Il semblerait que l’Etat islamique n’éprouve guère de difficultés à s’approvisionner en composants nécessaires à la fabrication de ses engins explosifs. En témoigne le rapport pour le moins inquiétant réalisé par Conflict Armament Research (CAR) pour le compte de l’Union européenne, qui vient d’être publié. L’étude affirme qu’une cinquantaine de compagnies basées dans plus de 20 pays seraient impliqués à leur insu dans la fourniture des composants.
N’oublions pas qu’il n’est pas besoin d’être un grand chimiste pour fabriquer un engin explosif de base, certains même relèvent plus de la cuisine que d »autre chose. De plus, les composants et matières premières qui peuvent servir à cette fabrication sont très nombreux : câbles, produits chimiques, engrais agricoles, téléphones mobiles, transistors, cartes électroniques… On peut vraiment fabriquer des bombes avec n’importe quoi. Ce qui n’a pas échappé aux djihadistes qui font feu de tout bois. Ainsi les auteurs du rapports comptent-ils pas moins de 700 composants qui auraient migré via 51 sociétés issues de nombreux pays (USA, Brésil, Chine, Inde, Japon, Suisse, Autriche, Hollande etc). Selon le rapport, l’El produirait ses explosifs « à une échelle quasi-industrielle ».
Pour son approvisionnement en matières premières, l’El passe par les voies légales. Quoi qu’il en soit, une question se pose : malgré les embargos et toutes les interdictions qui ont été posées à son encontre, comment l’Etat islamique parvient-il à se fournir ? Plutôt que de faire passer essentiellement par la contrebande, des composants sensibles et militaires tels que les armes dont les flux sont extrêmement surveillés, Daesh préfère profiter des réseaux des petits composants bon marché qui, en plus d’être à usage civil, sont totalement légaux. Lesquels ne nécessitent aucune licence d’exportation et sont donc moins surveillés. Autre fait qui suscite l’inquiétude : les auteurs ont noté la rapidité avec laquelle l’El parvient à se procurer ces composants : entre le moment ou ils sont commandés et le moment ou ils arrivent à destination, c’est-à-dire en possession de l’El, il se passe moins de six mois !
Les composants viennent majoritairement de sociétés turques et indiennes. Dans la liste des composants majoritairement utilisés, on retrouve évidemment les téléphones portables produits par quelques sociétés occidentales. A commencer par le modèle 105 de téléphone mobile du finlandais Nokia, utilisé pour déclencher les bombes à distance. Citons aussi des compagnies comme STMicroelectronics, Solvay, Microchip ainsi que le japonais NEC. Reste que le pays qui fournit le plus Daech est bel et bien la Turquie avec plus de 13 sociétés représentées. « La proximité est la principale raison pour laquelle la filière d’approvisionnement de Daech en produits servant à fabriquer des explosifs provient de l’Irak et de la Turquie. Ces deux pays possèdent une agriculture et une industrie minière bien développées qui utilise les matières chimiques requises », explique le CAR. Pour arriver à ce constat, les auteurs ont du passer au peigne fin tous les composants qui avaient été découverts dans les ateliers de fabrication d’explosifs de l’El ainsi que les bombes ratées retrouvées sur place ou sur les lieux des affrontements.
En fait, ces 13 sociétés turques ne sont pour la moitié que des intermédiaires qui importent des produits fabriqués à l’origine au Brésil, en Chine, en Inde, aux Pays-Bas, en Roumanie et en Russie. En seconde position, arrive l’Inde avec sept sociétés au compteur. Lesquelles ont pour principale activité la fabrication de détonateurs et de cordons de mise à feu à destination de l’industrie minière. Et qui sont malheureusement détournés. Ironie du sort, c’est dans le cadre de licences émises en Inde et recueillies par des sociétés basées dans des pays frontaliers tels que le Liban et la Turquie que tous ces composant migrent vers le Califat. Et ce, en toute légalité.
La Turquie peu coopérative. Face à ce système et pour couper les vivres aux djihadistes, le CAR souhaiterait que les fournisseurs revoient leur système de comptabilité. Ce qui pourrait aider à localiser la destination finale des marchandises et obtenir ainsi un effet dissuasif. Selon le directeur exécutif du CAR, James Bevan, « ce n’est pas chose aisée car le gouvernement turque, qui est le principal concerné par ces mesures, refuse, pour l’heure, de coopérer. » Idem pour les sociétés turques liées aux composants qui, pour certaines, font la sourde oreille face aux questions des auteurs du rapport. D’autres ne sont tout simplement pas capables de savoir ce que sont devenues les marchandises qu’elles ont écoulées. Sans traçage de ces composant, inutile de dire qu’il est devenu difficile aux auteurs de se faire une idée plus claire de la législation turque sur la migration des composants.
Du coup, l’organisation a cherché d’autres alliés dans la région. Ainsi s’est-elle tournée vers les milices kurdes YPG côté syrien qui sont soutenues par la Maison Blanche ainsi que vers la police fédérale irakienne, le Conseil de sécurité de la région du Kurdistan ou encore les forces du Gouvernement régional du Kurdistan. Lesquels ont permis à l’organisation d’avoir accès à des composants qui gisaient sur les lieux des grandes batailles en Irak et dont les noms revêtent encore aujourd’hui un caractère sanglant : Al Rabia, Kirkouk, Mossoul et Tikrit et dans la ville syrienne de Kobani.
Ségolène Kahn
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