Gérer les risques
Aujourd'hui et demain

Sûreté et sécurité

Dominique Legrand, président de l'AN2V : « Vidéoprotection : il faut placer l'année 2017 sous le signe du temps réel »

Dans la série ''Bilan 2016-Perspectives 2017'', le président de l'Association nationale de la vidéoprotection (AN2V) nous rappelle les faits importants qui se sont déroulés l'an passé. Il nous fait aussi part de ses souhaits pour 2017.

Quel bilan tirez-vous de l’année 2016 ?
Il y a eu un événement majeur en France : l’Euro 2016. Fort heureusement, tout s’est très bien passé. Nous avons pu constater une énergie positive concernant la convergence de la police nationale, de la gendarmerie nationale, de la police municipale et des forces de sécurité privées. C’est une véritable réussite ! A cette occasion, il y a eu également des travaux communs en matière de technologies avec des systèmes éphémères de vidéoprotection. Il sera intéressant de reproduire ce cycle pour tous les grands événements : le 14 juillet, les marchés de Noël, le Vendée Globe, le salon de la BD d’Angoulême, les festivals de musique qui se déroulent l’été dans toute la France…
Mais, dans tous les événements populaires, la menace est-elle la même ?
Oui et les dispositifs sont également les mêmes. Mais cette année, il faudra passer de la 2D à la 3D !
Qu’entendez-vous par là ?

D’ailleurs, les processus actuels de prévention et de protection contre le terrorisme sont de mieux en mieux rodés du point de vue de leur organisation, de leurs moyens et de leur qualité. Mais le jour où un drone larguera une grenade dégoupillée dans une foule, il ne faudra peut-être pas tout changer mais traiter ce point faible. La menace nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) par drone est à prendre en compte. Il y a quelques années, la chancelière allemande, Angela Merckel, souriait lorsqu’un drone est venu la saluer et la prendre en photo. Aujourd’hui, ce serait interprété immédiatement comme une menace…
Que faire contre la menace NRBC par drone ?

En 2016, les forces de l’ordre se sont déployées à marche forcée dans la lutte anti-drone. Il y a eu des achats d’équipement et quatre types de riposte sont envisagés. Tout d’abord, le brouillage des ondes pour reprendre le contrôle du drone. Puis vient le drone qui jette un filet sur le drone ennemi afin de le neutraliser au sol. Ensuite, il y a le drone kamikaze qui, à l’instar d’un missile, va percuter le drone ennemi pour le casser. Ce procédé peut éventuellement servir à faire exploser en vol la bombe transportée par le drone menaçant. On se sert aussi d’aigles spécialement dressés pour aller prendre le contrôle d’un drone. Ce qui est très efficace. En revanche, les représentants des forces de l’ordre ne peuvent prendre leur arme de service ou un fusil pour abattre un drone. En effet, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) interdit aux forces de l’ordre de tirer en l’air avec un fusil car cela pourrait blesser des personnes ou atteindre des aéronefs.
L’Euro 2016 a été une réussite mais l’attentat de Nice, le 14 juillet, a révélé de graves failles dans notre système de sécurité…
Il y a deux sortes de menace terroriste. La première est très rapide et ponctuelle. je pense à l’assassinat du père Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray (76) ainsi que le double meurtre à Magnanville (78) du commandant de police Jean-Baptiste Salvaing et de sa compagne, Jessica Schneider, agent administratif au commissariat de police de Mantes-la-Jolie. Face à cette menace, très difficile à prévoir et à contenir, on ne peut pas faire grand chose. Sauf peut-être apprendre à se battre… Puis il y a les phénomènes de grande ampleur comme le 13 novembre 2015 au Bataclan ou le 14 juillet 2016 à Nice… A cet égard, la société française ne supporte plus le  »On ne peut rien faire ». En ce qui concerne l’attentat de Nice, on se rend compte qu’il faut systématiser et industrialiser l’écoute des  »signaux faibles » dans un contexte éthique irréprochable. A Nice, le travail des forces de l’ordre a été un échec. Il faut en tirer les conséquences.
Vous mettez souvent en avant le modèle  »Avant »- »Pendant »- »Après ». Quel commentaire y apportez-vous ?
Ces trois temporalités sont liées à la prévention, l’action et l’élucidation liées à un acte de terrorisme ou de délinquance. A Nice, on a raté  »l’Avant ». Quant au  »Pendant », il n’a duré que 30 secondes. C’est très court. Aujourd’hui, il y a une pression de la part des citoyens pour que l’élucidation passe de  »l’Après » au  »Pendant ». Et si la protection doit se rapprocher du top départ du « pendant » de l’acte malveillant, c’est qu’il faut basculer vers l’avant, vers le renseignement, donc vers les outils de prédiction. Il faut reconnaître que le dispositif des 800 caméras dôme de vidéosurveillance n’a pas été capable d’éviter les 86 morts de Nice. Normal, ces dispositifs ne sont pas prévus pour faire du prédictif. La vidéoprotection reste un excellent outil d’élucidation (sur l’après) mais elle ne sert à rien sur le « pendant ». Il eût peut-être fallu placer un bloc de béton de 5 tonnes pour empêcher le camion d’emprunter la Promenade des anglais.
Comment prendre en compte ces fameux  »signaux faibles » ?
A Nice, le camion blanc, qui avait été loué 15 jours auparavant, était passé 5 fois à vide sur la Promenade des anglais. On aurait pu se demander ce qu’il faisait là. On y serait parvenu en recoupant les informations de remontées de lecture des plaques minéralogiques. Mais ce n’est pas dans les attributions de la police municipale. A ce sujet, nous avons créé un groupe de travail sur le Contrôle automatique des données signalétiques des véhicules (CADSV). Il s’agit, par exemple, de repérer une Audi 6 noire qui porte les plaques d’une Twingo jaune. Aujourd’hui, les algorithmes embarqués dans les caméras savent déjà reconnaître le modèle et l’âge d’un véhicule. Il faut aussi savoir qu’une caméra thermique est déjà capable de lire les plaques d’immatriculation dans toutes les conditions d’éclairage et de météo comme les radars vitesse. On peut aussi installer, en parallèle, une deuxième caméra couleur qui voit la Twingo jaune ainsi que les personnes qui sont à l’intérieur. Pour moi, cette information doit remonter en temps réel aux forces de l’ordre. mais il faut adapter la réglementation.
Justement, où en est l’évolution de la réglementation ?
Les municipalités qui le souhaitent peuvent d’ores et déjà passer une convention avec les forces régaliennes afin de leur transmettre en aveugle au fil de l’eau les données signalétiques. Et si les forces régaliennes font un recoupement positif, elles pourront demander à la borne CADVS d’envoyer les 5 ou 10 secondes d’images vidéo qui les intéressent. Le tout avec un simple réseau 3G ou Edge.
Qu’est-ce qui bloque ?

