L'idée est très séduisante : reconnaître instantanément un visage pour lui délivrer l'accès sécurisé. Ce couplage de la vidéosurveillance et du contrôle d'accès est presque à portée de main. A quelques nuances (fondamentales) près.
Les télésurveilleurs ainsi que les fabricants et installateurs de systèmes de vidéosurveillance et de contrôle d’accès seraient-ils menacés dans leur existence ? En effet, on voit se multiplier les systèmes qui déportent la levée de doute vidéo sur smartphone… quitte à mettre un pied dans la porte de la désintermédiation pour croire possible l’idée de se passer d’un agent de sécurité humain ou d’un télésurveilleur. Par ailleurs, la miniaturisation croissante de l’électronique favorise la créativité et l’innovation.
On voit apparaître des produits d’entrée de gamme qui offrent une convergence bluffante. Comme la caméra du fabricant hong-kongais Global Mobility, distribué en Europe par le français New Deal (créé il y a 3 mois) : « Pour 119 euros TTC, cette caméra 720 pixels s’installe en 3 minutes. Elle embarque une sirène de 80 dB ainsi qu’une centrale d’alarme qui dialogue avec des détecteurs de mouvements et des contacteurs de portes et fenêtres. Reliées par Wifi à la box de la maison ou de l’entreprise, elle envoie ses notifications et images au smartphone sous Android ou iOS », explique David Haddad, gérant de New Deal. Quelles performances ! Et quel prix ! Néanmoins, il est peu probable que la qualité de l’image crève l’écran. De plus, un brouilleur d’ondes électromagnétiques (Wifi, 3G, 4G…) acheté 50 euros sur Internet devrait en venir à bout en quelques secondes. « Avec la Webcam sur smartphone, vous n’êtes aucunement protégés. On vous dit juste plus vite, au bureau, que votre maison vient d’être cambriolée ! », avertit Dominique Legrand, directeur général de l’Association nationale de la Vidéoprotection (AN2V). Mais une chose est sûre : ces équipements vont se multiplier et leurs fonctionnalités ne vont cesser de se perfectionner.
Résidentiel : les grandes manœuvres de la domotique. Si l’on place la barre du prix à partir de 500 ou 1.000 euros, cela commence à être le cas car, en l’occurrence, la vidéosurveillance s’intègre à la domotique connectée à l’internet des objets (IoT : Internet of Things)… En témoigne le fabricant breton Delta Dore (CA 20014 : 127 millions d’euros, ; effectifs : 820 personnes) qui, à 1 000 euros pour une maison ou une entreprise de 100 m2, offre une impressionnante panoplie de fonctionnalités. Notamment pour favoriser le maintien des personnes âgées à leur domicile. La difficulté consiste à garantir la sécurité d’une personne fragile et vivant seule sans entraver la venue des aidants : infirmière, aide ménagère, aide-soignante, kinésithérapeute, orthophoniste…
« Notre centrale de sécurité Tydom est certifiée NF A2P pour l’antibrouillage électromagnétique. A côté de cela, on insère une serrure motorisée dans la porte existante qui est, le cas échéant, reliée à un portier vidéo qui s’affiche aussi bien sur une TV qu’une tablette ou un smartphone », détaille Marcel Torrents, président du directoire de Delta Dore. La serrure motorisée est aussi télécommandée par le smartphone des intervenants qui ont, au préalable, téléchargé notre application sur laquelle la famille gère et délivre les droits d’accès et les scénarios d’utilisations des équipements en fonction des profils. Par l’exemple, l’aide ménagère peut ouvrir la porte d’entrée, ouvrir ou fermer les volets mais pas modifier les consignes thermiques… »
Nouvelle concurrence. Bien sûr, dans le cas présent, les données ainsi que les commandes sont cryptées et fugitives. Mieux : le système communique, au choix du client, avec un service de télésurveillance. Delta Dore n’est pas le seul industriel à proposer ces technologies électroniques (capteurs, centrale, caméras…) et communicantes (applications mobiles Android et iOS) mais il serait, pour l’heure, le seul à étendre son offre jusqu’à la serrure motorisée. Parmi ses concurrents, citons les fournisseurs domotiques comme Hager ou Schneider Electric. Mais d’autres acteurs comptent investir la place : « On trouve Apple, Google, Qualcomm, Technicolor, Samsung…. qui essaient chacun de sortir leur propre standard de communication propriétaire », poursuit Marcel Torrents. Citons également MSI, le célèbre fabricant de cartes mères pour PC, qui vient de sortir sa caméra connectée.
