Malgré les prophéties qui annonçaient un marché ''explosif'', le secteur du drone connaît des hauts et des bas. Face au drone grand public sur étagère, dont les fabricants connaissent des déboires économiques, se développent des start-up et des PME qui misent davantage sur des produits sur mesure et des prestations complémentaires. En attendant une véritable consolidation des acteurs, les fermetures d'entreprise se multiplient.
Depuis un an, les professionnels du drone s’attendent à un décollage à la verticale de leur marché, promis par une des rares études sur le sujet, à savoir celle du cabinet Oliver Wyman qui, publiée il y a tout juste un an, pronostiquait un chiffre d’affaires global de 652 millions d’euros pour 2025 en France, contre 155 millions d’euros en 2015. Un chiffre médian situé entre une hypothèse basse à 494 millions d’euros et une hypothèse haute à 824 millions d’euros. Ces chiffres sont à comparer au marché mondial qui, en 2015, s’élevait à 1,6 milliard d’euros. « Le segment des loisirs va arriver à maturité d’ici deux ans car de nombreux foyers auront fait l’acquisition de drones, expliquait Guillaume Thibault, un des auteurs de l’étude, associé Industrie chez Oliver Wyman. Quant aux usages professionnels, ils vont être portés par la digitalisation des process. »
Le marché grand public fait la grimace
Largement dominé en France par Parrot, le marché des appareils de loisirs devrait, selon Oliver Wyman, passer de 90 millions d’euros en 2015 à 190 millions d’euros en 2025. Tandis que le créneau des équipements professionnels est censé bondir de 65 millions d’euros à 461 millions d’euros (dont 276 millions d’euros pour les exploitants et 185 millions d’euros pour les constructeurs). Mais sur le terrain, cet optimisme ne recueille pas tous les suffrages. « Génie civil, sécurité, surveillance, inspection, logistique, médias… le marché se structure à son rythme. Il ne sera pas »explosif » mais, au contraire, très progressif, indique Moustafa Kasbari, PDG d’Atechsys, une start-up créée en 2007, appartenant depuis deux ans à un groupe qui rassemble le Centre d’études et d’essais pour modèles autonomes (Ceema), un centre de formation, une société de services, un centre de R&D, une société de production et de commercialisation. Le marché va néanmoins s’accélérer avec les drones autonomes que l’on verra émerger cette année. Mais, globalement, ma philosophie, depuis 2011, c’est : un drone, un usage. Il n’y a pas de drone universel. »
Parrot : la descente aux enfers
D’ailleurs, Parrot, le champion tricolore du drone grand public semble faire les frais d’une stratégie de produits »sur étagère » qui l’oblige à se confronter à la concurrence chinoise avec de produits à bas prix et à faibles marges. Début janvier, le groupe français a dû lancer un avertissement sur ses résultats pour le quatrième trimestre 2016. Dans le même temps, il a engagé un plan de réorganisation de ses activités dans les drones pour le grand public. Ce qui se traduira par une réduction de 290 personnes sur un total de 840 salariés, soit plus du tiers de ses effectifs, tant en France qu’à l’étranger. Dans l’Hexagone, 150 postes sont ainsi menacés. Le plan de réorganisation devrait coûter à Parrot près de 45 millions d’euros. Le groupe entend alors concentrer sa capacité d’innovation sur un nombre plus restreint de produits et redéployer son offre en s’appuyant sur ses drones professionnels dont l’activité continue, quant à elle, de progresser. Pourtant, un plan de cession de sa filiale Parrot Automotive a été annoncé. Il est actuellement en cours de discussion avec l’équipementier Faurecia. Lequel pourrait entrer au capital de Parrot Automotive, spécialisée dans la connectivité et « l’infotainment » pour l’industrie automobile, avec la possibilité d’en prendre progressivement le contrôle.
Cimetière de drones
Autre dommage collatéral, EOS Innovation, la start-up qui avait lancé la e-Vigilente, premier robot rondier pour les entrepôts logistiques, dans laquelle Parrot avait investi 1 million d’euros en mars 2014, est actuellement en cours de liquidation, selon le site societe.com. « Morale de l’histoire : il n’y a pas encore de marché pour la sécurité et la surveillance par drone », commente Moustafa Kasbari. EOS Innovation n’est pas la seule start-up à finir au cimetière des acteurs du drone. Citions aussi Avenir Drone (activité photographique) en jugement de clôture, Civic Drone (constructeur) en redressement judiciaire. En cours de liquidation : Sky Defense (surveillance de sites privés) et Sydair (prestation photographique). Autrement dit, les drones ne sont pas prêts de dézinguer pour chaque usage les hélicoptères, satellites et autres petits avions de surveillance. « Les marchés les plus faciles à prendre, c’est-à-dire l’agriculture, la photo, la vidéo et le cinéma, ont été pris. Désormais, ils sont asséchés, reprend Moustafa Kasbari. Il y a 10 ans, il fallait débourser 4.000 euros la journée de tournage avec drone. Aujourd’hui, on y accède à partir de 250 euros. » Autrement dit, ces prestations se sont »commoditisées » (elles sont devenues de simples commodités).
