Face à l'ubérisation et aux produits connectés de sécurité vendus sur Internet, les distributeurs, intégrateurs et installateurs sont remis en cause. Voire éjectés du marché. Parmi les solutions envisagées, citons la moralisation du secteur grâce à un projet de carte professionnelle qui serait gérée par le Cnaps. Autre piste pour les intégrateurs et les installateurs : des formations certifiantes, gages de qualité. Mais la voie royale s'ouvre sur l'innovation épaulée par une solide stratégie marketing et commerciale.
Sous la menace des produits Do it Yourself (DIY), qu’on installe soi-même, les installateurs-intégrateurs de systèmes de sécurité (détection d’intrusion, vidéosurveillance, contrôle d’accès) pour le petit tertiaire et le résidentiel s’arrachent les cheveux. A côté des systèmes de détection de détresse des personnes âgées vivant à domicile, les Telcoes (géants de télécoms), les banques et les assurances leur mangeaient déjà la laine sur le dos en commercialisant, depuis quelques années, des packs de sécurité. Fonctionnant sans fil au travers des box d’accès à Internet, ces packs sont généralement conçus pour être installés par l’utilisateur et gérés à partir d’une application mobile dans le Cloud. A présent, le niveau de concurrence monte non pas d’un étage mais d’un gratte-ciel, avec le débarquement des mastodontes du numérique sur le marché de la sécurité. De véritables rouleaux compresseurs pour les intégrateurs-installateurs et distributeurs. Car ils distribuent leurs produits, certes dans des grandes surfaces spécialisées, mais surtout par e-commerce. A commencer par Google-Nest.
Alerte à l’ubérisation des installateurs
« Google et consorts veulent nous réduire à de simples poseurs de seconde zone. Nous nous sentons totalement dépossédés de notre marché chez nous », explosait un artisan lors des Journées professionnelles de la construction organisées par la Confédération des artisans et petites entreprises du bâtiment (Capeb) en avril dernier à Paris, Porte Maillot. « Jusqu’ici, nous avions un rôle de distributeur. Ce qui nous permettait de faire de la marge sur les équipements à installer chez les clients. C’est fini ! Car le client achète lui-même ses équipements sur Internet ou en grandes surfaces spécialisées ouvertes au grand public. Nos marges fondent comme neige au soleil », s’attristait un autre artisan.
Bref, avec le DIY, les objets connectés et les applications mobiles, il y a péril en la demeure pour bon nombre d’artisans. Selon une étude de Xerfi, la domotique connectée (sécurité, chauffage…), qui concerne non seulement le résidentiel mais aussi le petit tertiaire, pèse 240 millions d’euros pour 2016 en France. Côté tendances, le grand public n’identifie l’électricien-installateur qu’en 8ème position dans le panel des acteurs du Smart Home, loin derrière les « Gafa » (Google, Apple, Facebook, Amazon). « II y a le feu ! Notre filière pourrait disparaître ! », soulève Christophe Bellanger, président de l’Union nationale des artisans UNA-3E (Équipement électrique et électronique).
Un danger avant tout pour le client
Si la menace est réelle, il convient cependant, de distinguer le marché du résidentiel de celui du petit tertiaire. « En résidentiel, les occupants peuvent installer ce qu’ils veulent mais, en petit tertiaire, les installations de sécurité doivent être réalisées par un professionnel qui dispose d’une habilitation électrique, sous peine de se mettre dans l’illégalité, avertit Stéphanie Tucoulet, secrétaire générale du SVDI, le syndicat de la Sécurité Voix Données Images. Ensuite, il convient aussi de connaître la loi : l’exploitant doit demander une autorisation préfectorale pour filmer sur la voie publique, sauf s’il a affaire à un installateur certifié. Il faut aussi faire une déclaration à la Commission nationale Informatique et Libertés (Cnil). Par ailleurs, l’exploitant n’a logiquement pas le droit de visionner ce que ses caméras ont filmé. Pour visionner les bandes, il faut être assermenté ou agir sur réquisition. » Autrement dit, mieux savoir où on met les pieds. Et la secrétaire générale du SVDI enfonce le clou : « Le cambrioleur peut pirater l’application du système de sécurité DIY et pénétrer le local professionnel de l’exploitant ou de l’habitat de la personne privée avec un simple smartphone. Il va alors déconnecter les caméras. Il n’y aura donc ni effraction ni alarme… »
Une qualité de service parfois défaillante
Problème : pour être électricien, aucune obligation légale n’est requise. Du coup, pour les chefs d’entreprise, difficile de séparer le grain de l’ivraie au sein des intégrateurs-installateurs. En outre, « c’est le bureau d’études (BE) qui, en général, donne les ordres. Or une majorité d’entre eux est mal formée. Chacun peut s’installer en tant que BE sécurité comme il l’entend, dénonce Dominique Legrand, président de l’Association nationale de la vidéoprotection (AN2V). Certes, il existe des certifications volontaires auprès de Bureau Veritas certification et du Centre national de prévention et de protection (CNPP) mais aucune certification ni aucun ordre professionnel des BE de sécurité-sûreté ne sont obligatoires. De plus, 90% des BE sont unipersonnels. Certains grands bureaux vendent la journée d’ingénieur à 800 euros. Tandis que les auto-entrepreneurs la rabaisse jusqu’à 100 euros ! Bien sûr, on ne peut pas empêcher les clients d’acheter de la mauvaise qualité. »
Une carte professionnelle pour moraliser la profession
« C’est la raison pour laquelle le SVDI, via son président Philippe Blin, revendique la mise en place d’une carte professionnelle pour la mise en service et la maintenance de la vidéosurveillance qui serait gérée par le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps). En effet, aujourd’hui, les entreprises clientes n’ont aucune garantie que l’installateur-intégrateur n’a pas de casier judiciaire », ajoute Stéphanie Tucoulet.
