Quelle est votre actualité en termes de sécurité et santé au travail dans le secteur du transport et de la logistique ?
Pour nous, incontestablement, c’est la signature d’un accord en avril 2016 avec prise d’effet au 1er janvier 2017 qui porte sur l’amélioration de la prévention santé pour les salariés du transport routier de marchandises (TRM), du transport routier de voyageurs (TRV) et du transport de déchets. Cela représente 600.000 salariés. Donc 50.000 pour le transport urbain de passagers et 40.000 pour le transport de déchets, le reste concernant les salariés du TRM. A signaler : cet accord a rassemblé toutes les grandes organisations syndicales (CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, CFTC) et patronales (FNTR, TLF, FNTV, UTP, OTRE, SNAD, Unostra, Chambre syndicale du déménagement) ainsi que l’ensemble des organisations professionnelles.
Quels sont les changements qu’apporte cet accord historique ?
Dans la transport, et notamment dans le TRM, la protection sociale avait été mise en place il y a 60 ans avec un régime invalidité-décès dans la branche. Dans les année 1980, a été introduit le régime d’inaptitude à la conduite dans le TRM pour raisons médicales. Quant au dernier régime, qui date de 1997, il a mis en place les congés de fin d’activité qui permettent aux conducteurs TRM et TRV d’entrer en cessation anticipée d’activité à partir de 57 ans, soit 5 ans avant l’âge légal. En 2016, les partenaires sociaux se sont dit qu’il fallait entamer une modernisation de l’ensemble de notre protection sociale avec des régimes conformes à la réglementation.
Quels sont les enjeux ?
L’un d’entre eux consiste à aboutir à un système capable de tenir compte des évolutions structurelles (métiers, carrières, professions….). Mais il fallait aussi anticiper l’avenir sachant que les statistiques montrent que la population des travailleurs du secteur vieillit très vite. Pour preuve, entre 2005 et 2015, la part des salariés de plus de 50 ans dans la branche est passée de 20% à 30%, soit près d’un salariés sur trois. Or c’est au sein de cette population que les risques d’invalidité, décès ou inaptitude sont les plus importants.
Quelles sont les mesures qui ont été adoptées ?
Dans la perspective d’anticiper l’avenir et de maîtriser le coût de la protection sociale, il y a eu la volonté d’investir massivement dans les mesures de prévention.
Qu’entendez-vous par là ?
Globalement, chaque salarié bénéficie, avec cette réforme, d’un compte personnel de prévoyance qui s’ajoute au compte personnel de formation et au compte pénibilité. Ce compte personnel de prévoyance va aussi fonctionner par points. Mais, ici, les salariés sont incités à suivre des actions de prévention en les récompensant avec des points. Lesquels améliorent leur couverture sociale en cas de sinistre.
Comment financez-vous le compte de prévoyance ?
Nous créons un budget pour financer cette mesure avec un taux de cotisation de 0,05% du salaire, soit 5 millions d’euros au niveau de la profession. Ensuite, c’est la commission paritaire de la branche qui va gérer ce fonds et définir les actions de prévention à mettre en œuvre.
Où en êtes-vous dans ce projet ?
Aujourd’hui, seul le mécanisme est en place. Mais celui-ci nous semble très innovant par rapport à ce qui se pratique dans d’autres branches. En revanche, pour l’heure, nous n’avons pas encore le contenu des actions de prévention. Car ce dernier doit faire l’objet de discussions et de validations par la commission.
Avant d’aboutir à un accord au niveau de la commission paritaire, quelles hypothèses en matière de contenus de prévention se dégagent ?