Défricher le marché des applications professionnelles
C’est l’une des raisons pour laquelle le secteur souffre cruellement de l’absence de contrats d’envergure de la part des grands donneurs d’ordres. Mais dans les prochaines années, les drones professionnels devraient enfin prendre leur envol. Harmonisation européenne des réglementations, mise en place d’un cadre réglementaire aux États-Unis (peut-être pour 2017), baisse des coûts des composants (capteurs, électronique embarquée, caméras…), amélioration des logiciels capables de fournir des diagnostics après enregistrement des données… « le marché civil en France pourrait représenter entre 25% et 40% du marché mondial en 2025 selon le développement de la réglementation et des applications professionnelles », indique le rapport d’Oliver Wyman. « Le drone n’est pas une technologie de rupture. Il reste complémentaire à ce qui existe déjà. Dans chacun des métiers où il peut intervenir, il apporte la productivité, la sécurité, la fiabilité ou le confort. Il peut aussi prévenir certains accidents du travail ou troubles musculosquelettiques, poursuit Moustafa Kasbari. En sécurité/surveillance de sites industriels, le drone peut remplacer deux agents de sécurité sur une équipe de cinq grâce à l’autonomisation du processus de surveillance et de levée de doute à distance ainsi qu’au taux de disponibilité du système. »
Des drones sur mesure basés sur des briques technologiques standard
Au-delà des grandes tendances, l’étude d’Oliver Wyman a le mérite de montrer quels usages professionnels sont appelés à se développer. Les médias ont été les principaux utilisateurs de drones. En 2015, ils représentaient plus de la moitié du marché français de l’exploitation (prestation de service). Mais le vent tourne. En effet, la sûreté et la surveillance linéaire des grandes infrastructures (réseaux d’énergie, lignes ferroviaires…) ainsi que la surveillance des sites industriels vont prendre le pas sur la thermographie (photovoltaïque, diagnostic énergétique des bâtiments…) et les inspections (notamment d’ouvrages d’art). Les usages liés à la police et aux douanes ainsi qu’à la sécurité civile devraient en revanche se réduire à la portion congrue, avec respectivement 3% et 2% de parts de marché. Dans ce contexte, les entreprises du drone ont intérêt à proposer des solutions personnalisées, ciblées sur un usage précis… mais sans avoir à réinventer la roue à chaque fois.
« Il faut standardiser les composants, les éléments que l’on va ensuite assembler dans le cadre d’une demande particulière pour en faire un drone sur mesure », conseille Moustafa Kasbari. Parmi ses éléments réutilisables, la start-up compte les systèmes d’hybridation du groupe motopropulseur kérosène/électrique (pour plus d’autonomie), les stabilisateurs de vol ou encore les logiciels de pilotage. « Nous ne vendons pas de drone »sur étagère ». Nous faisons comme les constructeurs automobiles : nous définissons le projet du client, puis nous sélectionnons les meilleurs composants technologiques sur le marché qui puissent répondre à la spécificité de la demande. Par exemple, nous n’allons pas réinventer les moteurs, précise Olivier Gualdoni, directeur général de Drone Volt, une PME créée en 1991 qui réalise 6,8 millions de chiffre d’affaires sur 2016 avec une quarantaine de personnes. De même, pour les caméras thermiques, nous prenons des Flir qui sait, bien mieux que nous, les concevoir et les fabriquer. En revanche, cela ne nous empêche pas de concevoir certaines pièces et surtout l’architecture générale du drone demandé. »
De nouvelles voies pour augmenter l’autonomie
« Le marché des drones de sécurité est principalement orienté vers de petits engins de faible endurance patrouillant sur de petites zones », observe Laurent Rivière, président de Sunbirds, premier constructeur à commercialiser un drone solaire de type avion, de moins de trois kilogrammes. Grâce à son aile solaire rechargeable de trois mètres d’envergure, le SB4-Phoenix peut patrouiller 8 heures d’affilées à une vitesse de croisière de 30 km/h. Il dispose aussi d’une batterie qui lui confère une heure d’autonomie pour revenir à sa base. Le suivi du drone sur PC se fait via une antenne radio au sol ayant une portée de 15 kilomètres. Ce qui le destine à la surveillance de grands espaces ensoleillés.
