Depuis une quinzaine d’années, vous suivez l’évolution technologique du secteur de la vidéosurveillance. Notamment en ce qui concerne les problématiques de transmission et de stockage des images vidéo. Pour ces prochaines années, vous prédisez la généralisation de la »vidéoprésence ». Qu’entendez vous par ce concept ?
A la faveur de la miniaturisation des capteurs vidéo, on assiste à une explosion d’objets mobiles intégrant une caméra que l’on embarque dans la voiture ou que l’on porte comme un accessoire. A l’image des lunettes connectées que portent les sportifs afin de partager les images en temps réel avec d’autres utilisateurs. Reliés à des enregistreurs mobiles, ce type d’accessoires intéresse notamment les forces de l’ordre et de sécurité. D’ailleurs, le gouvernement a prévu d’équiper les forces de police avec 4.500 caméras piétons portées au niveau du torse afin d’avoir un effet dissuasif et d’apaiser les tensions. Les policiers pourront décider ou non d’enregistrer les images. Dans ce cas, ces images représenteront à l’échelle d’un mois près de 3 Po (Peta-octets, soit 3.000 Tera-octets). L’explosion de ce volume d’images vidéo va nécessiter un système de stockage non seulement capable de tout enregistrer mais aussi capable de restituer efficacement les enregistrements. Dans ce cadre, le rôle du système de stockage va devenir pivot et reléguer le réseau au plan de commodité. Avec ce nouveau paradigme, nous allons voir émerger une vidéosurveillance mobile reposant, entre autres, sur des caméras piétons portées par la police tandis que les caméras fixes comme source de vidéo de sécurité seront ultraminoritaires.
Mais ce contenu vidéo est-il déjà accessible en temps réel ?
Pour l’heure, exception faite de certains drones équipés de systèmes de transmission qui permettent de voir les images en direct et de piloter l’engin, les images ne sont accessibles qu’en différé. Mais on peut penser que, d’ici ces 5 prochaines années, le réseau mobile 4G+ puis 5G acheminera l’essentiel des images provenant de caméras mobiles jusqu’au centre de supervision urbaine (CSU). La vidéo mobile deviendra alors une solution alternative aux réseaux filaires pour le raccordement des caméras fixes.
Quel sera le rôle dévolu au superviseur des CSU ?
Dans ce contexte, il ne sera plus le spectateur d’événements mais le coordinateur de la couverture vidéo. Il assurera la convergence des opérateurs les mieux placés vers les zones sensibles. Cette stratégie peut être associée aux applications de police prédictive qui consistent à anticiper par analyse statistique les situations et des zones à risque.
Quels sont les freins techniques à surmonter ?
Pour autant, ce scénario nécessite de lever un certain nombre d’obstacles qui concernent notamment l’insuffisance de la couverture et la multiplication des sources à gérer. Ce qui nécessite d’assurer la résilience d’un réseau hertzien capable de relier tous les éléments de ce système. Mais aussi de développer une infrastructure serveur capable de gérer l’enregistrement et l’analyse de l’ensemble des sources vidéo. Cela nécessitera aussi de développer des algorithmes pour analyser systématiquement les flux vidéo et de corréler les informations extraites dans des systèmes de prévention situationnelle.
En quoi cette nouvelle architecture va-t-elle révolutionner la vidéosurveillance ? Et quelle sera la place des sociétés de sécurité privées.
Un tel système se trouve aux premières loges pour participer à l’anticipation et à la gestion des crises avec une dynamique et une capacité d’adaptation qui dépassent de loin celles des grands systèmes actuels de vidéosurveillance. Les sociétés de sécurité privée, si la loi le leur permet, peuvent jouer un rôle prépondérant en équipant leurs forces d’intervention avec des équipements interopérables avec les systèmes des pouvoirs publics. Ainsi assisterons-nous à une multiplication des capteurs provenant des smartphones et drones mais aussi celles de caméras domestiques, caméras portables ou embarquées dans les voitures personnelles et dans les véhicules de police. Il faudra ajouter à cette liste les caméras portées sur les robots qui ne manqueront pas dans les 15 années qui viennent de se doter des capteurs nécessaires à leur intégration dans notre quotidien. La co-production de sécurité entre l’Etat et les sociétés de sécurité privées pourrait se doubler d’une possible ubérisation. Garant de la sécurité intérieure, l’Etat doit donc anticiper deux dimensions stratégiques : d’abord continuer à encadrer strictement les métiers de la sécurité privée mais aussi déployer des plate-formes technologiques certifiées comme tiers de confiance dans les échanges vidéo liés à la sécurité.
Eliane Kan
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