Après des années à la recherche bonnes pratiques, organismes de formation, responsables du transport, assureurs et constructeurs de véhicules convergent vers deux idée : l’anticipation est la garantie de la sécurité de même que l’implication du conducteur rendra la sécurité active et permanente.
La formation aux risques routiers a-t-elle des limites ? « C’est comme le mythe de Sisyphe. On ne s’arrête jamais d’en faire car les conducteurs retombent toujours dans l’inattention, explique Michel Sarrat, président de GT Location, le numéro 2 français de la location de véhicules avec conducteur basé à Bassens (33) qui emploie un responsable de la prévention accidents de la route ainsi qu’un responsable Hygiène et Sécurité en Entreprise (HSE), secondés par neuf formateurs. Depuis quelques années, nous avons créé une plate-forme téléphonique animée par une psychologue. Tout conducteur accidenté doit l’appeler pour en parler, comprendre ce qui s’est passé afin d’éviter la récidive. L’objectif, c’est que le comportement de nos conducteurs soit toujours professionnel. » Fort de cette organisation, GT Location a vu le nombre d’accidents de la route diminuer. En revanche, le nombre d’accidents du travail stagne depuis trois ans. « Il est vrai que nous pratiquons beaucoup d’activités incluant de la manutention au chargement ou à la livraison », reprend Michel Sarrat.90% des accidents surviennent à l’arrêt. En cause, les chutes à partir du hayon élévateur du camion pour la distribution dans le secteur alimentaire, malgré la barrière de sécurité et les formations dispensées aux livreurs. Citons aussi la distribution de matériaux avec grues intégrée au camion. Ou le ramassage nocturne de volailles chez les producteurs le chariot élévateur à trois roues est déstabilisés sur le terrain accidenté de la cour de ferme. « Même le chargement de pneus génère de fréquentes lombalgies car il est effectué manuellement, ajoute Michel Sarrat. Résultat : malgré tous nos efforts de prévention, nous ne progressons plus. C’est frustrant. » A l’AFT-Iftim, un grand organisme de formation dédié au transport, cette situation n’étonne pas : « Chez les conducteurs routiers professionnels, 90% des accidents surviennent à l’arrêt, contre 10% seulement durant la conduite, affirme Joël Radouan, responsable du pôle Conduite et Logistique à la direction pédagogique. Ce sont des chutes depuis la cabine ou le hayon, voire lors du débâchage et de l’arrimage. Nous avons dû créer des formations spécifiques pour prévenir ce risque avec un important volet sur les gestes et postures au travail dans le contexte de la manutention. »
Les technologies réduisent l’attention. Pour sa part, la formation à la conduite s’appuie tout d’abord sur le permis de conduite de poids lourd et sur la Formation initiale minimale obligatoire (FIMO) ou le Bac Pro de conducteur routier. ainsi que sur la Formation continue obligatoire (FCO). S’y ajoutent des cours sur le franchissement des passages à niveau, la circulation dans les tunnels, les règles de sécurité et les services logistiques.
Récemment, deux risques nouveaux sont apparus. D’une part l’hypovigilance provoquée par l’afflux des technologies de communication (ordinateur de bord, téléphone portable…) qui inondent de messages étrangers à la conduite. Ce qui détourne le regard du conducteur de la route et le surcharge d’informations. D’autre part, les aides électroniques à la conduite, comme le régulateur de vitesse et le radar de distance, sont susceptibles de faire perdre au conducteur une part de sa vigilance. Le constructeur de véhicules industriels Volvo Trucks est particulièrement attentif à ce sujet. Depuis 1969, il entretient une commission qui étudie tous les accidents impliquant un poids lourd survenus en Suède. Il en tire des applications pour ses technologies. Ainsi est né le détecteur de ligne blanche au sol qui sonne l’alerte lorsque le véhicule se déporte à droite ou à gauche. Ou lorsque la conduite devient saccadée du fait de l’assoupissement.