Parmi ces hypothèses, on pourrait s’inspirer d’actions de santé qui ont lieu dans le grand public. Par exemple, le dépistage du cancer colorectal, du cancer du sein ou du col de l’utérus Ces dépistages grand public ne sont pas toujours suffisamment bien pris en compte par les assurés. Mais, avec la carotte des points de prévoyance, nous sommes en droit d’espérer une meilleure efficacité du dispositif. D’ailleurs, nous nous sommes rendus compte que la mortalité et les causes d’invalidité de la population des conducteurs n’étaient pas si éloignées de celles de la population en général. A savoir les risques cardiovasculaires, lesquels passent notamment par les addictions et la nutrition, ensuite les cancers dont le dépistage en santé publique n’est pas toujours réalisé. Il faut donc valoriser la promotion de ces dépistages via la branche. Enfin, il y a aussi des troubles spécifiques à la profession, notamment des troubles musculosquelettiques (TMS). L’idée, c’est de ne pas se priver de ce qui est réalisable rapidement mais insuffisamment mis en œuvre.
Quels sont vos autres chantiers ?
Il y a des chantiers spécifiques comme l’apnée du sommeil, la nutrition et la formation aux gestes et postures. Sur ce point, nous nous appuyons aussi sur ce qui fonctionne bien dans la branche : les organismes de formation professionnelle comme l’AFT (ex-AFT-ITM). Nous allons ainsi concevoir avec l’AFT un contenu de formation sur les gestes et postures. mais aussi sur les addictions. Enfin, nous allons également nous appuyer sur des travaux que nous menons avec la Cnam-TS Risques professionnels. A cet égard, il existe une convention assez inédite entre l’AFT, la Cnam-TS et Carcept Prev (groupe Klesia) qui regroupe l’ensemble des organismes de prévoyance du transport.
N’aviez-vous pas déjà travaillé sur les addictions ?
Si. Nous avions édité une clé USB qui a été remise à plusieurs dizaines de milliers de conducteurs il y a deux ans. Nous avions aussi réalisé un mémento de prévention à l’intention des conducteurs. Ensuite, nous expérimentons dans deux régions de France, la Bretagne et l’Occitanie, la fonction de chargés de mission prévention. Ces professionnels vont dans les entreprises pour les aider à mettre en place les plans de prévention. Cette opération est gratuite pour les entreprises de ces deux régions qui s’inscrivent au programme.
Vous avez une fondation. Quelles sont ses missions ?
Oui. La fondation Carcept Prev a été créée il y a quatre ans par les transporteurs afin de mener des actions en matière de prévention santé. Elle peut aussi alimenter les travaux de la commission. Concrètement, la fondation a un partenariat avec l’association Comète Fair qui accompagne la personne en arrêt de travail, notamment les personnes en situation de handicap, soit à trouver un emploi soit à adapter son poste de travail. L’idée, c’est d’accompagner la personne en difficulté dans son retour à l’emploi. Demain, nous voudrions développer la même chose pour les personnes en arrêt de travail afin d’éviter qu’elles ne tombent en invalidité. Notamment les personnes en suivi de cancer, de lésion motrice ou de psychologie.
Quelles sont vos prochaines étapes ?
La validation par la commission paritaire des actions de prévention. Ce sera alors la mise en œuvre effective du fonds. Tout ces efforts méritent que les 600.000 salariés du secteur en soient informés. Dans cette lignée, nous avons revu notre site internet pour que les salariés accèdent en ligne à leur espace personnel avec leurs points. De même, nous avons élaboré des documents informatifs et ludiques pour les salariés. Nous avons aussi lancé une Web série pour expliquer aux salariés la réforme de la prévoyance. Nous voulons aussi passer par le canal des 35.000 entreprises du secteur. D’ailleurs, nos équipes commerciales sont sur le terrain depuis 6 mois. Pour renforcer leur action, nous nous appuyons sur notre partenaire, CNP Assurance, et ses 150 conseillers répartis sur tout le territoire. Bien sûr, nous sollicitons les organisations syndicales de salariés pour diffuser la connaissance sur ces dispositifs. Nous comptons également lancer des campagnes de mail et de SMS. Ce n’est pas tout : nous allons travailler avec les relais routiers (les restaurants) ainsi qu’avec les éditeurs d’applications numériques pour les routiers. Vous voyez, nous nous sommes mis à la diffusion multicanale !
Propos recueillis par Erick Haehnsen
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