali Ollier et Emmanuelle Paradis ont commencé par définir la pénibilité au travail comme se caractérisant par une exposition à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé. Cette définition générale est une définition large, qui inclut des facteurs de risques variés (physiques, chimiques, psychosociaux…) en lien avec le travail. Selon cette définition, évaluer la pénibilité consiste à observer et analyser le travail pour comprendre ce qui, dans une situation donnée, très contextualisée, peut porter atteinte à la santé des salariés, à court, moyen ou long termes.
C’est la démarche à adopter lorsqu’on s’engage dans une politique de »prévention primaire ». Il s’agit donc de réduire les risques d’apparition d’atteintes à la santé, en agissant sur les causes de ces situations. Depuis les récentes évolutions législatives relatives au dispositif de retraite anticipée pour travaux pénibles (la loi du 20 janvier 2014 « garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » et celle du 17 août 2015 « relative au dialogue social et à l’emploi »), une nouvelle définition de la pénibilité a émergé. Tous les employeurs de droit privé, et donc de l’ESS, ont eux aussi l’obligation d’évaluer l’exposition de leurs salariés à certains facteurs de pénibilités reconnus, très précis et au regard de certains seuils d’exposition.
Ces facteurs de pénibilité sont déterminés par décret au titre des contraintes physiques marquées, des manutentions manuelles de charges, des postures pénibles définies comme positions forcées des articulations ou des vibrations mécaniques; De même, au titre de l’environnement physique agressif, ces facteurs concernent les agents chimiques dangereux y compris les poussières et les fumées, les activités exercées en milieu hyperbare, les températures extrêmes et le bruit. A cela s’ajoutent, au titre de certains rythmes de travail, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif caractérisé par la réalisation de travaux impliquant l’exécution de mouvements répétés, sollicitant tout ou partie du membre supérieur, à une fréquence élevée et sous cadence contrainte.
Objectif de la réglementation
L’objectif général de ces textes est de permettre aux salariés exerçant une activité pénible d’accéder à une réorientation professionnelle (droit à de la formation), une réduction temporaire du temps de travail ou un départ anticipé en retraite. Cette obligation d’évaluer l’exposition à la pénibilité s’incarne dans la mise en place du Compte personnel de prévention de la pénibilité ou C3P. Ce nouveau dispositif réglementaire d’évaluation de la pénibilité vise une réparation ou une compensation des atteintes à la santé, des risques de complications ou d’invalidité, en agissant sur les personnes concernées. Il s’agit davantage ici de réparation que de prévention au sens propre du terme.
ESS : des taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles élevés et en augmentation
Or la prévention des risques professionnels en général et de la pénibilité plus spécifiquement est un enjeu majeur dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Les salariés des structures de l’ESS sont de plus en plus contraints dans l’exercice de leur activité. Les données fournies par la CNAM-TS sur certains des principaux secteurs d’activité de l’ESS montrent des taux d’accidents du travail et de maladies professionnelles élevés et en augmentation. Les données recensées par Mutuelle Chorum sur les atteintes à la santé des salariés de l’ESS font également état d’une situation dégradée. En effet, l’analyse des absences au travail pour raisons de santé montre une augmentation progressive du taux d’absentéisme entre 2012 et 2014. Ces constats sont en lien avec ce que sont les champs d’activités de l’ESS : les évolutions du contexte (législatif, institutionnel, social) et celles des conditions de prise en charge du public (vieillissement de la population dû au papy boom, alourdissement des pathologies, de la dépendance, attentes plus consuméristes, etc.), le renforcement des contraintes budgétaires, expliquent une large part des difficultés auxquelles sont confrontées les structures de l’ESS.
ESS : au-delà des seuils définis pour le C3P
Dans le cadre d’une étude sur l’évaluation et la prévention de la pénibilité dans l’ESS, Chorum, via Cides, son centre de ressources et d’actions, a mené des observations et des entretiens auprès de structures volontaires du secteur médico-social, de l’aide et des soins à domicile et de la petite enfance. L’analyse de ces données a permis de relever de très nombreux éléments sur ce qui rend le travail pénible pour les salariés, au-delà des seuils définis pour le C3P. Bien que les salariés de l’ESS soient la plupart du temps non exposés à la majorité des facteurs de pénibilité pris en compte dans le C3P, leur santé est indubitablement exposée du fait de la nature des activités et des conditions de travail. Les observations réalisées par Chorum se sont focalisées sur plusieurs niveaux d’exposition à la pénibilité. A commencer par les manutentions et postures relevant du C3P. Suivies des manutentions et postures relevant de seuils inférieurs au C3P (en termes de poids, de postures ou de durées) mais pouvant porter atteinte à la santé. Vient ensuite l’exposition aux autres facteurs présents mais selon des seuils inférieurs à ceux du C3P (agents chimiques, bruit…) ainsi que l’exposition à des facteurs non pris en compte dans le C3P. Comme les contraintes organisationnelles, rythmes de travail, interruptions, charge de travail. Ou les difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie privée, contraintes…
Différencier les perceptions de pénibilité
Dans cette étude de 102 pages, les auteurs se sont appuyés à la fois sur des relevés systématiques et minutés des actions réalisées par les salariés observés, sur les éléments d’organisation du travail observés et interrogés et sur le ressenti des salariés sur leurs propres conditions de travail. Ils ont donc observé les pénibilités en regard de normes en vigueur (seuils d’exposition tels que pris en compte dans le C3P) mais également en regard de l’appréciation des individus qui réalisent le travail. Cette deuxième démarche privilégie l’évaluation faite par les salariés eux-mêmes de leurs conditions de travail pour révéler dans quoi s’incarne, pour ces derniers, la pénibilité du travail. Autrement dit les éléments qui constituent pour eux des facteurs de pénibilité du travail.
Cette démarche présente un double avantage : celui de révéler des appréciations parfois différenciées de la pénibilité vécue et celui de comprendre que ces appréciations sont le résultat de la superposition de facteurs multiples. En effet, tous les salariés n’ont pas la même tolérance aux conditions de travail : ce qui sera supportable pour les uns sera intolérable pour les autres. De plus, l’évaluation exprimée par un salarié se fonde à la fois sur des conditions de travail objectivables, et en comparaison avec des conditions de travail antérieures, mais également sur la reconnaissance matérielle et symbolique qu’il obtiendra en contrepartie de sa contribution (selon ses attendus). Sur la base de cette méthodologie, ce rapport d’étude propose d’apporter des éléments de compréhension et des repères sur l’exposition des salariés de l’ESS à des contraintes qui peuvent devenir des facteurs de risques pour leur santé.
Erick Haehnsen
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