Les premières entreprises commencent à prendre au sérieux le risque de syndrome d’épuisement professionnel qui pousse les salariés à en faire trop. Cette usure à petit feu qui conduit certains à la dépression ou au suicide sera-t-elle un jour reconnue comme maladie professionnelle ?
A l’hôpital, un professionnel sur trois se trouve dans un état de tension important qui l’expose à un risque de burn-out. Voila ce que vient de montrer les résultats d’une enquête menée par l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) auprès de 18.000 agents et 2.000 médecins. Depuis quelques années, on entend de plus en plus souvent parler de »Syndrome d’épuisement professionnel » (SEP) communément appelé »burn-out ». Cadres sous pression permanente, enseignants débordés, infirmières n’arrivant plus à faire face, agriculteurs étranglés par la situation financière de leur exploitation, les cas de »craquage » professionnels apparaissent ça et là et donnent parfois lieu à des suicides médiatisés. Si ces épisodes prêtent parfois à des réflexions mettant en cause la fragilité psychologique de la victime, leur augmentation laisse penser qu’ils sont surtout liés aux conditions de travail. D’ailleurs, certaines entreprises commencent à en prendre conscience. Par exemple, à la City de Londres, des grands groupes comme Google, AstraZeneca ou la Deutsche Bank mettent en place des programmes de thérapies douces pour atténuer la souffrance au travail.S’engager sans en avoir les moyens. Le burn-out décrit une »usure à petit feu » dans le cadre professionnel qui finit par consumer littéralement la personne. Ce phénomène a été mis à jour il y a 40 ans, comme le précise Valérie Langevin, expert d’assistance conseil sur les risques psychosociaux à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des maladies professionnelles et des accidents du travail (INRS) : « C’est le psychiatre Herbert Freudenberger qui a utilisé le premier ce terme de burn-out pour décrire, chez lui et sur le personnel de son hôpital de jour, un épuisement physique et mental suite à la prise en charge de patient toxicomanes. Ce phénomène a été bien identifié dans le milieu médical et d’aide à la personne comme lié au fait de vouloir à tout prix améliorer la vie ou la condition de gens en difficulté, sans avoir toujours les moyens de le faire. Puis vers la fin des années 90, il a été étendu à d’autres secteurs professionnels dans lesquels il se manifestait aussi. On a alors compris que ce qui l’engendrait était, non seulement une notion d’engagement professionnel par rapport à une personne en souffrance mais aussi par rapport à des règles et des valeurs professionnelles que l’on cherche à respecter au mieux sans en avoir toujours les moyens. »
Règles professionnelles non respectées. Si le syndrome d’épuisement professionnel ne possède pas de définition médicale stricte, il est principalement issu d’un travail excessif et compulsif (on travaille trop et on n’arrive jamais à décrocher). Il vient aussi d’un grand perfectionnisme et d’une tension permanente sur l’efficacité et les résultats, alors que l’organisation ne donne pas toujours aux équipes les moyens de réaliser les objectifs fixés. Il est également lié à un manque de reconnaissance qui finit par mener le salarié à dénier ses propres compétences. « Il vient aussi du fait que les contraintes d’organisation de l’entreprise peuvent amener la personne à ne plus à respecter les règles professionnelles qu’elle s’était fixées », complète Valérie Langevin.
Bien sûr, tous ces éléments apparaissent de temps en temps dans la majorité des carrières professionnelles. Mais c’est leur caractère chronique qui mène à un SEP. Selon le psychiatre suisse Davor Komplita spécialiste du SEP, le management moderne est intimement lié à la multiplication du phénomène: « La culture des processus de travail, des résultats, des performances et des évaluations chiffrées provoque une tension, permanente qui favorise le stress et peut déboucher sur un syndrome d’épuisement, explique-t-il. A la fin des années 1980, la société a mis en avant l’idée d’un accomplissement professionnel au travail. Cela peut être vrai dans quelques métiers à composante créative et certaines professions libérales. Mais promouvoir ce concept dans toutes les catégories professionnelles tient de la mystification. »
Travail excessif et compulsif. Si le syndrome d’épuisement s’installe progressivement, il apparaît souvent brutalement. Le salarié va alors s’effondrer littéralement dans un état de profonde dépression. Agnès Martineau, médecin du travail a récemment co-signé une étude sur le SEP pour le cabinet Technologia, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux : « Le travail excessif et compulsif est le principal indice qui caractérise le sur-engagement au travail pouvant mener au burn-out. Or notre étude a montré que 12,6% des personnes interrogées étaient dans cette situation. En d’autres termes, près trois millions de salariés seraint exposés au burn-out. » L’étude Technologia mesure ces situations professionnelles par une série de propositions telles que :
– Je passe plus de temps à travailler qu’à voir des amis, pratiquer du sport ou des loisirs.
– Je suis toujours occupé à travailler sur un grand nombre de projets en même temps.
– Il m’est difficile de me détendre quand je ne suis pas en train de travailler
– Mes proches affirment que je pense tout le temps au boulot et je n’arrive pas à me détendre en vacances.
