Les questions de sécurité sont aujourd'hui au cœur des préoccupations des entreprises internationales et de leurs directeurs de sécurité...
La mondialisation impose aux entreprises de nouvelles formes de mobilité aux entreprises et à leurs salariés. Cette tendance – économiquement souhaitée – est malheureusement source de nouveaux risques : prises d’otages, terrorisme international, vol de données sensibles, environnement juridique instable et parfois complexe, corruption, etc. Dans un tel contexte, les questions de sécurité sont donc plus que jamais centrales pour les entreprises et leurs dirigeants. Dans le monde actuel, la notion de risque en elle-même est devenue inacceptable. Le principe de précaution est inscrit dans la Constitution française. A chaque drame, il faut sont responsable… Risque inacceptable donc. Mais aussi risque accru. Le développement économique mondial est une source d’opportunités pour les entreprises. Elles s’étendent et conquièrent de nouveaux marchés. Cette extension les rend aussi plus vulnérables. Elle accroît les risques. D’autant plus qu’une action terroriste d’envergure, par exemple, ne requiert pas des moyens financiers énormes : l’organisation et la réalisation des attentats du 11 septembre auraient coûté aux terroristes la somme de 100 000 dollars environ…
Le 5 décembre dernier, le Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE) réunissait ses adhérents et des professionnels de la sécurité concernés par ces nouveaux enjeux. Cette journée avait plusieurs objectifs. D’une part, permettre de comprendre comment les entreprises se sont organisées pour faire face à ces nouveaux défis ? Quels sont les partenaires avec lesquels elles peuvent collaborer ? La sécurité est-elle un avantage pour les entreprises et groupes internationaux ? Et d’autre part, tenter de faire mieux connaître les missions des directeurs de sécurité au moment où elles évoluent et se transforment dans ce contexte de mondialisation économique.
Développement à l’international : risques et responsabilités
Les entreprises doivent désormais assurer la sécurité de leurs salariés à l’étranger, la protection de leur environnement. Autant de nouvelles responsabilités pour les entreprises et de nouvelles obligations.
« Trois piliers expliquent la croissance d’une entreprise, rappelait Clara Gaymard, PDG de General Electric France. L’innovation – qui bien que toujours nécessaire n’est plus suffisante – le capital, les salariés. A ces piliers s’ajoute la sécurité. Elle est aujourd’hui un réel plus que les entreprises peuvent proposer à leurs collaborateurs ».
Pour que cette sécurité soit efficace, elle doit découler d’une analyse sérieuse des risques, de leur connaissance. Pour expliquer concrètement ce que recouvre la responsabilité des entreprises en matière de risques à l’étranger, Maître Vincent Caron, avocat du Cabinet Fidal, s’est appuyé sur l’exemple de l’attentat de Karachi qui le 8 mai 2002 a fait 14 quatorze victimes, dont onze Français de la DCN (Direction des constructions navales) chargés de construire un sous-marin de type Agosta au Pakistan. La DCN a été jugée coupable d’avoir minimisé les risques que prenait sur place son personnel. « Pour justifier sa décision, le juge a considéré que tout accident qui survient pendant la durée de la mission, même un attentat, est considéré comme un accident du travail, explique l’avocat Vincent Caron. Cette décision peut paraître sévère car pour la DCN un attentat terroriste pouvait être considéré comme un cas de force majeure. Elle pouvait ainsi s’exonérer de sa faute. La justice a considéré que la DCN avait commis une faute pour avoir minimisé les risques encourus au Pakistan par ses salariés. Pour le tribunal, l’attentat de Karachi est bien un accident du travail, et il « n’a été possible que par une faute inexcusable de la DCN ».
Cette décision de justice met bien en évidence, pour Maître Caron, l’impérieuse nécessité pour les entreprises de « mettre en place une réelle traçabilité des procédures en cas de problèmes. Elles doivent se donner les moyens au juge de se replacer dans le contexte de l’époque. Les entreprises et les directeurs de sécurité doivent travailler à la mise en commun de référentiels sur ce qui se fait en matière de sécurité dans les entreprises. Fournir tous ces éléments, ces « bonnes pratiques », permettra au juge de se faire une opinion ».
Comment prévenir et gérer une crise ?
Crise conventionnelle ou crise inédite ? Pour Patrick Lagadec, directeur de recherche à l’Ecole Polytechnique, le problème ne se pose pas en ces termes. « Dans beaucoup de cas, on semble toujours en retard d’une crise. « Pour anticiper une crise, la prévenir et réagir de manière adéquate, il faut savoir sortir de ses images mentales, de ses habitudes. Ce qui paralyse dans les crises, ce n’est pas la crise mais ce qu’il y a autour, le fait que cela ne rentre pas dans les cas, dans les schémas prédéfinis. Que cela ne corresponde pas à ce que l’on a appris. Il est impératif – pour se préparer convenablement et réagir correctement – d’oublie ‘’l’arrière mental’’. Il faut savoir trouver des réponses inédites à des crises conventionnelles. » Pour le Docteur Thomas Menk, Director corporate Security de Daimler AG et président d’ASW (équivalent allemand du CDSE), « il faut pourvoir faire preuve d’anticipation, de vitesse et d’aptitude. Pour cela, il faut aller dans le cerveau de l’agresseur ».