L’État n’est pas prêt à recevoir tous ces flux. Aujourd’hui, les 100.000 caméras dômes sur la voie publique ne voient pas les plaques la nuit car elles sont éblouies. Les images sont stockées sur des disques durs que personne ne lit jamais. La vidéoprotection sert essentiellement en élucidation.
Mais l’AN2V n’a-t-elle pas créé un groupe de travail sur le CADVS ?

Si, bien sûr, fin 2016. Ce groupe d’une vingtaine de personnes s’est déjà réuni deux fois. Il ne reste plus qu’à finaliser un document avec les forces de l’ordre, la Cnil, les constructeurs, les intégrateurs, les municipalités et les collectivités locales. Ce document en est à sa version 5. Il sera finalisé avec sa version 7 ou 8. Cette année, un nouvel arrêté technique sur la vidéoprotection des espaces publics devrait donc remplacer celui de 2007.
Êtes-vous confiant ?
Oui car les données à caractère personnel ne sont pas envoyées au maire mais vers une plate-forme étatique. A partir de ce moment, il sera possible de comparer la plaque d’immatriculation de la voiture qui passe devant la caméra avec le fichier de voitures recherchées. Il suffit d’un tout petit serveur. Mais cette machine pourrait être redoutablement efficace d’autant que l’on peut hiérarchiser le traitement des 100.000 voitures volées qui vont faire biper le système. En clair, il sera plus facile de traquer les véhicules à surveiller. Le même procédé est également capable de fonctionner pour les sites Seveso ou les Organismes d’importance vitale (OIV).
Qu’espérez-vous pour 2017 ?
2017 : j’espère qu’il y aura une Lopsi 3 (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) qui prendra cela en compte. J’appelle de mes vœux les candidats à l’élection présidentielle à s’intéresser à la problématique de l’information temps réel pour la prévention de la menace terroriste et de la délinquance. Autrement dit, je plaide pour le temps réel. Et n’allez pas croire qu’il n’existe pas de solution, qu’on en peut rien faire. En 2017, on peut aller très loin grâce à l’intelligence artificielle, au Big Data, à la l’analyse des signaux faibles, au Machine Learning pour ne pas passer à côté de l’image vidé ou du son à reconnaître. Par exemple, on pourrait détecter le bruit d’une Kalachnikov en temps réel et prendre immédiatement les mesures adaptées. L’idée, c’est de tuer l’efficacité de l’acte d’attentat, refermer le jeu le plus vite possible autour du malveillant… On a des outils et des idées.
Quel bilan dressez-vous de l’action de Bernard Cazeneuve à l’époque où il était ministre de l’Intérieur ?
Il a accompli un excellent travail. Il a compris qu’il fallait restructurer la filière du renseignement. Il a notamment créé le Comité de la filière industrielle de sécurité (CoFIS) et le Conseil des Industriels de la confiance et de la sécurité (Cics) dont l’AN2V va être membre.

Propos recueillis par Erick Haehnsen

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