Lorsque les salariés sont souvent dans ces situations, leur investissement au travail leur fait courir de gros risques. Mais ils n’en ont pas conscience car il s’agit généralement de très bons éléments professionnels, ayant mené de brillantes carrières et habitués à travailler beaucoup pour rester au meilleur niveau. « Les salariés acharnés au travail sont les plus motivés et enthousiastes, souligne Agnès Martineau. Ils ont des carrières professionnelles brillantes et ne comptent pas leurs heures. Mais ils sont aussi les plus sensibles au burn-out. »
Série de symptômes. Les premiers signes du syndrome permettent parfois d’intervenir avant que le salarié ne perde pied. Il peut s’agir de troubles du sommeil qui conduisent à la prise de somnifères, des soucis dermatologiques de type démangeaisons, psoriasis ou allergies, des douleurs diffuses ou plus localisées comme les lombalgies, les cervicalgies et les tendinites au coude ou à l’épaule. Ou encore des migraines et des vertiges. Les personnes exposées au SEP sont souvent découragées ou angoissées, elles se sentent persécutées et peuvent ensuite tomber dans une indifférence aux autres et même dans un cynisme qui ne leur ressemble pas. Cela se traduit par des conflits professionnels mais aussi familiaux, des conduites à risque et une plus forte consommation d’alcool ou de substances illicites. Au final, le salarié risque de tomber dans une grave dépression. « Le burn-out fait partie des risques psychosociaux et il est important d’avoir une démarche de prévention au niveau de l’entreprise, estime Valérie Langevin. D’une part, l’enjeu est de repérer les salariés en risque de burn-out le plus précocement possible avant que le syndrome n’engendre une véritable dépression. D’autre part il est important d’agir sur les contraintes organisationnelles identifiées en lien avec le burn-out. »
Pour Jean-Claude Delgenes, fondateur et directeur général du cabinet d’études Technologia, l’organisation du travail et la situation économique sont responsables de ce risque. « On voit bien qu’à rebours des préconisations de tous les rapports produits, la tension sociale en France s’aggrave, ce phénomène étant lié à la persistance d’un chômage de masse et aux nouveaux modes de production, affirme-t-il. Ainsi le nombre de signalements de cas de harcèlement moral est en hausse constante. 22% des salariés se disaient victimes d’agissements violents dans le cadre professionnel selon l’étude Sumer de 2010 ! Alors qu’ils n’étaient que 17 % en 2003 selon la même étude. » Le burn-out apparaît comme faisant partie des risques psychosociaux comme les définit le site spécialisé animé par des médecins du travail : bossons futé. Dans cet état d’esprit, Technologia a lancé un appel pour que le SEP soit reconnu au tableau des maladie professionnelles. « Aujourd’hui les pathologies psychiques principalement liées au travail sont considérées essentiellement comme des maladies ordinaires avec une prise en charge par le régime général de la sécurité sociale, regrette Jean Claude Delgenes. Elles devraient relever de la branche ATMP [Accident du travail et maladies professionnelles, NDLR] et être prises en compte dans les cotisations des entreprises. De nombreux experts avec nous pensent qu’il faut attribuer en aval un coût à ces dépressions de burn-out pour inciter les entreprises à entreprendre une vraie démarche de prévention en amont. »
Quelques groupes exemplaires. Depuis quatre ans, quelques entreprises commencent à prendre ce risque au sérieux avec la promotion de respect des horaires de travail et l’obligation de prendre ses temps de récupération et ses RTT, comme le constate le Dr Martineau: « C’est le cas pour certaines grands groupes comme l’IFP énergies nouvelles [Institut français du pétrole, NDLR] qui s’est doté d’une charte de bonnes pratiques pour les réunions et les mails. Par ailleurs, ce groupe possède un système de signalement lorsqu’un collaborateur effectue plus de 4 journée de 10H par trimestre. » En Allemagne, Volkswagen a décrété une trêve quotidienne de réception d’emails sur les téléphones professionnels. Les serveurs informatiques de l’entreprise ne dirigent plus les courriels vers les smartphones entre 18H15 et 07H00. Et, en France, un récent accord de branche a inscrit « un droit à la déconnexion » pour les cadres du secteur du numérique ne bénéficiant pas d’horaires fixes. Un début de reconnaissance.
Florence Pinaud
Cinq conseils pour lutter contre le burn-out
Pascale Polizzi, auteur du livre kindle (livre électronique au format kindle d’Amazon) No-Stress, No-Burnout , propose cinq réflexes simples permettant de lutter contre le travail excessif et compulsif.
– S’astreindre à pratiquer un exercice physique au minimum une fois par semaine. Qu’il s’agisse de jogging, de sport en salle, de yoga ou de sport collectif, l’exercice permet d’évacuer les tensions et de réduire le stress.
– Conserver à tout prix des centres d’intérêt et des activités extérieures à la vie professionnelle. Aller régulièrement au cinéma ou voir des expositions, rencontrer des amis, faire du shopping… Ces activités extérieures donnent un peu de recul empêchent les salariés de se laisser déborder par leur vie professionnelle.
– Eviter les aliments et les substances qui, sous prétexte de donner un coup de fouet sur le moment, fatiguent l’organisme à moyen terme. Il s’agit du café, bien sûr, mais aussi des sucreries que l’on grignote au bureau et des cocktails alcoolisés que l’on prend pour se détendre.
– Quand on est fatigué, pratiquer une micro sieste pendant 10 à 20 minutes, même au bureau, pour recharger ses batteries.
– Trouver le moyen de se détendre avec un bain chaud ou une musique douce et s’astreindre à user de cette pratique régulièrement.
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