Pour la maison ou la TPE. A l’instar de spécialistes de la sécurité, comme D-Link, Geutebruck, Canon-Axis, Panasonic, Sony… le fabricant allemand Abus avec sa nouvelle centrale Secvest s’affirme comme un spécialiste de la sécurité : « A la différence des »détecteurs caméra autonomes » de levée de doute, ici, on peut avoir une connectivité télécom et vidéo permanente qui offre une fonctionnalité de Live Streaming les 3 caméras WiFi ou câblées de 1Mpix que nous pouvons raccorder. Nos caméras disposent d’un capteur infrarouge passif en face avant qui, en cas de détection d’intrus, va déclencher 2 LED ainsi que l’enregistrement photo de la scène. Ce qui offre une fonction de levée de doute, indispensable pour les télésurveilleurs », souligne Guillaume Gutierrez, chef des ventes d’Abus France, filiale créée en 2010 à Villeneuve-Le-Roi (94). De fait, la nouvelle centrale Secvest offre une détection électronique des ouvrants. « Si un détecteur d’ouverture perçoit une tentative d’intrusion, des renforts métalliques vont automatiquement, de façon mécanique, rentrer dans le bâti métallique de la fenêtre ou de la porte afin d’en renforcer la structure. Il faut 1 tonne de pression pour en venir à bout, précise Guillaume Gutierrez dont l’offre concerne les clients professionnels car la Secvest gère 48 points de détection sur 4 partitions, soit 4 zones différentes à protéger de façon indépendante. Surtout, le système déclenche l’alarme au télésurveilleur. »
Nécessaires agents humains. Et, à l’instar de tous les systèmes sérieux actuellement sur le marché, la Secvest et ses caméras sont conçues pour fonctionner de concert avec des opérateurs humains, professionnels, dûment enregistrés auprès des forces publiques d’intervention. cependant, ici encore, la télésurveillance permet de savoir qu’on a été cambriolé mais pas de faire avorter le projet de cambriolage. Et lorsque, malgré les hurlements stridents de l’alarme, les malfaiteurs passent à l’acte, « comment voulez-vous les reconnaître s’ils portent des cagoules de camouflage ? interroge Dominique Legrand de l’AN2V qui est en train de rédiger un guide grand public qui sera intitulé »Et chez moi, je mets quoi comme caméra ? » D’où l’idée de changer de concept, de passer de celui de télésurveilleur à celui de »télévidéosurveilleur » car, en majorité, les télésurveilleurs d’aujourd’hui ne disposent pas des images du cambriolage ou de l’agression. Ici, ils pourront faire de la levée de doute vidéo, peut-être envoyer les images en quelques secondes aux forces de l’ordre qui pourront intervenir en moins de 4 minutes. » Pour aller plus loin, l’AN2V propose de consolider son approche méthodologique sur trois piliers : tout d’abord la détection de l’intrusion, ensuite la compréhension centralisée des alarmes accompagnée de la levée de doute par un agent de sécurité ou un télévidéosurveilleur, seuls compétents pour appeler et convaincre les forces de l’ordre d’intervenir. Vient enfin l’action de la force publique elle-même.
Même dans les établissements qui concentrent des salariés, la pertinence de l’agent humain se fait sentir. « En cas de problèmes découverts a posteriori, le couplage de la vidéo et du contrôle d’accès aide à tracer l’historique des accès. Notamment ceux d’usurpateurs qui utilisent le badge d’une autre personne ou ceux des visiteurs qu’un salarié fait passer, en toute bonne foi, souligne Christian Jodin, président du pôle sûreté du SVDI, l’organisation syndicale des professionnels de la protection des biens et des personnes. A chaque passage de badge, l’agent de sécurité voit sur son écran la fiche du profil avec sa photo et, en incrustation, la vignette de la vidéosurveillance en temps réel. Il peut alors comparer et repérer les tentatives d’usurpation d’identité. » Le procédé est particulièrement précieux pour les salariés itinérants qui visitent les différents sites d’une même organisation. Dans tous les cas, l’agent de surveillance reste indispensable.
