Afin de répondre à l’appel à projets « Attentats-recherche » du CNRS, trois laboratoires, le laboratoire de chimie organique et bioorganique : réactivité et analyse (Cobra), à Rouen, le laboratoire Miniaturisation pour la synthèse, l’analyse et la protéomique (MSAP), à Lille, et le laboratoire Chimie et interdisciplinarité : synthèse, analyse et modélisation (CEISAM) à Nantes, ont combiné leurs forces afin de développer un procédé capable de neutraliser les attaques chimiques toxiques et les explosifs sur le site. Baptisé Nacflu, ce projet a commencé il y a un an dans le but de neutraliser les stocks d’armes chimiques des deux dernières guerres.
La complexité des mélanges
Basiquement, un tube en forme de T relie l’engin à désactiver et le réservoir contenant le produit neutralisant. Entre les deux, deux pompes sont chargées de faire se rencontrer les deux liquides dans une troisième section. L’objectif étant de rendre les deux substances totalement inoffensives au terme de ce mélange et de les évacuer par l’extrémité de cette section. Or gare aux mélanges de substances explosives ou chimiques et surtout à leurs réactions chimiques ! « Selon la quantité de produits que l’on met en contact et la rapidité avec laquelle on le fait, on peut obtenir soit un petit pschitt soit un gros boum », explique Julien Legros, chimiste au laboratoire Cobra.
Réaction d’oxydation sélective
Face à la complexité de ces mélanges et surtout au caractère aléatoire des résultats, les chimistes ont planché durant un an. En résulte un tube de section millimétrique capable de contrôler les échanges de fluides au millilitre par minute. Atome par atome, le procédé va traiter les fluides par un procédé de réaction d’oxydation sélective. « Avec notre dispositif, nous avons apporté la preuve de principe qu’il est possible de neutraliser des toxiques tel le gaz moutarde, dont nous avons utilisé un mime, via une réaction dite d’oxydation sélective dans laquelle un oxydant doux transfère un atome d’oxygène sur un groupe de sulfures du composé à éliminer », commente le spécialiste.
En ce qui concerne d’autres substances telles que les neurotoxiques et les précurseurs comme le tristement célèbre gaz sarin, les scientifiques se sont penchés sur d’autres procédés chimiques tels que l’hydrolyse de composés organiques phosphorés. « Il faudra pour ce faire revoir la partie hydraulique de notre dispositif afin d’accélérer les mélanges. Par exemple via l’utilisation d’un microréacteur ou bien en ayant recours à des dispositifs micro ou nanofluidiques » estime le spécialiste qui envisage également des réactions de réduction capables de neutraliser certains explosifs utilisés par les terroristes de Daech.
Des techniques de résonance magnétique nucléaire transportables
Actuellement, les équipes cherchent à faire passer leur procédé de l’échelle du prototype de laboratoire à l’outil de dimension industrielle : « Grâce aux moyens du laboratoire MSAP, qui dispose de pompes très puissantes, l’objectif est de passer du traitement de quelques millilitres à plusieurs litres par minute, avec toute la problématique du contrôle fin du débit », déclare Julien Legros. Pendant ce temps, le CEISAM se chargera de réaliser des essais pour le suivi en ligne des réactions de neutralisation. « Pour ce faire, nous nous appuierons sur les techniques de résonance magnétique nucléaire ultra-rapides et transportables, développées au sein du laboratoire nantais », annonce l’expert. Pour financer la dernière partie de ce projet, les chercheurs vont déposer une demande d’aide à l’Agence nationale de recherche (ANR) en charge du financement de projets scientifiques. En parallèle, ils tentent déjà de se faire remarquer auprès du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) afin de participer à la lutte anti-terroriste.
Ségolène Kahn
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