La sécurité est une question de mentalité, d’état d’esprit de tout le monde dans l’entreprise rappelait Alain Juillet, Haut responsable pour l’intelligence économique au SGDN *. « Tout le monde doit être impliqué et penser sécurité. Par contre, si l’on souhaite être réellement efficace, il faut réduire la peur de l’inconnu. C’est elle qui paralyse lorsque la crise survient. Des procédures claires permettent de donner des repères aux collaborateurs. Tout cela pose également le problème de la formation à donner aux gens et aux dirigeants ». Mais pour Alain Juillet, il faut aller plus loin. La gestion de crise et la sécurité ne seront pleinement efficaces que si on arrive à briser cette barrière qui existe entre l’Etat et le monde de l’entreprise. « Il faut rapprocher ce qui est séparé depuis Colbert : le monde des entrepreneurs et les services de l’Etat. Ils doivent apprendre à travailler ensemble. L’Etat doit aussi être capable d’aider en même temps toutes les entreprises concernées par ces nouvelles problématiques ».
Ce rôle de l’Etat en matière de sécurité pose également le problème des libertés individuelles. Question soulevée par Patrick Calvar, directeur adjoint de la DST : « On parle beaucoup de gestion de crises. Mais avant d’avoir à les gérer, pour éviter d’avoir à le faire, il faut remonter de l’information. Cela ne peut se faire sans l’action des services spécialisés de l’Etat. Une question se pose donc : quels pouvoirs leur donner ? Jusqu’à quel point peut-on tolérer des atteintes aux libertés individuelles pour empêcher les crises ? ».
* Secrétariat Général de la Défense Nationale.
Vers un renforcement du rôle du directeur de sécurité ?
A l’issue de cette journée, une question se posait à tous : quel sera, demain, le rôle du directeur de sécurité ? Quelles seront ces nouvelles missions ?
Pour Franck Riboud, PDG du Groupe Danone, « le rôle du directeur de sécurité ne peut que se renforce de part la nature du développement à l’international de groupes comme Danone. Mais, il ne faut selon moi, se limiter à tel ou tel type de risque. Le développement des activités de Danone dans l’alimentation pour bébés implique de nouveaux risques ».
Renforcement évident aussi pour le Docteur Thomas Menk. « Pour une raison objectif, le rôle du directeur de sécurité ne peut que se renforcer : la capacité de l’Etat ne sont plus suffisantes pour résoudre les problèmes de sécurité des entreprises. Subjectivement, il profitera aussi du fait que l’insécurité est trop souvent sous-estimé. Pour beaucoup, cela n’arrive qu’aux autres. Il faut y ajouter une autre raison : les grands groupes internationaux deviennent, dans certaines régions du monde, de véritables acteurs économiques. A ce titre, ils devront aussi apprendre à se défendre et se protéger ».
Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, la réalité contraindra les entreprises à renforcer le rôle de leur directeur de sécurité. Pour les grands groupes, il sera peut-être plus simple de se doter des outils idoines. Pour les plus petites entreprises, il sera nécessaire que l’Etat s’engage. Alain Juillet : « On dénombre en France 2 300 000 entreprises de moins de 500 personnes et 500 sociétés qui emploient plus de 1 500 personnes. Il faudra trouver des intermédiaires qui permettent aux petites entreprises de disposer d’un minimum de sécurité ».
La sécurité est un enjeu pour les entreprises. Parfois méconnu, sous-estimé. Pour Florence Parisot, Président du Medef, « les entreprises ont de plus en plus de responsabilités dont la sécurité des personnes et des biens. Le métier d’entrepreneur implique de savoir prendre et gérer des risques. Le directeur de sécurité doit être là pour éclairer la décision du directeur de l’entreprise ».
Le CDSE en quelques mots
Le Club des Directeurs de Sécurité des Entreprises (CDSE, anciennement CDEE) a été créé il y plus de 25 ans pour fédérer les expériences des professionnels de la sécurité et de la sûreté au sein des plus grandes entreprises de ce pays. Il rassemble les directeurs sécurité/sûreté des grandes entreprises françaises privées et publiques.
> Le CDSE est présidé par François Roussely.
Son vice-président est Hervé Pierre, directeur de la sécurité du Groupe Danone.
contact@cdse.fr
www.cdse.fr
A lire : antiterrorisme. Les normes du Conseil de l’Europe
Le Conseil de l’Europe s’est voué, depuis 1949, à la défense des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de la démocratie pluraliste. Le terrorisme nie ces trois valeurs cardinales et le Conseil de l’Europe est déterminé à le combattre. Le Conseil de l’Europe a élaboré plusieurs instruments internationaux et normes qui reflètent l’importance que l’Organisation attache à la lutte contre le terrorisme et qui illustrent son message fondamental : il est possible de combattre efficacement le terrorisme tout en sauvegardant les valeurs fondamentales qui sont le patrimoine commun du continent européen. Cette 4ème édition révisée et augmentée rassemble ces textes et vise à constituer un document de référence accessible et exhaustif.
> La lutte contre le terrorisme – Les normes du Conseil de l’Europe (4ème édition) (2007)
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Cet article est extrait du Magazine APS n°168 – Janvier 2008.
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