L’alcoolisme et l’usage de produits illicites sur lieux de travail atteignent des chiffres inquiétants. Face à ce phénomène, qui peut mettre en danger la personne concernée, ses collègues mais aussi le public, le CCNE envisage la possibilité d’un dépistage dans le cadre professionnel.
Dans son avis n° 114, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE) revient sur les problèmes posés par la consommation d’alcool et de drogues sur les lieux de travail et sur les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre ces usages. Cet avis fait suite à une saisie du CCNE par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). Selon cette dernière, la « question de la toxicomanie ne concerne pas seulement les entreprises, mais l’ensemble des secteurs professionnels, y compris la fonction publique ». La MILDT souhaite donc que le CCNE « engage une nouvelle réflexion quant à la possible utilisation du dépistage de produits illicites en milieu de travail ».
Des chiffres inquiétants
Dans ce document, le CCNE revient sur les données concernant les consommations de produits illicites au travail. C’est sur la consommation d’alcool qu’on dispose du plus de données. On dénombrerait, en France, environ 10 millions de consommateurs réguliers (trois fois au moins par semaine). En outre, 5 millions de personnes auraient des problèmes médicaux, psychologiques ou sociaux liés à la consommation abusive d’alcool et 2 millions sont considérés comme dépendants. Un Français consommerait actuellement 12,5 litres d’alcool par an (contre 26 litres il y a trente ans). En ce qui concerne les risques en milieu de travail, on considère que « l’alcool est impliqué dans 10 à 20 % des accidents de travail déclarés ».
Concernant les données sur les produits illicites (cannabis, cocaïne, amphétamines, héroïne, etc.), il y aurait, selon la MILDT, 1 200 000 usagers de cannabis – dont 550 000 consommateurs quotidiens – et 250 000 consommateurs de cocaïne. Dans le cadre professionnel, « environ 10 % des salariés consommeraient régulièrement ou occasionnellement des produits illicites ; en premier lieu et très majoritairement, le cannabis (env. 8 %), puis la cocaïne, les amphétamines et – très peu – l’héroïne ».
Parmi les personnes au travail (actifs occupés), la consommation « serait très variable selon les catégories socioprofessionnelles : très faible chez les agriculteurs (2,7 %), elle atteint des pics chez les professionnels des arts et spectacles (17 %) et, à un moindre degré, dans l’hôtellerie-restauration. Elle est de l’ordre de 9 % chez les artisans, commerçants et chefs d’entreprises, de 7 % chez les cadres et dans les professions intermédiaires ». Comme le remarque la MILDT, les consommateurs les plus réguliers de cannabis sont les demandeurs d’emploi et les jeunes apprentis (respectivement 15 % et 19 %) contre 5,7 % chez les étudiants. Les femmes consommeraient moins que les hommes et l’entrée dans le monde du travail serait, « le plus souvent, l’occasion d’un abandon des pratiques de consommation du cannabis et de la cocaïne ».
Ajoutons à ces consommations à risques, l’usage abusif des médicaments psychotropes pour lesquels des études longitudinales, sur vingt ans, font apparaître que 6,1 % d’entre eux prennent un médicament psycho-actif, que plus de 50 % sont aussi des consommateurs réguliers d’alcool et que 10 % consomment de manière occasionnelle du cannabis.
Enfin, une étude de 2006 réalisée par M. Niezborala, et dont les résultats furent communiqués lors des Journées nationales de médecine et de santé au travail à Lyon, montre que 20 % des salariés ont recours à un médicament pour être « en forme au travail », que 12 % en prennent sur leur lieu de travail pour « traiter un symptôme gênant » et que 18 % en utilisent « pour se détendre au cours d’une journée difficile ».
Comment détecter les produits illicites
La détection des signes comportementaux liés à l’usage des produits illicites est difficile et relève des compétences médicales. Mais, comme pour l’alcool, il existe des tests commercialisés de détection.
Pour déceler les traces de ces produits illicites dans l’organisme on a recours à une immuno-chromatographies qui consiste à reconnaître un antigène, le produit, grâce à un anticorps le plus spécifique possible.
Les pratiques actuelles dans les entreprises
Comme le souligne le CCNE, les grandes entreprises sont généralement dotées d’un service propre de médecine du travail indépendant. Elles ont également « engagé une politique générale de prévention des risques, incluant une sensibilisation à ceux liés à l’alcool et aux produits illicites ».
Par ailleurs, dans certaines entreprises, les postes dits à risques peuvent justifier – en accord avec les textes légaux en vigueur – la mise en place dans le règlement intérieur de « dispositions autorisant des tests inopinés de détection d’alcool et de produits illicites par le médecin du travail ».
Il existe cependant une difficulté à définir précisément ce que recouvre l’expression de postes à risques. Car, comme le rappelle le CCNE, il « s’applique aussi bien à des postes où il existe pour le travailleur un risque particulier lié à la nature et aux conditions d’exercice de son travail et auquel une politique de prévention doit permettre de remédier. Mais les dangers liés à l’usage de l’alcool et des produits illicites concernent en réalité tous les postes comportant un enjeu de sécurité et exigeant donc une vigilance particulière » pour protéger le travailleur et ses collègues, les clients ou les usagers de l’entreprise. Le CCNE estime donc que l’expression « postes ou fonctions de sûreté et de sécurité » est plus appropriée. La définition de ces postes est donc difficile et variable selon les entreprises.
Dans un autre point de son avis, le CCNE rappelle qu’il dispose en matière d’usage d’alcool, de produits illicites et médicaments psychotropes de peu d’éléments d’information sur les petites entreprises, les PMRE et les TPE. Et ce, en raison de la pénurie des effectifs de médecins du travail.
Enfin, le CCNE insiste sur le fait que ces problématiques ne concernent pas uniquement le secteur privé, mais aussi la fonction publique pour laquelle les données disponibles sont encore plus « lacunaires ».
« Le dépistage serait acceptable » sous certaines conditions
En conclusion de son avis, le CCNE répond à la question de la MILDT sur la « possible utilisation du dépistage de produits illicites en milieu de travail » que le dépistage médical de l’usage de produits illicites en milieu de travail « est acceptable » à condition d’être « uniquement une intervention dérogatoire de la société dans l’exercice des libertés individuelles ». Ce dépistage serait souhaitable et justifié pour les postes de sûreté et de sécurité et devrait être élargi, pour ces mêmes postes, à l’abus et à l’usage d’alcool. Mais le CCNE souligne qu’une généralisation du dépistage reviendrait à banaliser « la transgression du devoir de respecter la liberté des personnes ».
Une telle mesure, si elle était appliquée, nécessiterait, en outre, que toute personne qui exerce un métier à un poste de sûreté et de sécurité requérant un haut degré de vigilance permanent devrait « avoir été préalablement et dûment informée qu’elle pourra faire l’objet d’un dépistage de prise d’alcool ou de produits illicites ». Les justifications lui ayant été clairement exposées.
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