Rappelons que, grâce au Cnaps, le secteur des entreprises privées de sécurité s’est considérablement moralisé. Or le SVDI semble poursuivre le même but. A cet égard, le syndicat de la Sécurité Voix Données Images a entamé des pourparlers avec le Cnaps et espère entrer en discussion avec Philippe Alloncle, le nouveau préfet du délégué aux coopérations de sécurité. « Pour commencer, notre demande auprès du Cnaps ne porte que sur la vidéosurveillance, sachant que celle-ci fédère la mise en service d’autres systèmes comme le contrôle d’accès et la détection d’intrusion », précise Stéphanie Tucoulet.
Pour anticiper l’accompagnement de ce mouvement de fond, le SVDI travaille d’ores et déjà avec l’Union des industries et des métiers de la Métallurgie (UIMM), la Fédération française du bâtiment (FFB), la Fédération française des entreprises de génie électrique et énergétique (FFIE). Objectif pour 2017 : mettre en place un Certificat de qualification professionnelle inter-branche (CQPI) pour les installeurs de vidéosurveillance.
L’urgence de créer de la valeur
Le projet de carte professionnelle dûment contrôlée par le Cnaps et la formation certifiante vont certainement accélérer le développement de la qualité des prestations. Mais reste la question :f ace au DIY et à l’ubérisation, que faire ? « Créer de la valeur et apprendre à mieux se vendre ! », suggère Christophe Bellanger de l’UNA-3E. Autant dire qu’on en est très loin ! Face à cela, certains distributeurs font eux-mêmes évoluer l’offre. En témoigne Avidsen, une PME basée à Tours (Indre-et-Loire) qui réalise un chiffre d’affaires européen de 30 millions d’euros avec 70 salariés. « En 1998, nous avons démarré dans le négoce de produits pour la motorisation de portails. Nous achetions nos produits en Italie pour les revendre à la grande distribution. Ensuite, nous avons intégré un département de recherche & développement (R&D), de 10 personnes aujourd’hui qui nous a permis d’élargir notre offre aux portiers vidéo et aux interphones. Nous avons pu ainsi nous positionner sur les créneaux de la sécurité, de la gestion thermique et du confort, retrace Alexandre Chaverot, président Avidsen. Vers 2010, nous avons unifié notre offre au sein de l’écosystème de l’habitat intelligent et connecté. Nous avons ainsi créé un protocole radio propriétaire (capable de dialoguer avec les protocoles Enocean, Lora, Sigfox, Zigbee et Zwave) qui communique avec l’ensemble de nos produits et avec des télécommandes intelligentes avec écran. Nous avons aussi élaboré des scénarios de mode de vie pour le utilisateurs. »
Résultat, les ventes de la PME explosent. « Eiffage, Vinci, Darty, Bouygues Construction, Telcos français et européens… pour chaque client, nous adaptons à la vision du client le package des protocoles au dernier moment dans la carte électronique de notre Box. Quitte à intégrer son protocole propriétaire », poursuit Alexandre Chaverot qui a exposé cette année au Consumer Electronic Show de Las Vegas. En ajoutant de la valeur, Avdsen est donc devenue un industriel »Fabless », c’est-à-dire sans usine. « Tous nos produits sont fabriqués en Tunisie, Chine, Israël et Slovénie. En France, nous sommes distribués par Amazon, BBJ, Brico Dépôt, Brico Marché, Bricoman, Castorama, Cdiscount, Cofaq, Darty, eTailer, la Fnac, Leroy Merlin, Les Briconautes, Monsieur Bricolage, Ventes privées… En Allemagne par Bauhaus, Globus, Hornbach et Obi, détaille le président d’Avidsen qui, outre les brevets eurpéens déposés et la protection des designs auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), n’a pas ménagé ses efforts en marketing et communication. Les produits ont un packaging carton sur-blistérisé avec une charte graphique clairement identifiable bleue et blanche qui offre une valeur perçue haut de gamme. Puis, par exemple chez Leroy Merlin, nous installons des panneaux de publicité sur le lieu de vente (PLV) pour chacun de nos 20 produits dans 120 points de vente. Un effort à personnaliser pour chaque enseigne ! »
Appuyer son envol sur des navires amiraux
Ancien président démissionnaire de Psion, Jacky Lecuivre a rebâti en 2009 une nouvelle société, Coppernic, pour proposer des solutions de haute couture dans l’informatique professionnelle pour le contrôle et la traçabilité au service de la sécurité des biens et des personnes mobile, à partir de plates-formes non seulement de Psion mais aussi de Honeywell, Motorola ou autres.
