Pouvez-vous nous rappeler brièvement la mission de la CoESS ?
L’année prochaine, la Confédération européenne des services de sécurité (CoESS), créée à Bruxelles en 1989 pour défendre la voix de la sécurité privée auprès des institutions européennes, va fêter son 30e anniversaire ! Nous représentons 24 pays européens, dont 19 font partie de l’UE. En France, les membres de la CoESS sont le Syndicat national des entreprises de sécurité (Snes) et l’Union des entreprises de sécurité privée (USP). Au niveau européen, nous prenons part au dialogue social. Nous sommes ainsi consultés sur tout projet de directive ou de règlement européens qui aurait un impact sur le secteur de la sécurité privée. Récemment, nous avons été consultés sur la révision de la directive relative à la déclaration écrite, qui sera renommée « directive sur les conditions de travail transparentes et prévisibles ». La directive sur la déclaration écrite de 1991 donne aux travailleurs commençant un nouvel emploi le droit de se voir communiquer par écrit les éléments essentiels de leur relation de travail. Cette consultation nous a permis d’expliquer aux instances européennes les conditions de travail irrégulières et imprévisibles des travailleurs du secteur de la sécurité privée. Et de nous rassurer sur le fait que les conventions collectives règlent les modalités d’information et de compensation pour les missions non prévues et les changements d’horaires. Par ailleurs, avec le syndicat européen des travailleurs du secteur des services, UNI Europa, qui est notre partenaire social, nous menons des projets financés sur fonds européens, notamment des études. La dernière en date, qui a démarré il y a deux ans et s’achèvera cette année, porte sur « L’anticipation, la préparation et la gestion du changement dans le secteur de la sécurité privée et son impact sur l’emploi ». Elle sera présentée le 11 octobre aux adhérents de la CoESS.
Quels résultats intermédiaires êtes-vous déjà en mesure de tirer de cette étude ?
Tout d’abord, cette étude porte sur les aspects macro-économiques, micro-économiques, démographiques et technologiques. Il me semble que c’est la première de ce genre au niveau européen. Nous avons cherché à comprendre l’impact sur le secteur de la sécurité privée en Europe, non seulement des facteurs globaux (globalisation, changement climatique, inversion de la pyramide des âges, accroissement de la population urbaine, situation migratoire…) mais aussi des technologies. Le secteur est en train de sortir du paradigme où l’on dimensionne les besoins en sécurité par le nombre d’agents nécessaires pour aller vers la notion de « solutions de sécurité » où l’on combine des ressources humaines – les agents – à des ressources technologiques. C’est la voie que nous montrent depuis plusieurs années de grands acteurs comme G4S, Prosegur ou Securitas… De leur côté, les syndicats de travailleurs craignent que la robotique, les drones et l’intelligence artificielle ne fassent perdre des emplois. En fait, il y a probablement plus de chances que ces technologies aient un impact sur la manière de travailler que sur l’emploi. Le secteur s’oriente plus vers une rationalisation des tâches que vers une réduction des emplois. En revanche, le spectre des tâches s’élargit. Par exemple, avec les drones, il devient possible de combiner les rondes de sécurité et de sûreté aux inspections techniques des infrastructures.
Quels sont les grands chiffres qui ressortent de votre étude ?
L’étude ne crée pas de nouveaux chiffres, car elle reprend les données fournies par les différents syndicats nationaux. Néanmoins, selon notre dernier recensement de 2016, nous comptons 45 000 sociétés privées de sécurité qui emploient 2 millions de salariés – dont 1,6 million dans l’UE. Quant au chiffre global de la sécurité privée en Europe, il est de 40 milliards d’euros. C’est l’Allemagne qui réalise le plus gros score avec de près de 7 milliards d’euros (chiffres de 2015), suivie par la France avec près de 6 milliards d’euros, le Royaume-Uni (4,5 milliards) et l’Espagne (3,5 milliards).
Comment la sécurité est-elle perçue par la Commission européenne ?
Autant avec les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan qu’avec l’attaque simultanée de l’aéroport et du métro de Bruxelles, la sécurité est devenue une question prioritaire pour l’Europe. En témoigne la nomination par Jean-Claude Juncker en août 2016 de Julian King en tant que commissaire à la sécurité, spécifiquement chargé de la lutte contre le terrorisme et le crime. C’est le premier à occuper un tel poste – lequel devrait être renouvelé l’an prochain lors du renouvellement de la Commission européenne. Nous avons également assisté à la multiplication de livres blancs, réunions, déclarations du conseil, rapports du parlement européen, de groupes de travail sur la sécurité en Europe. Le travail s’est vraiment intensifié.
En matière de sécurité privée, la France est-elle « éclairante » ?
D’une manière générale, ce sont plutôt l’Espagne, la Belgique et les pays scandinaves qui montrent la voie, que ce soit dans le domaine des tâches dévolues à la sécurité privée, de la précision du cadre légal ou du partenariat public-privé. La France cherche à s’inspirer de ce qui se passe ailleurs de sorte à être à la pointe et à appliquer chez elle ce qui lui convient le mieux.
Votre rapport est-il susceptible de conduire à des décisions politiques ?
Ce n’est pas le propos mais nous allons quand même défendre une idée : dans les appels d’offres publics, il n’est plus acceptable que le prix le mieux disant, donc le moins élevé, soit le principal critère de sélection. Dans ce contexte, notre recommandation est on ne peut plus claire : le critère de qualité doit être au moins de 50% en ce qui concerne la sûreté en général et supérieur à 60% concernant les infrastructures sensibles (aéroports, centrales nucléaires, gares…). A moyen et long termes, le prix le plus bas est contre-productif.
Comment le continuum de sécurité peut-il à la fois assurer la sécurité et respecter les libertés de nos concitoyens en Europe ?
Nous sommes en démocratie comme l’illustre le règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) qui est entré en vigueur cette année. En Europe, il y a des contre-pouvoirs. Par ailleurs, il est également important que les licences professionnelles des agents de sécurité soient accordées et contrôlées par des organismes officiels sur la base de critères communs en Europe, à l’instar de la compétence et de la moralité des dirigeants des sociétés privées de sécurité. A cet égard, la Belgique s’est dotée d’une nouvelle loi, fin 2017, qui certifie non seulement les sociétés de gardiennage, mais aussi les installateurs de systèmes de sécurité. Ceci devrait être de nature à rassurer les citoyens et je trouve tout à fait juste et légitime que les autorités leur démontrent que les missions confiées à des entreprises privées le sont sur une base de confiance mutuelle et de critères objectifs et vérifiables. Une raison supplémentaire pour ne pas accorder des contrats sur la base du prix : ce n’est pas ainsi que l’on protège les infrastructures et les citoyens. Le rapport qualité-prix est un principe que chacun peut comprendre. C’est une simple question de bon sens.
Propos recueillis par Erick Haehnsen
*Catherine Piana interviendra dans le cadre du salon Expoprotection, qui se tiendra du 6 au 8 novembre, avec une conférence intitulée « La sécurité privée en Europe face à ses nouveaux enjeux ».
Commentez