Et notamment lorsqu’il s’agit de dialoguer avec des personnes en situation de handicap. A l’instar de Castel : « Nous avons développé un portier d’interphonie accessible aux malentendants grâce à l’intégration d’une boucle magnétique qui à une distance confortable de 70 cm, envoie les signaux à la boucle de leur appareil auditif. Outre le clavier en Braille, nous disposons d’une LED qui indique que l’appel ou la conversation sont en cours ou que la porte est ouverte. Nous avons aussi un système de synthèse vocale pour les personnes mal-voyantes », fait valoir Ali Mahmoud, directeur opérationnel de Castel ( CA : 2014 : 9,2 millions d’euros ; effectif : 70 personnes), groupe basé à Saumur (49) qui, par ailleurs, porte son système de gestion en mobilité sous Android et iOS afin de faire de la levée de doute à distance.
Équilibre économique entre »intelligence » et puissance de calcul. Se pose alors une question : l’intelligence embarquée dans les caméras est-elle aujourd’hui capable de comparer en temps réel l’image des salariés en base de données et l’image réelle de la personne qui se présente au tourniquet du contrôle d’accès ? Clairement non. Aucun système n’en est capable aujourd’hui !
« La caméra ne voit que des pixels. Bien sûr les logiciels embarqués ou ceux qui opèrent à partir des enregistreurs vidéo font un peu de discrimination et de reconnaissance. Par exemple, la reconnaissance des plaques d’immatriculation des véhicules autorisés à se garer sur le parking de l’entreprise, le comptage des personnes ou des véhicules, la définition de la vitesse d’un objet ou d’une personne dans une image, la détection de mouvement, le franchissement d’une ligne virtuelle, la détection de l’orientation de la caméra si quelqu’un la bouge, la détection de son obstruction par un spray , l’abandon d’un objet qui devient suspect… », décrit Bob Klein, responsable commercial France et Benelux chez le fabricant canadien March Networks qui produit des enregistreurs vidéo et des caméras.
Identification temps réel des visages dans un flux vidéo. La révolution pourrait venir de France avec la start-up Smart Me Up (CA 2014 : 250.000 euros ; effectifs : 8 salariés), créée en 2012 par Loïc Lecerf et basée à Meylan (38) près de Grenoble et à Paris. « Loïc Lecerf, qui a un doctorat en intelligence artificielle, a développé une technologie temps réel d’analyse qui reconnaît les visages au sein des flux vidéos à 30 images par seconde sur du matériel Low Cost, par exemple avec les mêmes puces que celles des smartphones d’il y a 5 ans. Ce qui a fait l’objet de 6 brevets, indique Mathieux Marquenet, directeur de production de Smart Me Up qui a fourni à Photomaton un système pour refuser de prendre la photo d’identité si le sujet n’adopte pas un position conforme aux exigences de la Préfecture de Police (pas de sourire, ni de cheveux dans les yeux, visage de face…). Nos outils peuvent extraire le genre d’un individu, la position 3D de son visage, son âge, ses émotions, mais ils peuvent aussi l’identifier. »
Pour l’heure, la start-up, qui cherche à lever 1,5 million d’euros, ne compte pas se lancer dans le couplage du contrôle d’accès et de la vidéosurveillance. « Nous ne pouvons pas tout faire. Nous privilégions une stratégie de développement qui s’intéresse à des marchés d’électronique grand public à processus de décision très rapide, poursuit Mathieux Marquenet. Par exemple, nous collaborons avec le français Netatmo, un des champions de la FrenchTech, pour intégrer notre brique logicielle à une caméra grand publique, capable de reconnaître les personnes. On moins de 8 mois, nous avons bouclé ce partenariat qui débouche sur le lancement de la caméra d’ici à la fin de l’année. » Une offre qui pourra servir au maintien des personnes âgées à domicile.
© Erick Haehnsen
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