Le stress, menace pour la sécurité. D’autre part, son bureau d’études, Driver Development, a constaté l’impact du stress sur la qualité de conduite. Celui-ci est omniprésent dans un métier de services comme le transport : « Dans le cadre de notre engagement ISO 9001, nous sommes tenus d’assurer la sécurité des hommes et des marchandises, tout en respectant nos horaires », reconnaît Richard Gazeau, dirigeant des Transports Gazeau (Chaudron en Mauges, 49) qui s’appuie, notamment, sur une formation vidéo créée par Volvo Trucks sur la gestion du stress des conducteurs : « Les modules de formation seront prêts pour l’automne 2014, rapporte Laurent Gaschet, responsable formation de Volvo Trucks France. Les conducteurs pourront les visualiser depuis leur cabine. » Une formation que l’AFT-Iftim a elle aussi développée depuis quatre ans mais sous forme magistrale avec un volet spécial destiné aux managers des entreprises de transport : « Sous la houlette d’un intervenant juridique et d’un expert médical, les responsables d’exploitation apprennent à manager la sécurité et le stress des conducteurs », rapporte Ronan Piolot, consultant formateur AFT-Iftim Managers.
Un gendarme dans le camion. Comme GT Location, qui enseigne depuis quatre ans à ses chauffeurs à gérer leur stress, Bruno Robert, dirigeant des Transports Bruno Robert (Contres, 41) a mis en place une politique sociale préventive, y compris contre la pression de l’exploitation. Il est même allé plus loin dans la prévention : « Depuis le 1er avril, nous recourons un commandant de gendarmerie qui sera notre »Monsieur sécurité », explique Bruno Robert. En accord avec l’assureur Axa, nous avons aussi adhéré à La Vie Routière, une société de prévention des risques que chaque conducteur accidenté doit contacter pour un entretien visant à empêcher que l’accident se renouvelle. En contrepartie à cette adhésion, Axa a réduit de 50 000 euros notre cotisation annuelle. » Dans cette lutte contre le stress, l’écoconduite ou »conduite rationnelle » est apparue comme un atout inattendu : « Etant basée sur l’anticipation des événements, l’écoconduite réduit le stress, le risque routier et l’accidentologie, confirme Joël Radouan, responsable du pôle conduite et logistique à l’AFT-Iftim. Grâce à notre outil Ecopilote, nous démontrons aussi aux chauffeurs que l’écoconduite ne rallonge pas la durée de leur parcours. Ils conservent aussi leur vigilance et se fatiguent moins. »
Autoformation des conducteurs. Le succès de cette pratique, qui voit le conducteur adhérer à l’objectif, a ouvert une nouvelle piste d’enseignement : « Nous devions toujours innover pour que les conducteurs assimilent les formations, explique Joël Radouan de l’AFT-Iftim. Nous nous sommes aussi aperçus qu’en rendant le conducteur acteur de sa sécurité et en lui faisant constater les risques, il trouvait lui-même les solutions. » Même constat chez la direction de GT Location qui a vu ses salariés réclamer des formateurs terrain pour augmenter leur sécurité. Pragmatique, le groupement de transporteurs Tred’Union, auquel adhère Bruno Robert, a spontanément créé un challenge du meilleur conducteur du groupement afin que ses collaborateurs se motivent eux-mêmes. Quant au programme de Prévention des risques liés aux activités physiques (Prap) de l’AFT-Iftim, il privilégie désormais une approche globale dans laquelle le conducteur, le référent formation et le dirigeant de l’entreprise seront impliqués dans la démarche sécuritaire. L’AFT-Iftim a lancé avec l’Institut national de la recherche sur la sécurité (INRS) et la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) de Bretagne une expérimentation dont les résultats sont attendus pour la fin 2014. S’ils s’avèrent positifs, la Prap remplacera définitivement la formation »Gestes et postures » et deviendra la préoccupation des conducteurs eux-mêmes. Une révolution en soi.
Michel Grinand
Quel travail après l’accident ?
Le handicap ne prive plus forcément les conducteurs de leur travail. Le 13 octobre 2013, l’AFT-Iftim, la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs sociaux (Cnam-TS) et les institutions de Carcept Prev ont signé une convention de partenariat pour améliorer le reclassement des personnes en situation d’incapacité de travail. Grâce à la »conduite adaptée », un conducteur handicapé par un accident peut conserver son poste ou un demandeur d’emploi handicapé peut trouver un emploi dans la conduite. L’ajout d’un boîtier et d’une poignée sur le volant rendent accessibles les fonctions du tableau de bord et rendent possible la conduite à une seule main. Certaines remorques, les tautliners, peuvent aussi être adaptées pour le déchargement. « Au bout de cette évolution se trouve une réponse à la pénurie de conducteurs », estime Bruno Bosshard, directeur adjoint au service développement de l’AFT-Iftim Formation continue.
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