« Nous visons notamment le marché des grands sites industriels, des infrastructures énergétiques et des parcs protégés », indique l’ingénieur spécialiste des systèmes embarqués dans les satellites d’observation. Pour développer ce drone produit en France, 4 ans de R&D ont été nécessaires à Laurent Rivière qui compte trois personnes dans son équipe. « Nous sommes deux responsables à la R&D », rapporte ce spécialiste des systèmes embarqués qui a bénéficié du soutien de CEA Tech pour développer l’aile solaire. « Par ailleurs, nous avons bénéficié de l’appui financier du programme Cap Tronic, de BPIfrance et de l’Agence spatiale européenne auprès de laquelle nous avons bénéficié de quelques dizaines de milliers d’euros et d’une expertise technologique », soulève Laurent Rivière qui est entré en négociation avec des prospects basés essentiellement en Afrique, Asie et Moyen-Orient. Pour financer son développement commercial, le dirigeant est actuellement en phase de levée de fonds. Il espère récolter 500.000 euros principalement auprès d’investisseurs privés et d’industriels.
Toujours dans une quête d’autonomie, Drone Volt, qui vient d’achever le travail de conception de son Hercules 5 UF (Unlimited Flight), un système de drone dans une valise qui permet de déployer en quelques minutes un drone capable de voler de façon illimitée à la hauteur de 40m ou 80m, selon les modèles. Pour cela, un câble ombilic apporte l’électricité et la transmission de données en temps réel. « Ce sont des quadri ou octocoptères capables d’emporter une charge de 5, 10 ou 20 kgs. Sur ces plates-formes technologiques nous adaptons les outils que le marché nous demande. Nous avons ainsi commencé avec un spray pour nettoyer les toitures dans le bâtiment, détaille Olivier Gualdoni de Drone Volt qui, à l’instar d’Atechsys, tente de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur ajoutée en disposant d’un bureau d’études, d’une unité de fabrication des prototypes et des petites séries ainsi qu’un département de formation. Nous visons essentiellement deux marchés. Tout d’abord la surveillance ; à cet égard nos Hercules 5 UF vont tout juste commencer à être livrés dans les prochaines semaines. Puis, le marché du BTP avec des outils de spray. »
Tester des têtes de détection incendie par drone
Initiée fin août 2016 pour une durée de 2 ans, la collaboration entre Spie, le ténor des services pour l’énergie et les communications, et l’opérateur de drones Azur Drones, spécialiste d’imagerie technique, vise à développer un service de maintenance pour inspecter efficacement les 300 têtes de détection d’incendie qui équipent un site culturel sensible à Paris. Problème, la hauteur des salles de ce bâtiment est très élevée, de 15 à 18 mètres. Du coup, impossible d’utiliser une nacelle ou des perches. D’où l’idée de Spie Île-de-France Nord-Ouest et d’Azur Drones de concevoir un prototype de drone d’un mètre de diamètre, équipé d’un réceptacle et d’une bombe de gaz contrôlée à distance afin d’opérer les tests. Unique en France, cette solution par drone est donc née des difficultés à trouver un dispositif performant pour des salles de grande hauteur. Tandis que le drone présente l’avantage d’éviter aux salariés de Spie d’intervenir en hauteur. « Cette innovation n’est que le premier pas dans l’intégration des nouvelles technologies au cœur des métiers des systèmes de sécurité incendie, décrit Florian Vandamme, responsable d’activités de la sécurité des systèmes d’information chez Spie Île-de-France Nord-Ouest. Nous envisageons désormais de généraliser cette méthode au niveau national en la déployant sur d’autres sites. Elle pourrait d’ailleurs être utile dans d’autres corps de métiers nécessitant efficacité et rapidité. »
Vers le drone autonome
Mais c’est le drone de 3ème génération qui risque de récolter le premier les fruits de la R&D. « Nous sommes positionnés sur un marché en devenir. Le drone est loin d’avoir montré tout son potentiel, estime Moïse Rogez, PDG de la start-up Pixiel Security, créée en 2011, qui avec près de 40 salariés, réalise un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros dont elle investit la moitié en R&D surtout pour faire de son NeoSafe, un drone totalement autonome. « Avec l’autonomie, il s’agit de s’affranchir de l’expertise du pilote et de tout ce qui tourne autour de la mise en œuvre du drone : le sortir du camion, le brancher, notamment à l’hyperviseur de sécurité de l’entreprise, et le mettre en route. Pour ce faire, nous développons les technologies qui en font un robot volant, à demeure pour les sites industriels et les grands espaces. L’objectif vise donc à lui assigner des missions automatiques mais dont le contenu (horaires, trajets, retour pour la recharge…) est aléatoire, souligne Moïse Rogez. C’est cette rupture technologique qui va permettre au drone de se développer dans la sécurité. » Avec l’autonomie, Pixiel espère aider ses clients, essentiellement des sociétés privées de sécurité, à réduire leurs coûts et à augmenter leurs marges. « Nous pensons pouvoir multiplier leurs marges actuelles par un facteur 3 ou 4 », reprend Moïse Rogez.
Erick Haehnsen
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