Certains boivent par convivialité avec les collègues, d’autres pour tenir le rythme, d’autres encore sont adeptes du “work hard, play hard” (travailler dur, s’amuser tout autant), précepte qui consiste souvent à exorciser la lourde charge de travail par une consommation excessive de substances psychoactives telles que l’alcool ou la cocaïne. Irascibilité, absences injustifiées, baisse de la qualité du travail et de la motivation, dégradation de la santé, dépression, tendances suicidaires…ces comportements font des ravages. La Mission Interministérielle de lutte contre les Drogues Et Les Conduites Addictives (Mildeca) présidé par le docteur Nicolas Prisse en a fait le constat et a décidé de faire appel à la Plateforme nationale d’actions globales pour la Responsabilité Sociétale des Entreprises ou « Plateforme RSE ». Objectif : sensibiliser les entreprises et leur donner des outils pour prévenir ces conduites à haut risque.
Les jeunes sont les plus exposés
D’après une étude de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) datant de 2015, 91% de dirigeants, encadrants et personnels RH, ainsi que 95% des représentants du personnel déclarent que les salariés de leurs structures consomment « au moins un produit psychoactif ». Ils sont 85% à se dire « préoccupés par les questions de toxicomanie et leurs impacts sur le travail ». Le phénomène prend de l’ampleur. Selon une nouvelle étude de l’OFDT, parue en 2018, 2,2 millions de Français auraient déjà consommé de la cocaïne et près d’un demi-million en consommeraient au moins une fois par an. Le travail et l’environnement de travail peuvent « être un facteur déclencheur d’une conduite addictive, ou bien favoriser ou augmenter une pratique personnelle », soulignait en 2017 Danièle Jourdain Menninger, ancienne présidente de la Mildeca. Selon elle, plus de 20 millions de personnes seraient concernées. En ligne de mire, la génération Y. Nés dans un open space, une tablette à la main, ces jeunes sur-diplômés évoluent dans une ambiance de bureau plus décontractée. « Il arrive souvent qu’on fasse la fête entre collègues en semaine, témoigne Macha B., 32 ans, community manager dans une start-up du digital à Marseille. Alcool, cocaïne, MDMA, ecstasy, kétamine…les afterworks peuvent vite dégénérer. » Bref, la consommation de drogues dures se banalise, y compris sur le lieu de travail. « A tel point qu’on utilise les salles de repos ou les espaces zen comme « salles de descente », pour finir sa nuit, indique Renaud M., responsable marketing dans la filiale parisienne d’un groupe américain d’équipements de sport de glisse. »
Le rôle de l’entreprise
En matière d’alcool et de tabac, les chiffres parlent d’eux-mêmes. D’après la Plateforme RSE, l’alcool, consommé au moins une fois par semaine par près de la moitié de la population à partir de 15 ans, cause 49 000 décès par an. Pas étonnant lorsqu’on sait qu’une personne sur dix en boit tous les jours. Quant au tabac, consommé par 30% des 15 à 75 ans, il tue pas moins de 73 000 personnes par an. D’où l’importance de la mission de la Plateforme RSE qui, depuis 2013, a pour vocation de réunir des acteurs – entreprises, partenaires sociaux, organisations de la société civile, réseaux d’acteurs, chercheurs et institutions publiques – pour travailler en synergie sur de nouvelles actions à mener. Et justement, en ce qui concerne les addictions dans le domaine professionnel, la plateforme considère que les entreprises ont tout intérêt à jouer le jeu de la sensibilisation car elles constituent un cadre stabilisant pour les employés victimes.
Développer une démarche responsabilisante et collective
Parmi les recommandations qu’elle adresse aux entreprises, la Plateforme RSE préconise de veiller aux populations les plus exposées au risque d’addiction, c’est-à-dire les plus jeunes. C’est ce qu’on appelle le repérage précoce. Il s’agit aussi de développer des outils de sensibilisation au sein de l’organisation, avec une approche conviviale et détendue. Par exemple, à travers des guides d’information ludiques, des quiz, des témoignages ou encore des jeux de simulation virtuelle… La plateforme rappelle, en outre, que cette démarche responsabilisation ne peut s’effectuer sans la participation de nombreux acteurs. A savoir les collaborateurs eux-mêmes, les DRH et managers en interne mais aussi les médecins du travail et le Comité social et économique (CSE), capables d’aider à réaliser un protocole de soin. Par ailleurs, il existe de nombreux organismes extérieurs pouvant apporter un soutien, parmi lesquels l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA).
Enfin, les entreprises sont enjointes à intégrer ce plan d’action dans leur politique de responsabilité sociétale en établissant, par exemple, un règlement intérieur adapté ou une charte d’engagement à destination des opérateurs des filières productrices ou distributrices d’alcool et de tabac.
Ségolène Kahn
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