« Nous avons ainsi conçu des terminaux mobiles dédiés au contrôle des titres de transport dans les transports collectifs, à la sécurité sanitaire dans l’élevage, à l’authentification des documents d’identité de nouvelle génération (passeports, cartes d’identité, visa, permis de conduire biométriques), et au contrôle d’accès mobile très sécurisé grâce à l’intégration de la technologie iCLASS/ SEOS de HID, précise l’entrepreneur de 64 ans qui s’adosse aux grands intégrateurs qui, après avoir testé et comparé ses produits, les intègrent à leur offre comme la composante mobile de projets globaux auxquels ils répondent. Dans le domaine du contrôle d’identité sécurisé, nous distribuons notre terminal C-One e-ID à Atos, Gemalto, Morpho, Sopra-Steria ou ID Software aux États-Unis et à Point X en République tchèque. Dans le secteur des transports publics, nous travaillons avec VIX Technologies, Parkeon, Xerox ou Thales Transports… »
Grâce à ce modèle économique, Coppernic profite de l’incroyable force commerciale directe ou indirecte et des réseaux de ténors de l’intégration et de la gestion de macro-projets pour promouvoir et vendre ses propres produits et solutions. Réciproquement, ces mêmes ténors intègrent aux terminaux de Coppernic leurs logiciels, robustes et éprouvés, qui permettent aux clients finaux d’en tirer la quintessence. Une voie à suivre.
Erick Haehnsen
Bétonner les contrats et savoir rester indispensable
Innover et se faire distribuer par de grands intégrateurs reste assurément une stratégie de choix qui doit s’appuyer non seulement sur la qualité des produits et des processus de management mais aussi sur la protection de sa valeur ajoutée. En témoigne, amèrement, Eric Guindou, gérant d’EGSI, une TPE spécialisée dans la conception d’installation de systèmes de vidéosurveillance et de systèmes de sécurité globale sur réseaux Security over IP (SoIP). En 2006, la société accouche du concept très innovant pour l’époque de Sécurité haute résolution intelligente (SHRI). EGSI intègre notamment le Vidéo Management System (VMS) de SeeTech et les caméras d’Axis Communications. Elle y adjoint de nombreux algorithmes de sécurité (lecture de plaques d’immatriculation, détection de visafge, tracking de cibles, alerte de franchissement de zone…) collectés auprès d’éditeurs au Japon, en Allemagne et en Italie. Il en résulte une recette cousue qui convainc un ténor du CAC40.
Sous les conseils d’EGSI, celui-ci décide, à partir de 2016, de moderniser 80 sites par mois pendant plusieurs années. Un pactole en vue pour la TPE ! Hélas, le maître d’ouvrage exige, pour des raisons d’assurances et d’assiette financière, de confier l’ensemble de ce projet à un intégrateur, filiale d’un grand constructeur japonais d’ordinateurs. Lequel réalise ainsi un chiffre d’affaires de 650 millions d’euros en 4 ans. Il utilise officiellement la recette SHRI d’EGSI mais sans la rémunérer. « Je me suis fait avoir par l’intégrateur qui n’a jamais signé d’accord cadre. Du coup, je conseille à mes confrères intégrateurs qui se positionnent sur des marchés à très forts potentiel d’être très prudents, confie Eric Guindou. Surtout si l’on vous fait miroiter des accords-cadres qui n’arrivent jamais. La combativité est alors la clé de leur salut pour faire reconnaître leurs droits. »
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